Julie a 17 ans et deux sœurs.
Anissa a 17 ans et sept frères et sœurs.
Dunya a 17 ans, deux frères et deux sœurs.
Shym a 18 ans, trois frères et deux sœur.
Toutes s’identifient comme des jeunes filles. Ni «femmes », ni « jeunes », ni « filles », ni « ados », ni «jeunes femmes »… Le terme « jeunes filles » est celui qui, selon elles, les définit le mieux.
La discussion démarre sur une question sensible : qu’est-ce qui différencie filles et garçons?
« Le sexe » lance Julie, hilare. Anissa rétorque, sérieuse : « Ils ont plus de libertés que nous ». « Oui, ils sont plus libres », approuvent les trois autres.
Comment vivent-elles cette inégalité ? Dunya affirme que ça lui est égal. Mais Julie précise : « C’est parce qu’elle a elle-même beaucoup de liberté ! ». Dunya rigole. Anissa, elle, trouve que ce n’est pas toujours si facile que ça à accepter. Mais cette différence affecte surtout la vie familiale. Ce sont les frères qui sont concernés quand elles disent « ils sont plus libres ».
Tous les garçons et les filles…
Et l’amitié filles-garçons ? Comment ça se passe ?
« Bien » affirment-elles, en cœur. Selon elles, pas de ségrégation filles-garçons, ni dans les cours de récré, ni dans les rues du quartier.
« Ça dépend des moments », intervient Julie. « Parfois, on a envie d’être entre filles, et eux entre garçons, c’est normal. Mais on est ensemble très souvent ».
« Les relations avec eux se passent bien, la plupart du temps. Il suffit d’être ouverte à la discussion » dit Shym. Et d’ajouter : « Bien sûr, parfois, ils nous provoquent un peu, en faisant des réflexions liées à la féminité, au corps ». Elle n’ose pas donner d’exemple, mais quand je lance : « Que disent-ils ? T’as un beau cul ? Ce genre de trucs ? », elle rougit légèrement et toutes les quatre en cœur répondent en riant : « Oui, voilà, ce genre de trucs. C’est pas méchant. » Shym explique que ce type de réflexions la fait rire et ne la met pas mal à l’aise, pour autant qu’elles viennent de garçons qu’elle fréquente quotidiennement.
Les relations de confiance, les confidences sont-elles possibles avec un garçon autant qu’avec une fille ? Pour Julie, c’est plutôt oui, mais ça dépend avant tout du garçon. « Certains s’en foutent et ne nous calculent pas, alors que d’autres nous écoutent et se comportent vraiment en amis ». Shym intervient : « C’est pareil pour les filles, ça dépend de la personne… »
Et les frères dans tout ça ?
Anissa fait la moue. « Maintenant, ça va, mais il a fallu le temps. Avant, par exemple, dès que mon père était absent, mon frère voulait prendre le rôle de chef de famille et décider pour moi. Aujourd’hui, à force, je suis parvenue à ce qu’il ait confiance en moi. »
Entre conviction et féminité
Anissa porte le voile. « Une décision personnelle » dit-elle. Dans l’école, le voile est autorisé, mais depuis peu, une consigne précise que celui-ci doit être porté « à l’européenne », c’est-à-dire vers l’arrière, le visage dégagé. « Mais les rhétos ont l’autorisation de le porter comme elles veulent, parce que c’est la dernière année et que cette consigne est récente » explique Dunya. D’après elles, environ la moitié des filles de l’école portait le hijab l’an dernier, mais beaucoup de filles auraient depuis changé d’établissement à cause de cette obligation de porter le voile « à l’européenne ». Shym raconte : « Tout un groupe de filles voilées sont allées trouver les responsables de l’école avec une pétition, et c’est comme ça qu’ils ont décidé que les réthos pourraient continuer à le porter comme avant ».
Pour Anissa, le port du voile est une affaire de croyance, de conviction, de choix. Ce qui ne l’empêche pas d’assortir son hijab à sa tenue, et de le considérer comme un élément à part entière de sa féminité.
Un peu d’ontologie…
Jeunes filles… Pas encore
femmes, mais plus petites filles. Mais encore ?
Shym se lance : « On est à une sorte de frontière, et on est alternativement d’un côté et de l’autre de cette frontière. On peut être tout à fait insouciantes, et l’instant qui suit, si la situation l’exige, faire preuve de maturité et de bon sens. » Les trois copines acquiescent.
Aucune ne semble pressée de devenir une femme à part entière. « On vit chaque jour à la fois », dit Julie, « en profitant de ce qui se présente ».
Et la maternité dans tout ça ? Le mouvement est unanime. « On en parle beaucoup entre nous », affirme Anissa. « On envisage le nombre d’enfants qu’on voudrait avoir » poursuit Julie, « et les prénoms qu’on leur donnera » continue Dunya. Pour Shym, la décision d’avoir un enfant ne se prend pas à la légère : « C’est une étape importante, parce qu’on choisit de se consacrer à un enfant pour la vie, et il faut alors savoir où sont les priorités entre le travail, la famille… ». Julie ajoute : « On parle aussi beaucoup de l’accouchement, et des douleurs qui vont avec… C’est un peu paniquant. » Pour Anissa et Shym, la femme enceinte est belle par essence. On sent de l’émotion dans leur voix quand elles en parlent.
Avec les garçons, le sujet n’est pas tabou, mais elles s’accordent pour considérer que c’est plutôt gênant d’en parler avec eux. Et puis, ça les intéresse peu, en définitive. Ou différemment… « Eux, ce à quoi ils vont penser, c’est le côté matériel : la poussette qu’il faudra acheter, la voiture… » lance Julie, amusée. Shym ajoute : « Oui, ou alors ils disent que notre corps va changer, qu’on va grossir, tout ça… »
Période privilégiée de la vie ?
« Oui, c’est clair, quand je vois mes frères et sœurs aînés, les difficultés qu’ils ont, parfois…Le chômage, tout ça… Nous, on n’a pas tous ces problèmes » commence Anissa, et Julie de poursuivre : « Moi, j’ai peur de ne pas arriver à gérer, à payer toutes mes factures, et puis devoir demander de l’aide à mes parents… Je trouve que si on décide de quitter ses parents pour vivre sa vie, il ne faut pas après revenir sans arrêt vers eux quand on a un problème ».
Si elles peuvent rêver de davantage de liberté et d’autonomie, aucune n’envisage de quitter le nid familial avant la fin des études, et, pour la majorité, avant d’avoir trouvé le mari ou le compagnon idéal. L’idée même de vivre seule ne semble pas les effleurer.
La vie en pyjama
En attendant, dans leur vie de jeune fille d’aujourd’hui, comment se définit le quotidien ? Quels loisirs? Quelles habitudes ?
« Shopping » lance Anissa. Et toutes rigolent, complices. « On aime se retrouver entre nous, se balader, faire les magasins, aller au cinéma, s’organiser des petites soirées… » explique Julie. Et toutes les quatre d’une seule voix : « Et les soirées pyjama ! » Shym, elle, a une passion pour le chant. « Je chante tout le temps, partout. Et avec un ami, on compose des chansons » dit-elle. Les boîtes, les soirées techno, tout ça, les filles ne connaissent pas encore. « A partir du moment où on a reçu telle éducation, on connaît les limites, et on sait ce qu’on peut faire ou non. Alors ça ne nous manque pas… On n’y pense même pas. »
Les filles entre elles ? Solidaires ou mesquines ? Les quatre copines sont nuancées. D’un côté, elles avouent que les filles entre elles ont tendance à être hypocrites et jalouses, plus que les garçons entre eux. Une sorte d’inclinaison naturelle aux « coups en douce», comme elles disent. Mais par ailleurs, elles ont des amitiés sincères entre filles qui comptent beaucoup pour elles, des relations basées sur la loyauté, la complicité et l’écoute. Julie raconte : « Quand Dunya est absente, par exemple, je suis toute perdue. L’autre jour, c’était le cas, et je ne suis pas venue à l’école ».
Et les amours ? Les filles se font discrètes. Leurs «flirts », elles les vivent plutôt en dehors de l’école, et ne semblent pas prêtes à en parler.
L’année scolaire
se termine très bientôt et, l’an prochain, chacune suivra sa direction, dans une autre école, à l’aube de sa vie d’adulte. Anissa conclut : « On sait que l’an prochain, on ne se verra plus tous les jours, que tout va changer, et c’est pour ça que cette dernière année, depuis le début, on en profite au maximum ! »