Valentine et Maëlle ont 21 ans. Elles sont jumelles. Lucille, la cadette, a 19 ans. Valentine termine brillamment des études d’infirmière. Maëlle, après des humanités techniques en hôtellerie, a commencé les mêmes études que sa sœur, puis a arrêté. Elle pense peut-être se réinscrire pour un A2 en infirmière en septembre. Lucille, elle, après une demi-année de kiné à l’unif, a décidé de prendre un peu de temps pour réfléchir, et va sans doute faire une formation privée en ostéopathie.
Valentine et Maëlle sont des jumelles hétérozygotes. Leur complicité est évidente, mais tout, dans leur physique, leurs attitudes, leurs perspectives de vie, semble les séparer.
Valentine raconte : « Depuis toujours, on est très différentes, mais aussi très complémentaires. Parfois, ça fait des étincelles, mais ça ne dure jamais longtemps. Moi, je suis d’un tempérament plutôt angoissé, je suis une perfectionniste, limite maniaque, alors que Maëlle, elle, c’est un peu le joyeux bordel ! » Maëlle reprend : « Oui, c’est vrai que je suis un peu bordélique. Ma vie n’a rien d’une ligne droite, et il suffit de voir ma chambre et celle de Valentine pour comprendre les différences dans nos caractères et dans nos vies ». Lucille lance, moqueuse : «Ta chambre ? Il faudrait encore pouvoir y entrer pour la voir ! »
Plus profondément, alors qu’elles ont le même âge, à une minute près, Valentine semble déjà avoir entamé sa vie de jeune femme, alors que Maëlle se définit davantage comme une jeune fille. Maëlle raconte : « Valentine, elle, est en couple depuis presque trois ans, et quand je les vois vivre, tous les deux, c’est fou comme ils sont raisonnables… Pour les embêter, je les appelle « papy et mamy». Mais au fond, je respecte tout à fait leur façon de construire leur couple et leur avenir ». Valentine et son ami, Nicolas, ont déjà acheté leur propre maison. Chaque week-end, depuis plus d’un an, ils y travaillent d’arrache-pied : maçonnerie, plafonnage, électricité… Pendant que la plupart des amis de leur âge se baladent et sortent en boîte, ils mettent un point d’honneur à faire leurs travaux eux-mêmes, avec leurs petits moyens. Valentine sourit : « Parfois, c’est vraiment dur, après une semaine de cours ou de stage en milieu hospitalier, ce qui est déjà assez éprouvant physiquement et nerveusement, de devoir plonger les mains dans le plâtre plutôt que pouvoir se consacrer à des loisirs. Mais c’est un choix. J’ai envie d’avoir mon indépendance, et mon environnement, mon chez-moi, c’est très important. Pour Nicolas aussi. Alors on a décidé d’en faire une priorité. » Maëlle fait la moue : « Tout ça, c’est très bien, mais moi, parfois, j’ai peur qu’elle se rende compte, dans quelques années, qu’elle est passée à côté de ses plus belles années. Notre âge, c’est quand même une période privilégiée, et je crois qu’il faut en profiter un maximum. Les ennuis, les responsabilités, tout ça, ça viendra bien assez vite… » Valentine rétorque, illico : « Tu n’as pas tout à fait tort, et nous-mêmes on se pose parfois cette question, mais d’un autre côté, toi, tu as aussi tes contradictions : tu veux être libre, sortir quand ça te chante, organiser tes horaires comme tu l’entends, mais en attendant, tu vis toujours chez papa et maman, sans accepter leurs conditions. Il faudra bien que tu prennes ton envol… » Pour l’instant, Maëlle travaille dans un restaurant de fine gastronomie, et gagne assez bien sa vie. Mais, comme elle l’avoue elle-même, elle a du mal à gérer ses finances. « Quand j’ai envie d’un truc, je fonce. Je suis du genre « carpe diem », je me dis que l’argent, ça sert à être dépensé, et à se faire plaisir, mais parfois c’est clair que ça me met dans de drôles de situations. Quand on gagne bien sa vie, qu’on vit chez ses parents, et qu’on se retrouve malgré tout à devoir leur emprunter des thunes, ou aux autres membres de la famille, ça fait réfléchir… »
Maëlle est, comme le dit sa sœur Lucille, « la fille de tous les
excès ». Lucille raconte : « Elle a déjà fait deux accidents de voiture assez graves, genre tonneaux et bagnoles déclassées… Elle roule beaucoup trop vite. Nous, quand on sait qu’elle sort le soir et qu’elle prend sa voiture, on flippe à fond… Une autre fois, elle a fait une sorte de coma éthylique avec convulsions, et on l’a retrouvée aux urgences, en plein milieu de la nuit. Ma mère a été réveillée par un infirmier, elle était complètement affolée… C’est comme ça, Maëlle… On doit toujours s’attendre à tout, avec elle. En plus, autant elle peut être hyper-généreuse, autant elle peut être hystérique et plonger la maison dans un tourbillon de folie furieuse. Avec les parents, et avec nous aussi, d’ailleurs, elle peut vraiment être insultante, et le mot est faible… Mais elle a un grand cœur, ça c’est clair, et du coup, on ne peut jamais lui en vouloir longtemps » Elle passe la main autour du cou de sa sœur et l’embrasse sur la joue. Maëlle sourit et enchaîne : « C’est clair, je peux être insupportable. Mais quand j’ai quelque chose sur le cœur, il faut que ça sorte ! Valentine, elle, garde tout pour elle, et elle se fait du tort. Plus tard, elle aura des ulcères, c’est sûr ! Et puis, son côté maniaque est aussi difficile à vivre, parfois. Elle aussi, est excessive, quand elle pique une crise si on a oublié une assiette sur la table, non ? » Valentine opine : « Oui, c’est vrai, je suis une terroriste de la propreté, et j’emmerde ma famille avec ça. Mes parents eux-mêmes en ont marre de me voir scruter le moindre grain de poussière. D’autant que dans une famille de six personnes, c’est difficile de maintenir la maison impeccable tout le temps… J’en suis consciente et je me soigne… »
Comment les jumelles vivent-elles le regard des autres ? La comparaison est-elle systématique ?
« Oui », lance Maëlle, « en tout cas, à l’école, quand on était encore ensemble, au début des secondaires, c’était vraiment énervant. D’autant que, côté études, Valentine a toujours réussi avec les honneurs, et moi, j’ai toujours dû ramer pour y arriver… » Lucille ajoute : « Aujourd’hui qu’elles sont plus grandes, on les compare moins, mais avant, c’est vrai que ça arrivait tout le temps, et à propos de tout : du poids, de la taille, de leurs petits amis… Moi, je ne sais pas si j’aurais supporté… » Valentine précise : « D’un côté, on nous comparait, mais de l’autre, on nous considérait aussi comme une entité… » Lucille enchaîne : « Oui, ça c’est clair. Moi, je me suis souvent sentie isolée. Déjà, je suis plus jeune, et en plus, je me sentais seule contre elles deux. Même si elles m’ont toujours témoigné de l’affection, il y avait toujours Valentine et Maëlle d’un côté, et Lucille de l’autre… Par exemple, longtemps, elles ont partagé leur chambre, alors que moi j’étais seule dans la mienne. Le soir, je les entendais rire, et moi je brûlais de les rejoindre… »
La problématique soulevée par Lucille fait réagir ses sœurs. « Tu ne nous as jamais dit ça », s’étonne Valentine. « Pourquoi tu ne venais pas nous rejoindre, justement ? » questionne Maëlle… Lucille reprend : « J’ai essayé de vous en parler, mais je n’avais pas envie de passer pour la petite qui se sent incomprise, une fois de plus. C’est déjà pas facile d’être la plus jeune. On n’a pas beaucoup de différence d’âge, mais même deux ans, dans l’adolescence, ça change tout. Quand vous avez eu vos règles, vous en faisiez toute une affaire et moi, je me sentais exclue, j’avais le sentiment que ça ne m’arriverait jamais, ou dans si longtemps… Puis l’âge des premiers amoureux. Je savais. Je voyais ce qui se passait. Mais vous me mainteniez en dehors. Ce qui est normal, je suppose. J’étais encore une gamine de douze ans, alors que vous, vous étiez déjà de petites jeunes filles, avec tous les changements que ça implique. » Valentine et Maëlle semblent émues des propos de leur sœur. Lucille conclut : « Faites pas cette tête, c’est loin, tout ça. Aujourd’hui, moi aussi je suis une jeune fille, et je suis même la plus belle
et la plus sexy des trois », lance-t-elle en riant. «Non, sans blague » ajoute-t-elle, « aujourd’hui, je me sens proche de vous deux, et on rigole bien toutes les trois. Mais je sais aussi que l’entité Valentine-Maëlle existera toujours, et j’ai accepté et intégré l’idée que je ne pourrai jamais avoir ma place dans cette entité-là. Il y a vous deux, d’un côté, et votre gémellité, moi, de l’autre, et puis nous trois, trois sœurs… »