Qui ne se souvient pas d’avoir un jour assisté à des menaces adressées à un commerçant ?… « Je vous préviens : si vous ne me remboursez pas, j’écris à Test-Achats. Et vous allez voir ce que vous allez voir. Votre réputation va en prendre un sale coup. Et na ! »
L’association de consommateurs fondée par quelques bénévoles en 1957 est-elle ainsi la vengeresse des lésés du monde-marchandise ? Peut-elle au nom de vos congénères porter vos petits coups de râle sur la place publique ? De même, avec son indépendance proclamée, va-t-elle dénoncer avec verve les produits hi-fi défectueux, les arnaques du télémarketing et les poulets gonflés à l’eau ? Est-elle capable de vous mener à l’achat heureux car, comme le précise son site web, « un mauvais choix est synonyme de déception ou de pertes financières, sans parler de risques liés à un produit défectueux » ?
C4 ne testera pas ici pour vous Test-Achats. Relayer la discussion que nous avons eue avec Jean-Philippe Ducart, son responsable de communication, esquissera simplement un portrait.
300 000 demandeurs.
Test-Achats, c’est plus de 300 000 abonnés/membres en Belgique, trois magazines distincts (Test-Achats, Budget & Droit et Test-Santé), un site web et aussi une équipe de conseillers qui reçoit entre 150 000 et 200 000 lettres et coups de téléphones annuels.
« Notre rôle est double. Tout d’abord, nous sommes un organe d’information, vu comme fiable par le public. Ensuite, nous sommes un organe de pression pour faire changer les choses. En tant qu’association de consommateurs, nous devons être présents dans un certain nombre de dossiers. Nous recevons sans cesse des demandes de nos membres en ce sens et restons à leur écoute. Nous observons toutefois de leur part un besoin de plus en plus fort d’une information et d’un service davantage personnalisé. Pour certains, indiquer le maître-achat (meilleur rapport qualité/prix) n’est plus suffisant : il faut leur dire où l’acheter, voire même l’acheter pour eux ! »
Test-Achats négocie aujourd’hui des avantages pour ses membres, comme des achats d’assurance et réductions chez certains commerçants. La pratique peut interroger alors que l’Asbl affirme une indépendance radicale. De même, ses techniques de démarchage (télémarketing, cadeaux, offres de mois gratuits sans mention des tarifs ultérieurs…) sont étonnantes. Comme nous le dit un abonné : « Ils sont les premiers à appliquer ce qu’ils dénoncent. Néanmoins, si je trouve qu’ils sont parfois à côté de la plaque, leurs enquêtes sur la santé sont des plus utiles. »
Relais de la grogne
Si elles sont minoritaires les expressions de grogne demeurent une part importante des relations entre Test-Achats et ses membres. « Beaucoup attendent que Test-Achats « rentre dans le lard ». Nos enquêtes montrent d’ailleurs que l’on voudrait nous voir davantage présents, que nous soyons des porte-voix. Mais nous ne pouvons tout prendre. Par exemple, on nous écrit pour dénoncer le travail de tel et tel politicien. Or, notre philosophie n’est pas d’être des censeurs. Et nous ne publions des informations qu’après enquête. Ce n’est pas pour ça que nous n’attaquons pas des politiciens dans des situations circonstanciées. »
« Il y a, c’est vrai, une attitude de délégation… Les gens ont confiance en nous et veulent nous faire faire des choses. Il n’y a pas d’implication militante comme il a pu y en avoir il y a 15 ou 20 ans. C’est un peu : Vous le ferez bien à notre place. Faites-le et tout ira bien ! »
Partant de cette attitude délégatrice, on parle à J-P Ducart de l’interprétation péjorative de la notion de consommateur : cet être passif incapable de s’impliquer autrement que par voie monétaire. Selon lui, il ne faut pas donner à la notion de consommateur plus d’importance qu’elle n’en a. La protection va dans ce sens. Il faut voir les difficultés financières rencontrées par de nombreux foyers, leur simple préoccupation de « joindre les deux bouts », de ne pas « se faire avoir ». Trop souvent face à des sollicitations
commerciales, et ignorant encore beaucoup de choses, le consommateur est concrètement fragilisé. Et c’est en son nom que Test-Achats grognerait objectivement sur la place publique.
Et l’immatériel ?
A une échelle toute différente et dans un autre style, Bernard Hennebert fait également du lobbying pour une consommation plus heureuse. Son créneau à lui : la culture et les loisirs.
« A force de dire que ce ne sont pas des marchandises comme les autres, l’usager se voit très souvent nier ses droits. Pourtant il a face à lui des industries et des pouvoirs publics ! »
Si le site Internet qu’il a mis en place (à accès gratuit, contrairement à Test-Achats) s’appelle « Consoloisirs », Hennebert préfère toutefois la notion d’usager. Et il invite celui-ci, partie prenante, à l’action citoyenne : le citoyen doit peser sur le politique pour que celui-ci établisse un cadre assurant les meilleurs droits pour tous. « Souvent l’on croit qu’il faut forcément être beaucoup pour obtenir des changements. Mais c’est quoi beaucoup ? Il y a peu, un responsable de la STIB parlait d’un nombre considérable de plaintes reçues par la société suite à une décision. Ces plaintes avaient abouti à un revirement de position. Et c’était quoi ce nombre considérable ? 35 ! On nous bassine les oreilles avec des chiffres significatifs à cinq zéros. Cela nous met dans des états d’esprit totalement fatalistes. Or pour agir, il suffit d’un peu d’intelligence, d’atteindre les bonnes personnes avec une revendication qui est une proposition claire. Il faut y aller petit à petit, en cherchant non son intérêt particulier mais celui du plus grand nombre. Cette activité est pour moi un hobby, c’est-à-dire que j’y consacre temps et passion. Et mes pratiques sont de plus en plus performantes. »
Hormis une rubrique dans le Ligueur et quelques animations, enquiquiner la galerie est en effet un hobby essentiellement bénévole pour Hennebert. Et cela fait bientôt trente ans qu’il gueule poliment, sans hausser la voix et en obtenant des résultats pour la défense des droits de l’usager/consommateur de loisir. C’est que celui-ci est selon Hennebert de plus en plus « exploité » et « lésé » : prix de spectacles en hausse constante, déplacements de dates sans remboursement, œuvres absentes des musées ou des expositions (alors qu’elles en constituent parfois l’affiche), non-mention des réductions légales, de play-back partiel (toute la partie instrumentale des nouvelles Comédies Musicales Françaises), du caractère payant des services 0900 (p. ex. : le Chat à Autoworld) ou du différé de certains programmes (or cela change la teneur des propos tenus)…
Il mène ses combats parfois seul, parfois en bande. Il a ainsi été à la tête de l’A.T.A., l’association des téléspectateurs actifs qui s’est dissolue en 2002 estimant avoir atteint suffisamment d’objectifs : genre, l’obligation par décret pour notre RTBF nationale (oups ! pardon, communautaire) de mettre en place un journal pour enfants, de même qu’une signalétique claire sur la violence ou encore de répondre de manière motivée endéans les trente jours à tout courrier qui lui est adressé…
L’A.T.A., c’était une poignée d’actifs, 200 sympathisants cotisants et un journal envoyé gracieusement à 600 décideurs et professionnels. Ajoutez à cela quelques interpellations, une stratégie posée et évolutive et vous obtiendrez ces résultats éclatants. Si vous voulez un modus operandi plus précis, vous pouvez vous rabattre sur « Mode d’emploi pour téléspectateurs actifs » où Hennebert vous dira tout. Et gratuitement, errez donc sur www.consoloisirs.be où sont notamment archivés tous les numéros du journal de l’A.T.A.
Terminons par une anecdote. Il y a quelques années, Pascal Sevran se servait régulièrement de son émission télé pour faire la promotion de ses disques. Outré et bien informé, Hennebert tuyaute alors Noël Godin et « commande » un entartage. Succès ! Si ce n’est que Godin affirme que la raison de l’attentat était la légion d’honneur de Sevran. Et Hennebert de nous dire sa déception. Quand je lui ai demandé s’il se
sentait dès lors un consommateur lésé par l’entarteur, il a préféré sourire…