Après avoir longtemps pratiqué la musique en autodidacte, croyant qu’il deviendrait un jour musicien, DjP a commencé à remettre en question la finalité des «carrières accomplies » de musiciens. Chômeur de son état, il leur reproche une attitude équivoque : au lieu d’éveiller nos sens à l’écoute et à l’attention auditives, les créations de professionnels viennent inonder le marché et par là même, contribuent à « atrophier la capacité de tout-un-chacun d’user de ses aptitudes d’expression sonore, rythmique et communicative ». Pour sûr, dans la production actuelle, tous les goûts y trouvent leur compte, chacun réussit à « vivre la musique » à travers l’écoute de CD’s et la fréquentation de concerts, le fredonnement de mélodies marquantes et l’isolement du walkman… Alors « pourquoi surenchérir »? Ce n’est pas, comme certains pourraient le croire, un fatalisme, une manière de baisser les bras devant l’innombrable, mais au contraire, un force : réussir à assumer une position précaire. John Cage ne l’a-t-il pas déjà dit ? Il est inutile d’écouter les disques, car « ils ne font que détruire notre besoin de musique réelle (…) ils font croire aux gens qu’ils se livrent à une activité musicale alors que c’est faux (…) les disques ont complètement inversé et déformé la fonction de la musique dans l’expérience de tous » [*]. Chaque musique est unique, qu’elle soit dirigée par Stravinsky et/ou par les accidents du quotidien.
L’univers de DjP est peuplé d’accidents « sous contrôle », alimentant un fond sonore inépuisable. Plus besoin de lecteur CD, de cassettes ou de mini-disques, « les petites machines » s’occupent de tout ! Ces instruments « acoustico-électriques », composés de pièces de récupération trouvées dans les rues de Bruxelles, consistent en l’assemblage savant de « la liberté acoustique et de la froideur électronique ». Tous les minutieux déplacements des bras de ces machines sont contrôlés par une boîte à rythme, dont on peut modifier la cadence à volonté. Les sons sont ensuite amplifiés. Un véritable orchestre à domicile, clinquant et chancelant, déroutant tant on ne s’imagine pas que la ligne de basse qu’on est en train d’entendre provient de la collision entre une brosse à dent et un étui métallique. Le plus déconcertant est bien cette alliance, en un même espace-temps, de la fragilité de ces instruments improbables et la détermination sonore qui en arrive à nos oreilles. Entendre sans voir produirait un tout autre effet. Il arrive aussi que ces petites machines sévissent sur des radios. Elles en jouent cruellement, en font une caricature de la vie sociale. Au milieu d’un amas de flux permanent, certaines bribes de dialogues compréhensibles s’échappent et se répondent de manière sourde, créant par moment des rencontres hilarantes, guidée par le choix imprévisible des machines. De quoi nous guérir de notre frustration de ne pouvoir être partout en même temps.
La guerre des machines
Ah ! si nous n’avions pas tous ces boutons : on, off, clic, power, master, contrôle… Nous devrions tout faire nous-même : ordonner, « communiquer », se déplacer, construire, conserver… Faire naître le feu. Soumises aux délires des uns, aux petites habitudes des autres, les machines sont, chez DjP, bien loties. Il veille à ce que tout se passe bien : « Elles se prolongent entre elles pour me laisser devenir spectateur de leur agencement. [Elles] s’émancipent un peu quand elles participent à réinventer de nouvelles fonctionnalités auxquelles se vouer, jamais garantes qu’il ne s’agira pas du pire (comme pour tout recyclage) ou d’une fin écourtée de leurs jours ». Ces petites machines nous invitent au repos, à observer ces outils de communication dont, bien souvent, nous usons quotidiennement sans aucune considération. Pendant ces installations sonores, on peut expérimenter, par exemple, les larsens que font deux interphones de bureaux des années septante court-circuités, raisonnant en sympathie : il s’en échappe parfois des
bruits d’animaux ! Au-delà de ce chaos fait de hasards et de complémentarités manifestes ; ces machines, par leur agencement libre et sauvage, dégagent un sens qui nous échappe constamment. Elles recèlent une vérité qu’elles n’énoncent jamais.
De toute façon, pourrions-nous vraiment les comprendre ? Que penser d’un téléphone qui se mettrait à nous parler ou qui parlerait à notre place ? Combien de temps pouvons-nous supporter le son continu d’un combiné téléphonique ? Sans tomber dans la fascination pour la technologie, en échange de quelles libertés nous rend-t-elle tous ces services ? Questions qui émanent de cette autre fabrication de DjP : le « kit mains pleines ». Ce détournement des « oreillettes » pour GSM, transformant un kit-mains-libres en corné de téléphone recyclé est, à court terme, un moyen très concret pour se rendre compte qu’un téléphone portable peut augmenter la température de plusieurs degrés au niveau de l’oreille. De plus, cet objet encombrant nous pousse à gérer nos communications de manière plus rationnelle: il ne rentre pas dans n’importe quel sac à main ! Son utilisation dans les files d’attente peut faire naître un sentiment de sympathie quasi « folklorique ». Conscients ou pas, DjP cherche moins des spectateurs que des interlocuteurs avec qui créer des épiphénomènes, des situations singulières, propices à cultiver l’imprévisibilité, à remettre en question certaines façons d’envisager et de valoriser la création.