« Art. 137. Constitue une infraction terroriste, l’infraction […] qui, de par sa nature ou son contexte, peut porter gravement atteinte à un pays ou à une organisation internationale et est commise intentionnellement dans le but d’intimider gravement une population ou de contraindre indûment des pouvoirs publics ou une organisation internationale à accomplir ou à s’abstenir d’accomplir un acte, ou de gravement déstabiliser ou détruire les structures fondamentales politiques, constitutionnelles, économiques ou sociales d’un pays ou d’une organisation internationale. » (2)
Contrôle de constitutionnalité (3)
La loi sur les infractions terroristes votée dans l’indifférence quasi générale pose de nombreuses questions en ce qui concerne la protection des droits et libertés fondamentales. Cette loi enfreint le principe constitutionnel de légalité (pas de peine sans loi) dans la mesure où, par son manque de clarté, d’accessibilité et de prévisibilité, elle laisse aux juges un pouvoir d’interprétation beaucoup trop large. L’infraction doit pouvoir « porter gravement atteinte à un pays ou à une organisation internationale ». Il s’agit de juger l’éventualité d’un acte, ce qui est flou et non prévisible. Tout individu qui serait susceptible de commettre pareil acte devrait pouvoir prévoir son caractère terroriste en se référant à une énumération des modes par lequel son acte peut porter atteinte à un pays. La référence au « contexte », par essence changeant et subjectif, n’aide pas non plus à définir la nature terroriste de l’acte. De même, l’intention est un élément moral trop vague pour qu’une personne puisse déterminer dans quel cas elle est susceptible d’être visée ou non. Or, si l’intention rejoint une seule des trois hypothèses dont on va débattre, elle deviendra une infraction terroriste. Les termes de ces intentions « intimider gravement une population », « contraindre indûment les pouvoirs publics ou une organisation internationale » et « gravement déstabiliser ou détruire les structures fondamentales politiques, constitutionnelles, économiques ou sociales d’un pays ou d’une organisation internationale » sont particulièrement flous et contextuels, ce qui permet au juge de trancher selon ses critères.
Les conséquences sur les peines et les méthodes d’enquête sont sensiblement différentes si les délits sont dits « terroristes ». Le fait d’être soupçonné de terrorisme implique une aggravation des peines (par exemple, les amendes deviennent un emprisonnement de un à trois ans). Or, il faut savoir qu’un mandat d’arrêt ne peut être délivré que si les faits sont de nature à entraîner un emprisonnement correctionnel d’au moins un an. La détention préventive sera donc applicable à toutes les infractions terroristes.
La loi rend applicable des méthodes d’enquête spéciales très agressives pour la vie privée, par exemple le contrôle du courrier, la récolte de données bancaires, les écoutes téléphoniques, l’écoute directe, le contrôle visuel discret (visite de votre domicile à votre insu), l’observation à l’aide de moyens techniques afin d’avoir une vue dans une habitation, l’infiltration (un agent en civil devient pote avec un terroriste), l’utilisation de témoins anonymes et l’enquête proactive (qui permet d’utiliser toutes ces méthodes avant que l’infraction ne soit commise).
Dérapage contrôlé
Les nouvelles infractions terroristes risquent de servir à accroître les pouvoirs policiers d’enquête sans qu’aucun contrôle ne soit possible. Les recherches pourront concerner des activités qui ne sont suspectes qu’à leurs yeux. Elles permettront la découverte inopinée d’infractions concrètes mais sans rapport avec le terrorisme. Comme le disait Watzlawick, le meilleur moyen d’échouer, c’est de trouver l’ultra-solution (4) : ici, des lois anticonstitutionnelles contre la terreur ! En France, si, après jugement, la circonstance aggravante de bande organisée liée à la procédure d’exception n’est pas retenue, les actes régulièrement accomplis n’
annulent pas les poursuites. Dès lors, la procédure spéciale prévue pour terrorisme peut être utilisée pour n’importe quel type de délits. En Suisse, le système Janus permet de traiter des informations relevant non seulement des suspects, mais aussi des personnes qui entretiennent des relations avec eux. En Belgique, il semblerait qu’un groupe de gauche aux idées pouvant « gravement déstabiliser […] les structures fondamentales politiques […] d’un pays » fasse l’objet d’une enquête spéciale par le groupe « Terrorisme » de l’Union européenne. Ce groupe liégeois serait en mesure de construire une bombe de type C4. Or, la fabrication d’armes nucléaires constitue une infraction terroriste (Art.137, § 3, 3°). De plus, les surnoms de ces activistes semblent révélateurs de leurs intentions malveillantes : Antaki Takité, Ben la daine, Frisé Dingo, Nat la rouge, Vince la censure, …