Stas Academy

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Reprenons notre ouvrage où nous l’avions laissé… Galvanisée par le Prix Polar qu’elle reçut à Cognac pour Babylone Dream, NADINE MONFILS nous assène Nickel Blues (chez Belfond), un roman « crapuleux » à souhait, rocambolesque et jubilatoire, dans lequel on frémit et on s’amuse dès l’exergue : « Le bonheur est dans l’ pied ! » Déjantés également, la quinzaine de Contes cruels que la même, décidément survoltée, publie dans le même temps aux Éditions Blanche. Rien que leurs titres vont donneront une idée du régal qui vous attend : la Vieille qui marchait dans la merde, les Restos du cul, Lolitas cherchent pervers pépères, Petit Caca Noël, etc. Dans Bon anniversaire Boulette, on apprend cette histoire « vraie » : La première victime de l’attentat contre le World Trade Center fut Joséphine, une Belge domiciliée à Marcinelle. Elle regardait l’explosion a la télé lorsque celle-ci a implosé, mettant le feu à l’appartement… Mais le lecteur attentif rectifiera illico : c’était un 11 septembre (et non un 11 novembre ! ) L’autre grande dame du noir belge, PASCALE FONTENEAU fait également très fort avec son 1275 Ares (Suite noire, n° 19). C’est du niveau du Locataire chimérique de Topor, 100% efficace dans le dégueulasse (comprendre l’Horrible admirablement distillé). Tiens, puisqu’on en parle de l’ami Roland, applaudissons l’initiative des éditions Autrement d’avoir (enfin) édité en langue française les Aventures de Pinocchio de COLLODI superbement illustré par TOPOR. L’ouvrage n’existait jusqu’ici qu’en allemand (1ère édition, Gina Kehayoff Verlag, 1995). Si vous ne connaissez de ce livre que des versions édulcorées, profitez donc de l’occasion pour le lire « vraiment » : c’est un pur chef-d’œuvre, et qui ne ravira pas que les mômes. En guise de dessert, une petite rareté (75 exemplaires seulement) Topor de poche, éditée par l’Académie des Beaux-Arts d’Arlon, à l’instigation de François Liénard ; y sont reproduits quelques culs-de-lampe assez peu connus, empruntés à Je t’aime, A Pillow Talk by Roland Topor ou encore Textes burlesques et baroques (Poésie 1, n°42). Le Somnambule équivoque continue avec un bonheur certain son aventure éditoriale avec deux nouveaux titres dans sa collection « Dérapages », Récit plastique de NATHALIE GASSEL, où textes et photos dialoguent intelligemment et Écoloco, une alter-friction de CHRISTOPHE LÉON, une charge impertinente, satirique et subversive, incitant à une utile remise en cause d’une consommation soumise au diktat de l’abondance et du paraître. Dans la collection « Exaltations », paraît aussi le Monde est une chanson de GUY DELHASSE, sorte de road-book qui donne la parole aux chansons plutôt qu’aux chanteurs. Dans la collection « Fulgurances » enfin, le CHRISTOPHE LÉON de tout à l’heure nous offre aussi Beaux-Arts, une histoire de peintre qui trouve son inspiration en enfonçant son crayon dans l’œil de son modèle : « une anarchie déliquescente dont les protagonistes ne sont que les romanesques avatars », affirme l’auteur pour décrire son livre, disant ainsi la vérité.

Je vous ai déjà parlé des éditions Scali (sises 80, rue du Faubourg Saint-Denis F 75010 Paris), pour vous conseiller le Dictionnaire de Littérature à l’usage des snobs et surtout de ceux qui ne le sont pas de FABRICE GAIGNAULT, si ma mémoire ne me trompe pas. J’aurais pu, tout aussi bien, vous recommander l’Enfer du cinéma (Dictionnaire des films cultes et maudits) de THIERRY ACOT-MIRANDE & ALAIN POZZUOLI, le Dictionnaire de la censure, de JEAN-PIERRE KRÉMER et du même POZZUOLI, la Petite Encyclopédie de l’Étrange, toujours du même, l’Apologie de l’Échec (Bides, flops et désillusions) de MATHIEU ALTERMAN ou encore Constatations & Billevesées de Mr. Norris McWhirter, un bouquin quasiment aussi plaisant que ceux de l’irremplaçable BEN SCHOTT, mais aussi une flopée de (gros)
ouvrages sur la chanson, le rock, le punk, etc. J’aime assez bien leurs livres et les deux titres qu’y sort MARC DUFAUD ne m’ont pas déçu non plus : les Décadents français et Dictionnaire Fin de siècle (Zutistes, Jemenfoutistes, tout l’univers des dandys décadents). La fin du XIXème siècle sentait le soufre… au milieu d’un tas d’autres fragrances tout aussi perverses (fleurs pourrissantes, opium, éther, amyle nitrite, … À la Belle Époque, les dames à la mode se shootaient à la morphine direct dans la cuisse, à travers les trous de leurs bas résille. Occultisme, satanisme, hallucinants excès en tous genres, nos arrière-grands-parents avaient bien préparé le terrain, ça oui ! Après, on plonge sans peine aucune dans Cold love, satanic sex and funny suicide, un « poèmessai sur le rock destroy et ses lourdes séquelles » que le brillantissime (une fois de plus) THÉOPHILE DE GIRAUD publie aux éditions Le Mort « qui » trompe. Abandonnant ses obsessions anti-natalistes, le sulfureux écrivain s’est plongé à corps éperdu dans la cold-wave, ce courant rock underground des années 80 dans lequel s’enracine l’actuelle mouvance « gothique ». Et il s’y est, évidemment, senti comme un poison dans l’eau polluée, y recensant de multiples thèmes pas vraiment faits pour lui déplaire : amour de la mort, horreur de l’amour, haine de la famille, éloge du suicide, de la bombe atomique et du meurtre, découpage des bébés à la scie sauteuse, sexe épileptique, etc. « Un livre qui procurera aux éternelles générations perdues de nombreuses occasions de rire et de se trancher les veines tout en se masturbant », dit-il. Et l’éditeur n’est pas en reste lorsqu’il y va de cette présentation : « Un texte d’ores et déjà culte, par un auteur maudit, vendu pas cher du tout. Après le procès, la censure et l’autodafé, cet exemplaire décuplera de valeur : investissez malin, achetez-en dix. Le diable fera votre fortune. » Sans doute, ce brûlot figurera-t-il dans les (hypothétiques) rééditions de la « brique » de BERNARD JOUBERT, Dictionnaire des livres et journaux interdits (Éditions du Cercle de la Librairie), un monument où sont répertoriés les 6.900 titres auxquels ont été appliqués l’article 14 de la loi de 1949 sur les publications destinées à la jeunesse, l’article 13 de cette même loi ou l’article 14 de la loi de 1881 sur la liberté de la presse. Bref, vous avez là le catalogue exhaustif de tous les trucs interdits par le Ministère de l’Intérieur français pendant ces soixante dernières années (en 1.214 pages denses – 2,2 kilos ! ). Description, résumé et aussi (ce qui est magnifique) photo de la couverture de chaque ouvrage censuré, historique des interdictions ou des procès : vous allez positivement béer en découvrant tout ce que des commissions navrantes, associations puritaines ou fonctionnaires idiots ont jugé bon de condamner, sous prétexte de « protéger la jeunesse ». Ici l’on a tendance à rire, ici à hurler, tant on ne peut que constater que notre « liberté » fut/est constamment muselée, expurgée, menacée, réprimée, châtiée par des bégueules, des calotins, voire des politiques. 70 euros, c’est une somme, mais ça vaut foutrement le coup de se ruer là-dedans ! C’est de gaieté de cœur qu’on déguste ensuite L’Ordre mon cul ! La Liberté m’habite (admirable titre, n’est-il pas ?), de JEAN-VICTOR VERLINDE (L’Esprit frappeur, n° 89, 3 euros) qui nous démontre que tous les prétextes sont bons pour faire de nous ce qu’on voudra, soldats, travailleurs, capitalistes, consommateurs, mais pas des êtres libres. « Le refus de l’ordre n’est pas nécessairement le désordre, et les anarchistes ne sont ni des aigris ni des rêveurs. Ils disent simplement qu’il est temps pour chacun de vivre comme il l’entend, comme il l’aura décidé, parce que la vie n’est pas éternelle. Et qu’il vaut mieux dire non que se taire. » Dans le même ordre d’idées, on lira aussi avec profit la Vérité, de SADE (republié par L’Insomniaque) : rédigée à la Bastille en 1787, cette déclaration de guerre contre Dieu est
aussi un appel à jouir sans limites. Sa frémissante beauté sacrilège heurte de front non seulement les dogmes du clergé mais aussi tous les moralismes passés, présents et à venir – tel celui qui, gentiment saupoudré d’hédonisme marchand, corsète encore de nos jours les chairs et les désirs. Comme l’écrivit Gilbert Lély, « Sade contre tout ce qui constitue de près ou de loin une mainmise, de quelque nature qu’elle puisse être, sur la toison étincelante de la subjectivité de l’homme. »

Merci à mon cher Guy de m’avoir fait lire Auprès de moi toujours de KAZUO ISHIGURO (Folio, n°4659), un roman dont je ne vous dirai rien, afin de conserver intacte votre surprise, qui m’a permis de m’évader vraiment pendant de longues heures : une écriture différente, assurément. Merci au même de m’avoir fait découvrir JEAN-CLAUDE HÉMERY, dont j’ignorais tout, qui fut le traducteur de quelques géants de la littérature allemande (B. Brecht, G. Benn, F. Nietzsche, A. Schmidt, T. Bernhard, entre autres), l’ami de Perec et le compagnon de Cioran pendant ses promenades nocturnes. Excusez du peu ! Curriculum vitæ et autres textes, paru en 2003 aux Éditions du Murmure, réunit les quatre livres de cet auteur, que Maurice Nadeau publia pour la première fois entre 1963 et 1977, et c’est Grandiose ! De traduction de l’allemand, il est aussi question dans l’Amour aux temps de l’UE, une anthologie bilingue de la nouvelle poésie d’Outre-Rhin (choix, préface et traductions de TOM NISSE), que nous proposent les Éditions Biliki (44/70, rue des Palais – 1030 Bruxelles). Loin d’être intimidés, voire tus, par leur monumental Panthéon lyrique national, les jeunes allemand(e)s inventent leurs propres voix et leurs propres fulgurances. Au fil de tous ces textes, on découvrira avec bonheur l’authentique cohérence d’une génération « qui nous livre une poésie qui est véritablement à la hauteur des catastrophes de son époque ». On ne ratera pas non plus Max Ernst, l’Imagier des poètes, une petite merveille que nous livrent JULIA DROST, URSULA MOUREAU-MARTINI & NICOLAS DEVIGNE (Pups, Presses de l’Université Paris-Sorbonne, 28, rue Serpente – F 75006 Paris). On y dresse le bilan de toutes les façons dont l’immense Max Ernst a fait éclater les bornes anciennement assignées au « livre illustré » et au « livre de peintre » en chamboulant hardiment la relation entre l’image et le verbe.

Zou ! Encore quelques agréables petites publications que vous risqueriez de rater : Histoire du pastiche, par l’excellent PAUL ARON (PUF), un tour d’horizon de ce mode d’écriture majeur mais – hélas ! – souvent occulté. Lettres à Henry Kistemackers de JEAN LORRAIN (Éditions du Clown lyrique (www.clownlyrique.com), un inédit à 400 exemplaires seulement : grouillez-vous ! Et puis, faites unpeu vivre les petits éditeurs, crénom ! le Petit livre des gros mots (insultes, injures et autres noms d’oiseaux) de GILLES GUILLERON (First éditions, 27, rue Cassette – F 75006 Paris), pour enrichir utilement votre vocabulaire. Pour lire au retrait : Voyages au Saint-Siège, un coffret « dont le besoin se faisait sentir », publié par l’Archange Minotaure (11, rue du Faubourg St. Jaumes – F 34 Montpellier), comprenant une Ode à la Merde (avec des notes) de Monsieur DE PERRESSONCU (1807), un chef-d’œuvre d’éloquence scatologique, le Grand Mistère, de JONATHAN SWIFT (« la manière commune de défaire son haut-de-chausse, les airs maladroits qu’on se donne sur les privés, les grimaces affreuses & les exclamations barbares qu’on y fait, voilà autant d’articles sur lesquels une réformation est d’une extrême nécessité ») et Caquire par Mr. DE VESSAIRE, une ébahissante parodie du Zaïre du Sieur Voltaire. Pour terminer quelques-uns des très plaisants Euphorismes de Grégoire, dus à GRÉGOIRE LACROIX (chez Max Milo) : « La détente je suis pour, d’ailleurs j’ai toujours le doigt dessus. – Lever le coude est la meilleure façon de ne pas baisser les bras. – Quand on n’a plus rien à se dire on parle de
communication. – Là où le cul-de-jatte a pied, ne plonge pas la tête la première. – On ne meurt pas d’une overdose de rêve.  » Bonnes vacances – vous méfiant des TGV, des UV, des ULM, des GSM et des MST.

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