Frictions
Marc, 29 ans, débute et est agent de terrain. Jean-Yves, lui, a 40 ans, et travaillait à la BSR avant la réforme, il est aujourd’hui commissaire. Tous deux confient d’emblée qu’être flic, c’était vraiment une vocation, et pas un truc qu’on choisirait par défaut, parce qu’il n’y aurait rien d’autre en rayon… Mais depuis la réforme des polices, ils en ont vu de toutes les couleurs, et le 18 février dernier, ils étaient présents dans les rues de Bruxelles pour manifester.
« La fusion aurait pu marcher, mais on n’en est pas là, hélas. On pouvait comprendre qu’au début, il y a deux ou trois ans, il y aie des ratés dans le système, mais aujourd’hui, il serait grand temps que les choses se règlent et qu’on travaille dans de bonnes conditions », attaque Jean-Yves. Marc insiste : « Oui, il faut bien vous rendre compte que cette fusion n’est pas du tout, vue de l’intérieur, ce qu’elle peur paraître de l’extérieur. Il y a une énorme frustration, et dans pas mal d’endroits, on voit des bâtiments où les ex-péjistes et les ex-BSR occupent des étages différents, sans contact entre eux… Il y a encore pas mal de frictions. Comment voulez-vous qu’une collaboration efficace et véritable le se noue dans ces conditions ? »
« Nos dirigeants sont tous des anciens de l’état-major de la gendarmerie qui se plaisent à fonctionner selon une hiérarchie lourde qui empêche les uns et les autres d’être autonomes », ajoute Jean-Yves. « Oui, c’est assez incroyable, mais il faut savoir qu’entre eux, ces gens, en tous cas certains, s’appellent encore par des grades du genre général ou colonel », confie Marc.
Lourdeurs administratives
Tous deux s’accordent pour dire qu’aujourd’hui, trop de place est accordée à l’administratif et non plus aux enquêtes. « Beaucoup des membres de l’état-major de la gendarmerie ne sont pas formés pour des tâches d’enquête, et on a un peu l’impression que cette importance donnée à l’administratif est une façon de justifier leur place… », commence Marc. « Toute une partie du personnel dont le rôle était d’encoder des données est passé au fédéral, du coup il y a au niveau local tout un travail d’encodage supplémentaire qui est la conséquence de la réforme. En plus, cet encodage est plus lourd qu’avant. Les formulaires ne sont plus uniformes et les fonctionnaires qui constatent un fait ou une infraction doivent consacrer plus de temps qu’avant pour rédiger le P.V. Il y a aussi les R.A.R, des rapports administratifs, qui constituent une charge supplémentaire par rapport au passé » explique Jean-Yves. Et Marc de poursuivre : « Selon une étude récente, le policier consacrerait 28 % de son temps à la gestion administrative de ses dossiers. C’est énorme ! Et puis on nous parle de la nécessité d’une police de proximité. Mais quand le policier est au bureau en train de remplir des formulaires sans fin, il ne peut pas être dans la rue à assurer son rôle social et de sécurité, qui selon moi est bien plus important ! »
Jean-Yves nuance les propos de Marc en expliquant que le temps passé en tâches administratives pourrait être réduit si le système était plus au point. « Certaines infos sont diffusées plusieurs fois, d’autres ne sont pas exploitables, je pense à des photos envoyées par fax, ou d’autres encore sont adressées par erreur. Et puis, certains documents qui devraient être transmis systématiquement ne le sont pas. Et c’est sans compter les problèmes informatiques : des gens pas suffisamment ou pas du tout formés au nouveau système informatique imposé, l’ISLP, et une mauvaise intégration des anciens systèmes informatiques au sein de ce nouveau système. Ajoutons à cela un réseau de machines largement dépassé et trop lent qui doit être remplacé de toute urgence par du matériel performant. Tout ça, vous vous en rendez compte, nous fait perdre un temps précieux, et certaines enquêtes s’enlisent à cause de ce genre de problèmes qui pourraient être résolus. »
Les fausses
solutions
On se souvient du tollé suscité par l’annonce d’une possible attribution de tâches policières à des agents de sécurité. Marc réagit : « Il y a quelque chose que je trouve déplorable de la part de nos dirigeants, c’est cette tendance à ignorer le cœur du problème et à mettre en place de fausses solutions. L’an dernier, par exemple, lorsqu’on a parlé d’attribuer certaines tâches policières à des sociétés de gardiennage ! Je trouve ça scandaleux ! Je respecte tout à fait les agents de sécurité, ce n’est pas ce que je veux dire, mais ils ne sont pas du tout formés pour assurer des tâches réservées normalement à des policiers. Et pour le citoyen, ce n’est pas correct ! Car la plupart djavascript:barre_raccourci(‘‘,’‘,document.formulaire.texte)
Mettre en grases gens ont tendance à perdre leurs moyens devant un uniforme, et ça risque d’entraîner des abus de pouvoir ». Et Jean-Yves de poursuivre : « Le cœur du problème étant la difficulté, par manque de moyens essentiellement, à mettre en place une police de proximité efficace. C’est pourtant une demande récurrente, autant de la part des policiers que de la part de la population… »
Ras-le-bol!
Le 18 février dernier, ils n’étaient pas loin de 20 000 pour dire non aux nombreuses tentatives de démantèlement du statut négocié difficilement tant au niveau local que fédéral. « Il y a vraiment trop de choses qui coincent et trop de promesses non tenues » lance Marc. Et d’ajouter « Oui, la plupart des gens peuvent avoir l’impression que le flic est du côté de l’Etat et que, du coup, il a plein d’avantages, mais c’est tout à fait faux ! Il faut que les gens se rendent compte de la démesure qui existe entre un métier qui exige un investissement de tous les instants et une prise de risques importante, et un statut qui est vraiment fort peu enviable » Des exemples ? Jean-Yves et Marc en ont à revendre. « La statutarisation se déroule mal. Les insertions ne se déroulent pas de manière correcte. On met en place des contractuels au lieu de statutaires à qui le poste revient de droit. Beaucoup sont d’accord pour dire qu’il y a d’avantage de copinage politique qu’avant » commence Marc. Et Jean-Yves enchaîne : « Au niveau de l’organisation du temps de travail, c’est un véritable scandale. On veut maintenant nous faire prester 36 week-end par an, sans parler de l’augmentation considérable du nombre de nuits. Et puis, l’ancienneté n’est pas prise en compte, les brevets ne sont pas valorisés, les heures sup’ ne sont plus payées mais reportées » Marc poursuit : « Toute une série d’avantages sont supprimés : certaines indemnités de repas, par exemple. On veut aussi mettre en place un contrôle médical drastique et répressif au possible avec liste noire à la clé. Même les jours de vacances annuels pourraient être diminués si un agent a eu un certain nombre de jours de maladie durant l’année ! On remet aussi en question l’âge de la pension et les modalités de comptabilisation. »
Tous deux sont d’accord pour dire qu’ils ne pourraient poursuivre l’énumération de leurs griefs qu’en entrant dans des considérations fort techniques, mais désirent conclure par une note positive : « Si j’ai été manifester mon ras-le-bol le 18 février et si je me permets de râler encore aujourd’hui, c’est par souci de pouvoir exercer mon métier dans les meilleures conditions possibles. Etre flic, pour moi, c’est une vocation, et c’est le cas de nombreux collègues. Il y a un décalage entre la façon dont la population peut nous percevoir, l’emmerdeur qui met des P.V. ou le méchant de service qui joue au cow-boy, et le travail qu’on fait sur le terrain dans des conditions parfois extrêmement difficiles. On doit être polyvalent au maximum, parce qu’on doit jouer toute une série de rôles en même temps : le fonctionnaire, l’assistant social, le psychologue, le flic musclé, le stratège… Bref, c’est un métier difficile, qui implique un investissement et une prise de risque considérables, et aujourd’hui, les conditions de travail et
le statut qu’on nous impose ne peuvent plus être tolérés. Il faut dire qu’on en a marre. Et on en a marre avant tout parce qu’on aime notre métier. Espérons que ça fasse bouger les choses ! »