Le juge : – Vos actes démontrent votre intention de « contraindre indûment les pouvoirs publics et une organisation internationale », en l’occurrence l’Otan, à modifier leur politique de participation à la guerre, c’est-à-dire, « à s’abstenir d’accomplir un acte ». Pour ce faire, vous avez commis une infraction en participant à « la dégradation massive d’une propriété privée ayant pour effet de produire des pertes économiques considérables ». Il s’agit d’un acte terroriste.
— Je ne le pense pas. J’ai uniquement manifesté devant l’Otan.
— Mais certains des membres de votre groupe sont rentrés, ont cisaillé une clôture et au passage des pneus de véhicules ont été crevés et des vitres cassées. Les montants des dégâts sont importants. Vous êtes donc passibles d’une peine d’emprisonnement de 15 à 20 ans si vous êtes l’auteur des faits et de 5 à 10 ans si vous êtes membre du groupe (1).
— Cela fait quelques mois que je suis en détention préventive.
— Bien sûr, un mandat d’arrêt a été délivré contre vous, vous mettez la population en danger.
Un bruit strident me vrille les oreilles : le réveil. Ouf ! Ce n’était qu’un cauchemar ! La manif a lieu demain. Nous ne pouvons pas être jugés pour une simple manifestation pacifiste dans un état démocratique. Nous avons droit à la liberté d’expression et de manifestation. Nous pouvons critiquer la politique du gouvernement. Des sonneries intempestives à la porte mirent court à mes réflexions. « Nous vous prions de nous suivre » dit l’un des policiers quand j’ouvris la porte, tandis que les autres me bousculaient afin d’entrer. Alors qu’ils me passaient les menottes, les autres commençaient déjà à fouiller l’appartement. « Vous êtes suspectée d’actes terroristes. »
— Mais qu’ai-je fait ?
— Rien encore mais seule l’intention compte, mieux vaut prévenir que guérir. Si vous êtes innocente, vous nous remercierez d’avoir veillé à votre sécurité et celle de vos proches. Nous savons que vous organisez une manif anti-guerre. Nous avons légalement pu surveiller vos faits et gestes, vos contacts et enregistrer vos conversations. Votre mère est déjà au poste.
— Ma mère ?
— Selon l’article 141, fournir les moyens matériels ou une aide financière sans connaître le but du groupe entraîne une réclusion de 5 à 10 ans. Or votre mère verse mensuellement de l’argent à votre groupe.
— C’est pour payer les photocopies des tracts !
En passant dans la rue déserte, à travers les fenêtres grillagées du fourgon, j’aperçus une affiche du parti au pouvoir, le Parti Démagogique Populiste. A côté du sourire carnivore du Premier ministre, Guy Lehaut-Etat, était écrit « Votez PDP, le parti qui vous protège de vous-même, car nul ne sait de quoi vous êtes capable ! ». Une fois de plus, la réalité dépassait la fiction. Mais ce coup-ci, je sentis qu’il allait s’avérer bien plus compliqué de sortir du cauchemar.