Ainsi parlait Zarathoustra

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Astre d’or

« Astre d’or », c’est ainsi que les Grecs ont désigné le prophète iranien Zoroastre plus connu sous le nom de Zarath(o)ustra, qui signifie, en persan, « celui à la lumière brillante ». A l’âge de 30 ans, il quitte son pays pour une longue retraite durant laquelle il communique avec Ahura Mazdâ dont il reçoit la révélation sur une montagne mythique. Grâce au soutien d’un prince protecteur, il transmet à une population majoritairement agricole son culte pour la divinité : un Dieu suprême, créateur et omniscient.
C’est une véritable révolution théologique dans un pays où le polythéisme fait loi depuis des siècles. De plus, l’originalité de Zarathoustra se caractérise par une conception anthropologique de l’homme vu comme un être doué de libre arbitre qui peut choisir entre la « lumière » (le Bien) et le « mensonge » (le Mal).

Il n’en fallait pas plus au prophète pour rentrer dans l’Histoire et entretenir le mythe quant à ses origines. Etait-il simple paysan ou issu d’une riche famille d’éleveurs ? A quelle période a-t-il exactement vécu ? Aux environs de – 1400/1200 ou plutôt sept siècles avant Jésus-Christ ? La légende se poursuit même jusqu’à sa mort qui n’est sans rappeler celle d’un autre « envoyé de Dieu » ; poignardé par un traître, il aurait été mis en pièce par des loups-garous…

Zarathoustra est considéré comme un sage (au point qu’il sera le héros d’un poème philosophique de Nietzsche). Par la sacralisation du bovin, il interdit la pratique de sacrifices, très courante à l’époque, au profit de sacrifices « humains » de mauvaises pensées, paroles et actions. De même, il instaure un culte au Dieu unique Mazdâ (d’où l’autre appellation du zoroastrisme : mazdéisme), qui est considéré comme la lumière des étoiles et le soleil qui permet la vie dont la vertu suprême est le Bien, opposé aux Ténèbres, au Mal qui refuse cette Lumière. Cette religion dualiste s’est expatriée en Inde, sous le nom de Parsisme, lors de la conquête arabe de l’Iran, et, donc de l’islam. Cependant, malgré une coexistence difficile entre les deux religions monothéistes, chacune d’elles a survécu et s’est répandue au-delà du continent originel.

Au centre de la croyance

La religion yézidie se définit par le respect du Bien et l’éloignement du Mal. Elle prêche une morale d’action fondée sur la certitude du triomphe de la justice. Un yézidi doit respecter trois principes essentiels : il doit connaître les prières, ne pas mentir et tâcher d’être tout au long de sa vie un homme honnête. Et si la santé le lui permet, effectuer un pèlerinage dans le temple de Lalisê en Irak. Il doit aussi vouer sa vie à la communauté et cela à l’échelle planétaire : le Bien est avant tout accompli pour l’autre. Il faut d’abord se consacrer aux autres avant soi-même, telle est la volonté de Zarathoustra qui voit dans cette philosophie le chemin essentiel à l’aboutissement de l’être humain. Cet accomplissement se conjugue avec le respect du culte de la religion. Les yézidis prient trois fois par jour, le visage tourné vers le soleil. Les défunts sont enterrés face au soleil, de préférence dans leur pays natal. Si la communauté est si importante et exerce une si grande influence, c’est parce que la conversion est impossible. Il faut naître yézidi pour être yézidi, on ne le devient pas.

Les fêtes yézidies

Le calendrier des fêtes yézidies est bien différent du nôtre. Le premier avril est la fête du Soleil. L’étoile est l’équivalent du prophète Zarathoustra : ensemble, ils symbolisent la mère de la vie. Ils incarnent les deux piliers de la croyance yézidie. Alors que chez les musulmans, le ramadan s’étend sur une période continue d’un mois, les Zoroastriens pratiquent durant trois semaines consécutives un jeûne de trois jours, du lever au coucher du soleil. Le quatrième jour, toujours un mardi, clôt ces périodes de jeûne. La fête est à l’honneur : les familles se visitent et partagent leurs repas. La date de la première semaine de jeûne est fixée selon un calendrier
lunaire par les grands maîtres de la religion. Chaque partie du jeûne vénère un symbole. La première semaine est vouée au culte du Soleil, la deuxième aux Sex, les gardiens du Soleil. La dernière semaine est consacrée à Rojiyên Ezi, un membre de la famille du prophète Mahomet. Ce troisième jeûne fut imposé par les musulmans afin de soumettre les zoroastriens qui ne voulaient pas se convertir. « Les musulmans ne nous ont jamais reconnus officiellement. Il y a eu plusieurs grands massacres et ce n’est qu’après celui de 1832 qu’enfin une légitimité nous a été accordée, à condition d’honorer un membre de la famille de Mahomet », explique un Yézidi.

Liège, terre d’accueil pour les fidèles de Zoroastre

La communauté yézidie (ou zoroastrienne) et bien implantée dans la ville de Liège : une cinquantaine de familles se sont installées dans la cité ardente. C’est le principal lieu d’immigration en Belgique pour ces Kurdes un peu particuliers. Le choix du lieu d’immigration correspond à une appartenance géographique commune entre ces familles. Ainsi, par exemple, lorsque certains habitants d’une localité décidaient de s’établir en Europe, ces pionniers jouaient en quelque sorte un rôle de découvreur de terrain. C’est pourquoi la communauté yézidie de Liège vient presque totalement d’une même région du sud-est turc. D’autres groupements zoroastriens se sont installés en Allemagne où résident 500 familles. Bien sûr, la communauté liégeoise entretient des liens avec ses sœurs d’Allemagne. Les rencontres se font surtout à l’occasion des fêtes yézidies.

Rencontre avec la communauté yézidi de Liège.

Dans la salle du centre culturel yézidi, rue de Porto, à Droixhe, les voix et les rires résonnent. Ici, n’importe quel kurde est le bienvenu. Ce dimanche, il n’y a que des hommes. Ils jouent aux cartes, aux dames et au rummy tout en égrenant un chapelet. « Ce n’est pas le chapelet des musulmans, c’est juste pour passer le temps », explique l’un d’eux. A Liège, ils sont à peu près 250 yézidis, tous plus ou moins parents ou originaires de la région de Mardin. Depuis bientôt trois ans, ils se rassemblent dans cette salle. Le but de leur association est de perpétuer le culte yézidi dans la communauté. Ils organisent aussi des activités pour les jeunes du quartier : ils ont créé un club de football et espèrent bientôt équiper la salle de quelques ordinateurs. Des kurdes musulmans fréquentent également le lieu. Il faut le préciser : cette communauté est prioritairement kurde, la religion de ses membres passe en second plan et il n’y a pas de tiraillements entre les deux parties sur les questions religieuses (en Syrie, les tombes yézidies sont parfois mélangées aux musulmanes avec pour seule différence une orientation est-ouest, au lieu d’être tournées vers La Mecque). Cela dit, les Kurdes de confession zoroastrienne ne reconnaissent pas leurs frères de l’islam comme de vrais musulmans, puisque ces derniers étaient forcément zoroastriens auparavant (le mazdéisme étant antérieur au prophète Mahomet). Même au niveau de l’islam, il existe des spécificités propres aux Kurdes. Ainsi, leur nouvel an se situe à une date fixe du mois de mars, contrairement à celui des autres musulmans qui se décale d’environ dix jours par année. A cela s’ajoute la diversité des communautés et des dialectes au Kurdistan. Cette complexité linguistique et religieuse ne peut évidemment que compliquer la tâche de cette communauté pour retrouver ses origines, d’autant qu’elle est désormais loin de sa terre natale. Pour le professeur Önhan Tunca, spécialiste de langues orientales à l’Université de Liège, une chose est sûre, c’est que les variantes de la langue kurde ont une origine commune : le groupe linguistique indo-européen. Les raisons de leur arrivée en Europe coïncident avec la situation difficile que vit cette communauté sur ses terres d’origine. En Iran, haut lieu d’actualité internationale, les Yézidis ne sont pas reconnus. En Turquie, état laïque et très unitariste, leur religion n’est pas non plus reconnue, mais ils y subissent une pression
du fait de leur appartenance ethnique. Pour ce qui est de la Syrie, « il s’agit d’un état unitariste et dictatorial, mais où l’édifice des différentes communautés tient solidement en place », confie le professeur Tunca. Il ajoute qu’il y a une tension latente entre la population arabe citadine et une population kurde plus rurale. Les fêtes zoroastriennes n’y sont pas reconnues officiellement. « Finalement », nous confie un membre du local de Droixhe, « l’Irak est le meilleur des trois pays. Notre religion y a été reconnue par Saddam, avec les jours de fêtes yézidies officiellement fériés, y compris pour les musulmans. Cependant, nous sommes contents que le dictateur soit parti ». Même dans notre pays, leur religion a la vie dure. Il ajoute : « la pratique de ce culte est ici en forte diminution chez les jeunes, plus encore qu’au Kurdistan ». Il faut également signaler que leurs jours de fête ne sont pas reconnus comme des jours fériés par l’état belge, sauf leur nouvel an (également à la date du 31 décembre), dont les chrétiens ont peut-être hérité du zoroastrisme. A moins que ces immigrés de l’Orient aient adopté un modèle occidental de plus !
Celik, 29 ans, est heureux et fier que l’on s’intéresse à sa religion mais il ne veut pas dire de bêtises et surtout pas que l’on pense du mal de sa communauté : « Allez à la bibliothèque, renseignez-vous sur notre religion. Nous, on n’y connaît rien et on ne connaît pas bien le français. On respecte les traditions mais la vraie religion c’est aux maîtres en Allemagne et en Irak qu’il faut la demander ». Agirman a 16 ans. Il vient souvent avec des amis jouer au rummy. « Je suis fier de mon dieu et de ma religion, explique ce jeune yézidi né à Liège. Mais aujourd’hui, beaucoup de jeunes ne respectent pas les traditions, ils veulent faire comme les autres européens. C’est pour ça que l’on a peur de perdre notre religion. »

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