Médiation familiale, médiation de dettes, médiation juridique, médiation commerciale, médiation sociale, médiation bancaire, médiation scolaire, médiation interculturelle… La liste est longue et pourrait continuer encore. Partout et pour tout se développe aujourd’hui cette fonction, cette mission de trouver une voie médiane et pacificatrice entre deux parties en conflit. Si dans nos contrées, le fait de râler, de se plaindre de son sort et de « s’auto-victimiser » est peut-être bien le signe de relâchement du lien social, la médiation peut passer pour une tentative de refondre ce lien. Par une forme de dialogue, de quête d’un langage commun.
Selon un proverbe chinois, repris sur un site de médiation : « Il n’existe pas deux hommes qui ne se comprennent pas mais deux hommes qui n’ont pas dialogué. » Et les médiateurs d’œuvrer donc à cela. Le terme ombudsman est d’origine scandinave où les premières fonctions de médiateurs (au sens contemporain) sont apparues, il y a de cela quelques décennies. Sociologiquement, ce n’est peut-être pas un hasard tant les Nordiques paraissent souvent être des laborantins de la démocratie sociale (qui a dit qu’elle était froide ?).
La notion s’est ensuite étendue dans toute l’Europe, tant par des initiatives privées qu’institutionnelles. C’est sur ces dernières que nous nous attarderons ici, sur les médiateurs mis en place par les parlements pour être un lien neutre et facilitateur entre citoyens et administration. En Belgique, le premier médiateur fut le médiateur flamand, en 1992. En 1994, apparaît son équivalent wallon. En 1995, c’est la mise en place du Collège des Médiateurs Fédéraux qui commencera à fonctionner pleinement à la suite de la Marche Blanche : il y avait un besoin, nous dit Caroline Cosyns, Médiatrice Adjointe de la Communauté Française, de remédier aux dysfonctionnements, de rendre les dispositifs administratifs plus limpides. Rétablir la confiance entre la population et des structures qui, si elles sont théoriquement à son service, apparaissent bien souvent opaques et inefficaces.
Mettre de l’huile dans les rouages
Le principe de la médiation parlementaire est d’offrir une voie de résolution des différends par l’instauration d’une structure indépendante (justifiant simplement ses budgets annuellement ; le médiateur étant lui nommé pour six ans) qui fera gratuitement le pont entre un « réclamant » et les administrations au sens large (comptez parmi elles les sociétés de logements sociaux, de distribution d’eau, la télévision…). Frédéric Bovesse, Médiateur de la Région Wallonne, nous décrit ainsi sa fonction : « Tout d’abord, nous analysons la demande, et voyons si elle correspond à nos compétences. Notre rôle est de mettre de l’huile dans les rouages administratifs : faire circuler l’information, faire des propositions médianes. »
« Le principe de la médiation est que chacun sorte gagnant du processus. Cela doit être valorisant pour les deux parties. C’est la dernière porte ouverte, la dernière chance pour régler un conflit de manière non-contentieuse. C’est important car c’est un processus qui n’enlève rien aux autres, il vient se rajouter entre le processus gracieux et le processus contentieux » Quand on lui demande s’il a une vision sociologique des demandes adressées à ses services, Frédéric Bovesse est réticent : « Je me garde bien de telles interprétations. Car chaque cas est différent pour un médiateur… Je dirai toutefois que beaucoup de gens qui viennent nous voir sont des gens qui s’interrogent et se posent des questions de fond. Si nous avons parfois des gens qui s’expriment de manière violente, cela se passe davantage dans nos permanences décentralisées où viennent des personnesqui ne se sont pas arrêtées pour écrire quelque chose et qui viennent de manière spontanée. Mais ce sont des cas relativement marginaux (…) Pour les considérations générales, je dirai simplement que dans une bonne moitié des cas, nous observons que l’administration a bien fonctionné. Très
souvent toutefois, elle ne s’est pas toujours bien exprimée ou elle a communiqué avec un langage juridique trop complexe. »
« Notre but est de peser sur le gouvernement pour que l’administration s’améliore. Si nous entendons résoudre des problèmes individuels, nous visons au-delà à régler les problèmes dans le sens de l’intérêt général. Quand vient un plaignant, nous l’écoutons mais ne nous approprions pas sa demande. Nous cherchons une vision globale, collectant un maximum d’éléments. Sur le terrain, cela se traduit par un processus de longue haleine qu’est la mise en confiance du citoyen mais aussi de l’administration. Car ce n’est pas une relation abstraite qui se décrète : elle se construit. Ce n’est pas facile pour un fonctionnaire de revenir sur une décision, de laisser quelqu’un d’extérieur pénétrer dans son travail et de le laisser remettre en cause ses pratiques de communication. »
La Médiation ça communique.
Le journaliste cherchant à joindre les médiateurs parlementaires a la tâche relativement aisée. Quelques minutes suffisent pour obtenir un rendez-vous. Le paquet y est mis, semble-t-il, sur l’accessibilité. Et la voix de vos interlocuteurs de vous paraître plus conciliante que partout ailleurs. Cela doit faire partie du métier. La Médiatrice Adjointe de la Communauté Française, Caroline Cosyns, nous a aidé à continuer notre exploration du milieu. Son service est assez jeune, il a débuté ses activités en septembre 2003. Déjà pourtant, les spécificités de la tâche sont ressenties, des dossiers ont abouti (il est rare dans ces cas-là, dit-elle, d’être remercié), d’autres pas.
« Les réclamants ne nous donnent pas toujours tous les éléments, ils nous donnent ceux qui vont dans leur sens… La personne essaie toujours de minimiser certaines choses. Or nous, nous devons faire avec la réglementation. Sinon, ce serait anarchique… Souvent toutefois, traduire simplement une décision suffit à calmer et rassurer la personne qui est dans le désarroi. »
« De plus en plus, l’administration met en place des codes déontologiques imposant par exemple de répondre au citoyen. Cela ne suffit pas toujours, et cela n’est pas encore effectif partout. Pour cela, ici, nous nous donnons un maximum de 5 jours pour envoyer un accusé de réception. Dans certaines administrations, pour des dossiers parfois très important, le citoyen reste dans le vide. Ici, nous disons : oui, vous êtes pris en considération (…) Ce qui nous semble également important dans cette optique est d’informer le réclamant de toutes les démarches que nous posons. Nous appliquons ainsi un suivi continu, informant parallèlement l’administration. »
« Il arrive parfois que bien qu’ayant agi conformément aux règlements, nous demandions à l’administration d’aller au-delà de ceux-ci, à titre exceptionnel. Nous devons prouver qu’il s’agit bien d’un cas exceptionnel, et cela ne fait jurisprudence. C’est important. Le médiateur a ainsi beaucoup d’armes à sa disposition. Mais il s’agit toujours de recommandations et non d’injonctions. L’administration demeure un partenaire (…) Du côté des citoyens, les gens se plaignent d’être considérés comme des numéros. Ils ont l’impression qu’on ne voit pas ce qu’il y a derrière, toute leur histoire. Et là, nous cherchons à innover pour que soient reconnus les cas selon un angle nouveau. Mais souvent, notre rôle consiste à faire accepter une décision, expliquant simplement le pourquoi de celle-ci. Et nous disons la vérité : ici, on tente quelque chose, mais on ne peut pas garantir un résultat. Quand nous ne pouvons prendre en charge un dossier, nous avons tantôt des réactions offusquées, tantôt des demandes à nous voir quand même : les gens veulent simplement être entendus. Il est vrai que quand on voit certains cas, on se dit que c’est incroyable. Et notre rôle se confine alors hélas à renvoyer simplement vers d’autres services comme des médiateurs de dettes. Parfois, on ne sait simplement rien dire. »
L’huile dans les rouages n’est pas l’huile sur le feu. Les procédés de
médiation sont encore de jeunes terres que nos sociétés doivent apprendre à maîtriser. Elles invitent à une implication positive dans ses réclamations ; mais on le sait, une telle attitude n’est pas toujours évidente, voire pas toujours possible. Ces structures rendront-elles à terme les rapports avec les administrations et plus généralement, avec tous nos concitoyens, plus chaleureux et moins râlants ?