Actes I : l’action.
26 mai 1999 – 16h50 : un groupe de 50 militants pénètre dans les locaux de l’ONEM – rue Natalis à Liège. Ils veulent rencontrer le directeur pour lui demander de s’engager sur l’arrêt des visites domiciliaires et sur une série d’autres dispositions – histoire de faire baisser la pression qui pèse sur les chômeurs. Le directeur est absent. Les militants décident d’occuper le 7ème étage pour l’attendre. Ils se barricadent et bloquent les ascenseurs.
26 mai 1999 – 17h : les Marches européennes pour l’Emploi et contre la Précarité, parties de France, arrivent…en train à la gare des Guillemins (le hasard fait bien les choses…). Les marcheurs sont prévenus de l’occupation. Nombre d’entre eux se dirigent vers l’ONEM. Certains rejoignent les occupants — qui sont maintenant une centaine — derrière les barricades .
Le directeur n’est toujours pas là.
26 mai 1999 – 20h30 : l’attente risque de durer. Les occupants décident d’utiliser le mess du personnel pour se restaurer. Ils ravitaillent également la foule qui les soutient au pied du bâtiment. Le menu : scampi à l’ail, poulet à l’estragon, macaroni jambon-fromage et crème glacée…
26 mai 1999 – 22h : le Directeur accepte enfin de rencontrer une délégation d’occupants.
26 mai 1999 – 22h30 : fin de la rencontre. Le directeur ne peut rien faire, c’est pas de sa faute, il applique le règlement, suit les ordres, fait tout ce qu’on lui dit.
Les 3 délégués remontent au 7ème pour faire leur rapport.
26 mai 1999 – 23h : une assemblée générale des occupants décide de poursuivre l’occupation. Une partie des Marcheurs européens quitte les lieux.
27 mai 1999 – 8h : les occupants sont informés du passage des marcheurs européens devant l’ONEM (afin de venir récupérer ceux des leur qui sont toujours à l’intérieur). La décision de la fin de l’occupation est prise.
27 mai 1999 – 9h : les Marches Européennes arrivent devant l’Onem. Les occupants sortent et se diluent dans la masse de plusieurs centaines de personnes.
Acte II : réaction.
1999 – quelques mois plus tard : Les fins limiers de la Police de Liège lancent une “grande” enquête : plusieurs membres du personnel de l’ONEM déposent des plaintes pour vol d’objets leur appartenant. Ils sont entendus comme témoins. Il leur semble reconnaître 4 individus sur un film. La Police les désigne comme suspects et les interroge.
Février 2000 : une nouvelle réglementation vient enfin encadrer les visites domiciliaires. Elles perdent ce caractère imprévisible qui en faisait une arme de choix dans la répression des chômeur-se-s.
Juin 2003 : les 4 suspects passent en jugement. Au terme d’une enquête longue de 4 ans, ils sont poursuivis pour vol et complicité de vol (de nourriture et de boissons, d’objets appartenant au personnel, d’une machine à café et d’une photocopieuse), dégât divers commis en bande avec menace et violence, destruction partielle d’un édifice public (conformément à une loi qui fait partie de l’arsenal anti-terroriste!).
L’Onem réclame 7000€ de dommage, le ministère public requiert plusieurs mois de prison.
Février 2004 : Prononcé du jugement : un acquittement (l’un des 4 prévenus n’étant pas présent lors de l’occupation), 3 culpabilités pour vol et complicité de vol (2 avec suspension du prononcé du jugement et 1 avec un mois de prison et trois ans de sursis).
Ça fait quand même cher les scampi (à l’ail) et le poulet (à l’estragon)…
Acte III : épilogue.
10 juin 2008 – 9H : Les 4 prévenus sont toujours poursuivis (ou plutôt « pourchassés ») : l’ONEM et le Ministère Public font appel du jugement. 9 ans après des faits d’une gravité ridicule (le président de la cour d’appel le précise d’ailleurs d’entrée de jeu – c’est dire), ça paraît totalement fou – et ça ressemble surtout à de l’acharnement. Devant le Palais de justice, puis dans la salle d’
audience, une centaine de personnes a fait le déplacement pour venir apporter leur soutien aux « victimes de l’inculpation » – et assister à un drôle de spectacle judiciaire.
10 juin 2008 – 12h : l’audience est terminée. Dans toutes les têtes, une question : comment ont-ils osé mettre en branle une telle machinerie pour ça? Madame la Procureur dégonfle elle-même les charges qu’elle présente au président. Incapable de fournir la moindre preuve (au terme de 9 ans d’enquête!), elle se lance, avec grossièreté, dans la philosophie du sujet: « les prévenus étaient conscients du vol de la nourriture, donc ils étaient responsables, donc ils sont coupables » (c’est pourtant simple, non, Mr le Président?).
La position de l’avocat de l’ONEM est physiquement malaisée : tragiquement seul sur son banc, les supporters des accusés dans son dos – il joue en déplacement. Dès qu’il ouvre la bouche, on sent qu’il croit ce qu’il dit mais aussi qu’il croit n’importe quoi. Le clou de son numéro : L’ONEM persiste a demander 6000€ de dédommagement pour la réfection complète du toit (en roofing) quand les dégâts occasionnés par l’occupation n’étaient que de quelques centimètres carrés. Contre-numéro de comique visuel d’un des avocats de la défense : lors de sa plaidoirie, il brandit 2 bandelettes de la taille des dégâts, ridiculement petites – la salle se marre. Élément à charges pour l’ONEM : aucun expert n’a attesté de la nécessité des travaux, « c’est l’entrepreneur qui a dit qu’il fallait le faire ». On croit rêver, on assiste a une parodie de Perry Mason!
24 juin 2008 – 9h : prononcé du jugement. Il y a quand même une justice! Tout le monde est acquitté – sauf peut-être madame la procureur et l’ONEM (dont l’avocat n’était même pas présent).
Il n’y avait tout simplement aucune preuve!
Dans le texte du jugement, Maître Maglioni (avocat de Monsieur Müller Thierry) relevait un élément susceptible de faire jurisprudence – et de manière très sympathique. Dans le §2 on pouvait lire ce passage (peut-être historique?) : « la contribution à la prise de possession des lieux et à l’absence de surveillance n’engendre pas la connaissance de la participation à tout acte infractionnel commis dans ces lieux. » En clair, en cas d’occupation de lieux (entreprise, grue, salle d’attente, bureau…) nul ne pourra être tenu pour responsable des dégâts occasionnés du simple fait qu’il-elle participait à l’occupation qui a permis d’engendrer les dégâts.
Au-delà du soulagement, il reste une batterie de questions : comment peut-on laisser traîner autant de temps des dossiers aussi vides? Et pourquoi? Le contenu hallucinant des débats a-t-il été exceptionnel (une sorte de cas limite) ou est-il un bon exemple de l’état inquiétant de l’institution judiciaire? Que se serait-il passé s’il n’y avait pas eu cette mobilisation en faveur de « victimes de l’inculpation »? Le juge aurait-il été aussi attentif à l’absurdité des arguments de l’ONEM sans la présence de la presse écrite et de la télévision?
Est-ce qu’on a eu la berlue ou bien la Justice est-elle une affaire de mise en scène? Une performance qui se joue quelquefois plus dans le rapport de force in situ que dans l’argumentation ou dans le relevé des preuves?