« il faut à tout prix éviter de traiter ce sujet de manière idéologique, (…) Ouvrir le secteur public au travail temporaire n’est pas de l’ordre du débat d’idées mais relève de la saine gestion ».
Philippe Lacroix, Directeur de Man Power et président de Federgon Interim
Les statuts des travailleurs de la fonction publique européenne pourraient bientôt ne plus se distinguer de la fonction salariale privée, laissant la porte ouverte au travail intérimaire. Pour les travailleurs de la «base », ça veut dire flexibilité, mise en concurrence et fin de l’ancienneté. A l’inverse, les « experts » ou les « top manager » de tous poils pourront toucher des salaires mirobolants.
Dans certains pays de l’Union comme le Royaume-Uni, l’Italie ou le Danemark, les recrutements se font plutôt au projet et à la spécialisation, au détriment du statut, et la flexibilité interne, ils connaissent déjà. C’est bien le système de « carrière » basé sur des règles propres justifiant le travail a durée indéterminée qui est remis en cause, comme c’est encore le cas en Belgique, mais aussi en France, en Espagne ou en Pologne.
Etat des lieux à la Poste
Les accords du nouveau gouvernement prévoient l’emploi de travailleurs intérimaires dans la fonction publique, « sous certaines conditions », c’est-à-dire pour des « besoins exceptionnels et temporaires ». Concernant la Poste, il s’agissait surtout d’officialiser une pratique existant depuis 5 ans.
« Le tabou est brisé! » clame Philippe Lacroix qui a bien flairé l’aubaine. Le boss de Man Power et président de Federgon Interim, affirme non sans un certain culot « qu’il faut à tout prix éviter de traiter ce sujet de manière idéologique(…) Ouvrir le secteur public au travail temporaire n’est pas de l’ordre du débat d’idées mais relève de la saine gestion » .
La « saine gestion » passe-t-elle par l’emploi d’intérimaires non expérimentés? « Avec tout le respect pour cette catégorie de travailleurs » répond Luc Martinez, responsable du secteur Poste pour la régionale de Liège de la CGSP, « On ne peut pas dire que l’emploi d’intérimaires soit efficace, que du contraire. Un exemple : un postier qui effectue sa tournée dans une zone doit aller chercher les sacs de courriers à des points déterminés. Dans certains cas, ce sont des intérimaires qui sont chargés de les déposer. Mais ne connaissant pas les lieux de dépôt inscrits sur les sacs, il leur arrive de retourner la ville dans tous les sens à la différence d’un statutaire qui connaîtra d’avance quel parcours optimal il doit faire pour déposer les sacs dans les plus brefs délais ».
Bien que l’accord gouvernemental ait été entériné en mars de cette année, le recours au travail intérimaire existe à la Poste depuis plusieurs année déjà. Luc Martinez raconte : « En 2003, la poste avait de plus en plus recours à des contractuels avec des contrats de 6 mois renouvelables 4 fois, qui ont été par la suite transformés en contrats uniques de 18 mois. Fin 2003, début 2004, la direction de la poste a négocié l’appel d’intérimaires sous prétexte de manque temporaire de statutaire ou contractuels. Il s’agissait dans un premier temps de remplacer les travailleurs malades pour des contrats de 2 ou 3 mois. Certains à la CGSP se mordent les doigts d’avoir accepté cela. Ça a été le début de l’engrenage ».
C’est à cette période (entre 2003 et 2005) que la Poste ne renouvelle pas 4000 contractuels . On estime à 10000 le nombre d’emplois perdus cette dernière décennie , Et Luc Martinez d’ajouter : « Les contractuels prestant une période de 18 mois ne sont plus réengagés. On leur conseille de s’inscrire dans une agence d’intérim où ils seront à coup sûr embauchés pour leur savoir-faire acquis pendant leur période de travail. Il y a actuellement 30% du personnel engagé sous contrat ».
L’emploi d’intérimaires pour l’année 2007 représente un million d’heures de travail (une progression de 114%
par rapport à 2004 ) et Luc Martinez de justifier: « Un intérimaire coûte à la journée plus cher qu’un travailleur statutaire; mais là où la direction y gagne, c’est qu’elle peut engager et jeter les travailleurs sans souci ». De la saine gestion, on vous dit…
En octobre 2005, l’Etat belge vend la moitié du capital moins une action à un consortium composé de la Poste danoise et de la société CVC Partners, une société de capital à risque achetant des entreprises en difficulté. Ça va de la cordonnerie aux réfrigérateurs. C’est bien la moitié de la Poste belge (moins une action) qui a été raflée pour une bouchée de pain (300 millions d’euros) alors que la Poste danoise, pourtant plus petite, est évaluée à un milliard d’euros. Pourquoi la Poste belge a-t-elle été sous-évaluée? On pourrait demander à M. Thijs, son président. Il doit connaître les tenants et aboutissants du dossier vu que, moins d’un an avant le rachat partiel de la Poste, il était membre du « conseil d’avis » belge de CVC Partners. On ne peut pas dire qu’il y perde au change puisque son salaire monte à 900 mille euros en 2006. Un apparatchik russe n’aurait pas fait mieux à l’effondrement de l’Union soviétique!
Pour imaginer ce qui nous attend, on peut épingler la Suède, qui a privatisé la poste en 93. Après une guerre pour le contrôle de la distribution du courrier, dans laquelle s’affrontait près d’une centaine d’entreprises, il ne reste actuellement que deux entreprises sur le marché, dont l’opérateur historique. Ce dernier a dû fermer 50% de ses bureaux de poste et augmenter le prix des timbres de 70%. Aux Pays-bas, la poste (TNT) se plaint d’ailleurs de ne plus pouvoir rivaliser avec son concurrent, travaillant essentiellement avec des indépendants. Ça en dit long sur les futurs statuts des fonctionnaires si rien ne change.
Quid de la fonction publique ?
(ministères régionaux et fédéraux)
Contacté par téléphone, Roland Vansaingele, secrétaire général CGSP responsable pour la fonction publique, nous répond :
C4 : Il est très difficile de trouver de l’info sur l’emploi d’intérimaires dans la fonction publique. C’est presque à se demander s’il n’y aurait pas un tabou sur le sujet?
Roland Vansaingele : « On ne peut parler de tabou dans la mesure où c’est toujours illégal. Il y a eu consensus entre les différents gouvernements et les syndicats à ce sujet. Maintenant, dans la pratique, il arrive que les pouvoirs publics emploient des sociétés sous-traitantes, qui elles, utilisent des intérimaires. »
C4 : Rien de nouveau sous le soleil donc…
R.V. : « A la veille des dernières élections, il y a eu un memoramdum de la société Ferdergon pour tenter d’introduire le recours à l’intérim dans la fonction publique Le gouvernement fédéral a alors émis l’hypothèse d’utiliser des travailleurs intérimaires sous certaines conditions. Pour la CGSP, c’est clairement non et on s’y est opposé. Ouvrir la porte aux intérimaires, c’est contourner les barèmes de l’Etat au niveau des salaires, c’est signer à terme la fin des contrats statutaires, seuls garants d’un service public de qualité. Actuellement, les règles sont claires, un contractuel ne peut être engagé que dans l’échelle de recrutement d’agent statutaire. Le recours au travail intérimaire, pour par exemple engager des experts de haut vol – on va les appeler les amis des amis – en-dehors de tout barème de l’état conduirait à des aberrations salariales. Au niveau des ministères, je crains plus ce genre de dérapage qu’un recours à des emplois précaires. »
« Dans d’autres secteurs publics par exemple, comme vous le savez, il existe déjà toutes sortes de dérogations au niveau de l’administration pour avoir recours à des travailleurs non statutaires pour répondre aux pics d’activité. Il y a des travailleurs qui sont à demeure dans l’administration mais qui sont toujours occupés par des agences d’intérim. C’est inacceptable. Essayez un peu d’acheter une maison avec des contrats d’intérim! Aucune banque ne
vous prêtera de l’argent. »