7. Clear Channel : l’invasion est claire

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L’hégémonie de la pieuvre n’a jamais été aussi forte : gestion des tournées artistiques, productions de spectacles, rachats de salles, de stations de radios, de chaînes de télévision et de sociétés d’affichage, etc. Le groupe est de plus en plus présent, à un point que beaucoup ne soupçonnent pas. Nous croisons pourtant son logo tous les jours en arpentant les rues, en subissant leurs panneaux d’affichage, en prenant les transports enrobés de publicités… Petit tour d’horizon d’un vampire affamé.

Radios, télévision, concerts, publicités, …

L’histoire commence en 1972, par l’achat d’une modeste radio texane. A l’époque, dans l’univers des médias états-uniens, des notions telles que « service de l’intérêt public » ou encore « préservation de voix diversifiées » étaient encore à l’ordre du jour. Le pouvoir faisait en sorte d’empêcher la constitution de monopoles et promulguait une politique de défense des localités radiophoniques. Mais à la fin des années 90, une nouvelle mesure – le «Telecommunications Act» – permit aux entreprises de posséder plusieurs radios dans la même zone géographique. Clear Channel en profita en s’emparant dès lors d’une importante partie des ondes de la nation. Des centaines d’emplois, notamment de disc-jockeys, furent éliminés. Clear Channel économisa ainsi des dizaines de millions de dollars en salaires. A travers un processus nommé « cyber-jocking », une seule personne prépare depuis le quartier général, les émissions pour la dizaine de radios alentours. A l’aide d’astuces techniques, le DJ donne une couleur locale à l’émission en y injectant références du cru.

Une trentaine d’années après sa création, Clear Channel possède plus de 1300 radios dans le monde et à peu près 40 chaînes de télévision. Les dégâts causés sont patents. Cette concentration a eu pour conséquence une forte homogénéisation des programmes, un nivellement par le bas de leur qualité, des boycotts d’artistes, ainsi qu’un suivisme servile face aux politiques gouvernementales (le président du groupe est un ami de G.W. Bush). Le tout saupoudré de quelque vingt minutes de publicité commerciale par heure, au détriment de l’information et de la musique locale. Ces dernières étaient pourtant traditionnellement très présentes sur les fréquences des milliers de radios régionales. Chaque jour, les ondes de Clear Channel touchent désormais, ainsi, plus d’un tiers de la population états-unienne.

Mais la soif intarissable du géant ne s’est pas arrêtée là. En 1997, la multinationale acquiert une société d’affichage publicitaire et, trois années plus tard, prend possession du groupe SFX Entertainment, plus important organisateur de concerts du pays. Clear Channel dispose depuis d’un gigantesque réseau de salles de concerts et d’événements. Le groupe possède déjà des centaines de salles au niveau mondial. Il s’occupe aussi de l’organisation de concerts et autres tournées d’artistes, ainsi que de leur promotion médiatique. Sans oublier sa mainmise sur les festivals musicaux… Exemple caractéristique, Herman Schueremans, fondateur de l’actuel festival Rock Werchter,est devenu en 2003 le directeur général de Clear Channel Entertainment Belgium.

Les groupes, qui tirent bien plus profit des concerts que de la vente de disques, les bénéfices de celles-ci remplissant surtout les poches des Majors, sombreront avant même d’avoir pu émerger… À moins de passer contrat avec Clear Channel, qui « s’occupera » de leur carrière, c’est-à-dire qui leur dira ce qu’ils doivent jouer et ce qu’ils doivent porter comme marque sur scène. On caricature à peine… Le lien entre musique et marques se fait de plus en plus sentir et des noces douteuses se concluent. Par exemple, un partenariat exclusif a été signé par Clear Channel avec Tommy Hilfinger, ce qui fait de celui-ci le sponsor officiel d’un nombre important de concerts.

En Belgique…

Dans notre pays, l’ascension de la multinationale fut fulgurante ! Depuis 2000, en rachetant les plus
gros organisateurs de festivals et producteurs d’artistes du pays, via l’acquisition de SFX Entertainment puis de cinq acteurs majeurs du secteur – On the Rox, Saarman, Sound & Vision, Minerva et Make It Happen-, le géant s’est implanté confortablement dans notre paysage. Ensemble, les cinq sociétés ont l’assurance d’un monopole sur le marché belge de l’événementiel musical et héritent d’un bon nombre d’avantages par leur nouvelle filiation.

Depuis 2005, Clear Channel s’est scindé en plusieurs entités dont l’une a hérité des activités d’organisation de concerts : Live Nation. Officiellement indépendantes, ces « spin-off » sont dans les faits toutes dirigées par des membres de la famille du fondateur de Clear Channel, Lowry Mays. Pour asseoir sa position dominante, Live Nation n’hésite pas à investir des sommes faramineuses pour signer des contrats d’exclusivité avec des artistes indépendants ou tentés d’aller à la concurrence. Ce pouvoir permet aussi au groupe d’obliger les artistes à faire appel à ses services de promotion et d’organisations de tournées, sous peine de n’avoir aucun de leurs morceaux de musique diffusé sur les antennes. Et aujourd’hui, aucun artiste ne peut remplir les salles sans faire de la publicité sur les radios du réseau Clear Channel. Le groupe en profite alors pour augmenter le prix de ses services, et celui des places de concerts. En parallèle, la société gère la billetterie des spectacles « Go for music » qu’elle organise (via un 0900 bien rémunérateur), ce qui lui permet au passage d’empocher les frais de réservation.

Effets d’une telle concentration ? Les prix des tickets de concerts ont explosé depuis quelques années. Clear Channel, détenant le monopole, fixe sans vergogne ses conditions. Le concert est en train de devenir un loisir de luxe dont le prix d’entrée exclut les moins fortunés. En outre, la multinationale a acheté notamment les entreprises More O’Ferrall, qui possédait la majorité des panneaux d’affichage publicitaire, ainsi que Adshel, propriétaire du « mobilier urbain » aux arrêts de bus et de tram. L’araignée tisse sa toile… La concentration de tant de pouvoir est terriblement inquiétante, surtout quand celui-ci touche aux domaines de la culture de masse, instrument de conditionnement par excellence : uniformisation terrifiante d’un monde où les mêmes musiques sont diffusées, où les mêmes artistes se produisent, où les mêmes images sont émises, où les mêmes produits sont consommés.

Peu d’acteurs politiques, d’artistes, de citoyens s’élèvent contre cette emprise délétère sur les médias. La grosse machines à sous est cajolée ainsi que les artistes qui nous sont vendus à coups de campagnes agressives. Les petits groupes, par contre, moins (voire pas du tout) rentables, sont et seront de plus en plus boycottés. Les organisateurs de concerts alternatifs se feront de plus en plus rares. La plupart ayant été dévorés par l’ogre, il n’y aura plus personne pour se battre et nous permettre d’assister aux concerts de groupes réellement intéressants et innovants.

Des organisateurs et des associations tentent pourtant de résister à l’envahisseur. Mais l’initiative est ardue ! Il est quasiment impossible d’organiser un événement avec le moindre artiste un peu connu sans tomber sur… Clear Channel. Il faudrait appeler au boycott des concerts et festivals labellisés et soutenir les organisateurs et artistes indépendants ayant décidé de se passer des services de la multinationale. D’autres pistes sont suivies comme le recours au Conseil de la Concurrence ou la création d’un label de qualité « CC-free ». En attendant de telles mesures, il faudrait absolument diffuser des informations sur les bas agissements de la multinationale, sur les dessous de la guerre qu’elle mène à la diversité musicale.

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