Façon et façon

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Leïla, avec ses jeans moulants et ses t-shirts ajustés, arbore le parfait look occidental. Elle rêve de devenir journaliste. Sa sœur, elle, a décidé il y a trois ans de porter le hijab.

Leïla raconte : « Personne ne l’a forcée. Mes parents nous ont élevées à l’occidentale, et n’ont pas du tout incité Samira à porter le voile. C’est une décision qu’elle a prise seule, une décision mûrement réfléchie. Ma sœur a choisi de porter le voile par conviction, et je la respecte totalement dans son choix. »

Leïla, elle, ne se voit pas du tout porter le voile. « Je n’en ressens pas du tout la nécessité. En fait, c’est une question que je ne me suis jamais posée. D’une part parce que mon éducation n’a pas été dans ce sens, et de l’autre parce que je pense qu’il y a différentes façons de concevoir la religion. » Car Leïla est musulmane pratiquante. Elle ne boit pas, ne fume pas, et fait le ramadan. Comment le choix de sa sœur a-t-il été perçu à la maison ? « Ça s’est fait assez naturellement. D’ailleurs, avec ma sœur, on n’en a pas beaucoup parlé, je n’ai pas cherché à connaître ses raisons profondes… J’ai tout de suite accepté et respecté sa position. »
Pour les parents, par contre, c’est différent. « C’est normal, mes parents s’inquiètent des conséquences que son choix peut avoir dans sa vie, notamment au niveau professionnel… »

Les parents de Samira n’ont pas eu tort de s’inquiéter. Dans un contexte où le port du hijab reste une question sensible, les convictions de la jeune fille lui ont déjà porté préjudice.

« Ma sœur a terminé ses études avec mention. Elle est vraiment très douée. Elle a toujours été une élève appliquée et consciencieuse. D’ailleurs, au vu de ses résultats, elle a été appelée par une entreprise pour passer un premier entretien, qui s’est très bien passé. A l’époque, elle ne portait pas le voile. Quand elle est revenue pour concrétiser le contrat, quelques semaines après, ma sœur portait le hijab, et les choses ne se sont pas du tout passées comme prévu. On lui a dit qu’on la recontacterait, et depuis, pas de nouvelles. Et ça lui a posé des problèmes plusieurs fois, déjà, depuis qu’elle cherche un emploi, alors qu’objectivement, elle est très compétente. »

Karima et Rachida sont amies. Elles ont 18 ans. D’origine marocaine, elles sont dans la même école, en dernière année d’humanités. Karima porte le voile, Rachida non.

Karima porte des jeans moulants et étroits dans le bas des jambes, comme la plupart des ados, avec des petites ballerines blanches. Son t-shirt rose est parsemé de strass. Ses cheveux sont cachés par un voile qu’elle porte vers l’arrière, « à l’européenne », dit-elle, un tissu blanc avec un imprimé rose assorti à la couleur de son t-shirt. Rachida est vêtue de façon assez semblable : jeans moulants délavés, t-shirt turquoise à paillettes dorées, et ballerines dorées également. Ses longs cheveux noirs flottent dans son dos.

« J’ai décidé de porter le voile à l’âge de quinze ans », commence Karima. Chez elle, elle est la seule, avec sa mère, à le porter. Ses trois sœurs ont fait un choix différent. « Je n’ai jamais eu cette pression à la maison. Mes parents nous ont même dissuadées de le faire, parce que, comme ils disent, c’est pas bon pour l’intégration. Ce qui m’a décidée ? En fait, ça a été une série de choses qui se sont enchaînées. J’avais pas mal de copines qui rencontraient des problèmes dans leurs écoles à cause de leur hijab, et moi, ça me foutait vraiment en colère, de les entendre me raconter les attitudes absurdes des profs et des directeurs. Je ne comprenais pas du tout cette interdiction. Du coup, ça m’a incitée à me questionner sur mon identité de musulmane, et aussi à lire pas mal de choses sur les histoires de foulard dans les écoles, notamment sur le Net. Ça a déclenché chez moi une sorte de prise de conscience par rapport à mes racines, à ma culture, et j’ai ressenti un besoin profond de revendiquer tout ça. Le foulard, pour moi, c’était une
façon de marquer mon appartenance ethnique, religieuse et culturelle… Même si je me sentais appartenir à une certaine forme de culture occidentale, tout à coup, mon identité musulmane devenait très importante pour moi, et j’avais envie et besoin de l’exprimer à travers mon hijab.
» Rachida sourit… « Au début, elle était carrément violente dès qu’on abordait le sujet », lance-t-elle. « Elle ne comprenait pas, par exemple, que moi je n’en ressente pas le besoin, même si je me considère tout à fait comme musulmane. Elle essayait de me convaincre que j’avais tort… » Karima opine de la tête: « C’est vrai, j’étais vraiment excessive. Je me souviens d’un débat au cours de français, où j’ai carrément failli empoigner une fille qui disait être d’accord avec l’interdiction du port du voile dans les écoles ». Aujourd’hui, Karima a mûri. Son discours est plus nuancé… Sur la question du port du voile à l’école, toutefois, elle reste radicale : « Je trouve ça incompréhensible et révoltant. On dit que le port du voile traduit une forme de militantisme religieux, mais par contre on accepte que les filles viennent à l’école avec le nombril dénudé… C’est pas du militantisme sexuel, ça ? Et puis, pour les filles à qui on refuse l’entrée de l’école, c’est humiliant, et injuste. Je connais des filles qui se retrouvent dans des écoles qu’elles n’auraient pas choisies naturellement, simplement parce que celles-là ne leur interdisent pas de porter le foulard vers l’avant. » Elle poursuit : « En plus, ils ne se rendent pas compte, mais le fait d’interdire le voile, ça ne fait que renforcer le phénomène : du coup, des jeunes filles qui n’y auraient pas pensé jusque là vont avoir envie de le porter, juste par esprit de rebellion… »

Rachida poursuit : « Oui, c’est tout à fait vrai, je connais pas mal de filles dans le cas… L’adolescence est une période où on a besoin de s’affirmer, et aussi de contredire les adultes, notamment en portant le hijab. Ma cousine, par exemple, le porte en grande partie pour tenir tête à ses parents, qui lui font constamment leur laïus sur l’intégration. Je connais aussi plusieurs filles qui ont décidé de le porter à quinze ans, et puis ont cessé de le mettre quelques années plus tard, parce que ça n’avait plus de sens pour elles, à ce moment-là. »

Pour Karima, si le hijab n’a plus tout à fait les mêmes significations qu’au moment où elle a choisi de le porter trois ans plus tôt, il demeure un signe essentiel de son identité. « Je ne me vois pas sortir sans hijab, même aujourd’hui. C’est devenu un élément de ma personne à part entière. Je me sentirais comme amputée de quelque chose… Pourtant, ma famille me met la pression pour que je l’enlève, ils ont peur que ça me ferme des portes, mais ce jour n’est pas encore arrivé, et je crois que ce n’est pas pour demain. » Rachida enchaîne : « Les gens sont bêtes, parfois… Quand certains amis me voient avec Karima, après, ils me posent des tas de questions, et s’inquiètent du fait que je puisse devenir une islamiste, comme ils disent, alors que parmi mes amies, Karima est certainement la personne la plus ouverte et la plus tolérante que je connaisse. »

Karima conclut : « En ce qui me concerne, j’ai choisi de porter le foulard en partie par esprit de révolte, et aussi par solidarité avec les filles musulmanes qui se mobilisaient pour braver l’interdiction, mais aujourd’hui, ce que j’en retiens, c’est que ça m’a poussée à connaître mes racines, ma culture, et ça m’a beaucoup apporté. Ça m’a aidée à me construire, à une période de la vie où on a beaucoup d’incertitudes, beaucoup de doutes et de questionnements. Maintenant, mon foulard fait partie de moi, c’est un symbole de ce que je suis et de ce que je crois. »

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