De tout son saoul et de tout son corps, elle dort ; et dans le corridor le sac est prêt et clos. Juste une poche vide pour les trucs et choses de dernière minute, les oublis et l’attirail du petit matin…Sommeil paisible jusqu’au « Ding dong »… Elle s’étire et s’étonne. « Qui sonne donc à ma porte avant le crépuscule… ? » Puis debout dans le vestibule…
— Qui est-là ?
— C’est votre nouveau voisin ! Je ne vous dérange pas ?
— Vous êtes culotté !
— J’n’allais pas débarquer tout nu ! Vous pouvez ouvrir, s’il vous plaît ? Fait pas très chaud dehors…
— J’arrive, attendez que j’enfile un peignoir…
— Ne vous donnez pas cette peine, je fermerai les yeux.
— Si, si, j’ai peur des courants d’air…
Elle ouvre, il entre, charmé illico…
— C’est ravissant chez vous !
— C’est pour me faire des compliments sur mon aménagement intérieur que vous vous pointez avant le soleil ?
— Non, non , du tout, du tout, euh, voilà, j’ai emménagé hier et mon frigidaire doit paraît –il se reposer une journée entière avant de se remettre au courant. Qu’il en profite bien car je ne compte pas déménager de sitôt, maintenant que je viens de faire la connaissance de ma voisine…Donc, pas de frigo, pas de victuailles. Or je souffre d’insomnies et le seul remède qui me convienne, c’est de cuisiner un bon petit plat que je déguste ensuite. Alors, repu, je m’endors.
— Vous voulez en venir où ?
— Juste jeter un œil dans votre frigo et votre armoire de cuisine.
— Vous faites quoi dans la vie ?
— Coureur de jupons…
— Ce n’est pas un boulot ça !
— C’est en tous cas mon activité principale : trois quart temps.
— Et le quart restant ?
— Je joue de la flûte…
— Vous vous foutez ou quoi ?
— C’est sérieux, je joue de la flûte, vous voulez la voir ?
— Pas tout de suite…
— De la flûte, du tuba alto aussi, un peu de clarinette et du mirliton…
— Bon, ce n’est pas l’heure d’un réveil en fanfare, d’ailleurs je baille, mon duvet s’impatiente et mon oreiller itou. Servez-vous, il n’y a plus grand-chose dans le frigo, juste quelques légumes, mais plein d’épices dans l’armoire. Ciao, je retourne pioncer… Refermez bien la porte derrière vous.
Le lendemain, dialogue intense par-dessus la haie vive…
— Bonjour…
— Bonjour…
— Bien dormi ?
— Bien mangé ?
— Pas encore, je vous attendais pour goûter mon curry.
— J’adore le curry, mais je suis venu vous dire que je m’en vais…
— Où ?
— A la montagne !
— J’adore la montagne…
Il a dressé la table sous le cyprès car le soleil a grimpé et tape déjà bien dur.
— Il est doux votre curry…
— De votre armoire de cuisine et de Madras, je pense…
— Je voulais dire qu’il n’était pas trop piquant…
— Suis-je idiot ?
— Non, non, votre curry est sublime, délicat et pénétrant. Ne rougissez pas et dites-moi tout…
— Tout quoi ?
— Tout sur le curry ?
— Mais où ai-je donc la tête ?
— Je me le demande…
— J’ai donc trouvé dans votre frigidaire quelques carottes, un bouquet de choux fleur, un poireau, un oignon, un navet, un morceau de céleri rave et une courgette. J’ai fait cuire tous ces légumes coupés petit le minimum minimorum (soit à l’eau bouillante soit dans un wok) et les ai gardés en réserve. Dans une casserole (ou un wok) j’ai fait revenir l’oignon haché avec une pointe d’ail. J’ai alors ajouté une cuillère à soupe de curry tout prêt, mais comme le curry est un mélange d’épices, je renforce ses parfums en ajoutant graines de coriandre, cardamome et cumin, cannelle et curcuma (le jaune du curry). J’ai fait chauffer ce mélange doucement une bonne minute, puis l’ai arrosé de lait de coco, un peu d’eau et de sel. Un bon bouillon. J’ai remis les légumes et quelques brins de coriandre fraîche. Deux minutes. C’est alors bien chaud, on passe à table et on accompagne de riz basmati.
— Encore un peu ?
— C’est si bon, si chaud, si doux…encore un peu…mais demain sans faute, je pars…
— Ca tombe bien, moi aussi…