Je râle, tu râles, il râle

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Sur le temps qu’il fait, sur le coût de la vie, sur les politiques, sur les crottes de chiens qui jonchent les trottoirs, sur les Bancontact en panne, sur les trains en retard, sur les services publics, sur les salaires trop bas, sur les embouteillages, sur les étrangers, sur les légumes qui n’ont plus de goût… Bref : à peu près sur tout et sur n’importe quoi. Les vieux râlent sur les jeunes, les jeunes sur les vieux, les employés sur les patrons, les patrons sur les employés, les maris sur leur femme, les femmes sur leur mari, les gens de gauche sur la droite et les gens de droite sur la gauche… Signe que les râleurs prolifèrent, on voit fleurir depuis quelques années et tous secteurs confondus, des services de médiation. Juridique, familiale, commerciale et j’en passe… A la télévision aussi, à travers des émissions comme « Cartes sur table », on peut noter le succès grandissant de ces initiatives où un médiateur s’interpose entre les deux parties. Améliorer la communication entre les citoyens et les institutions est le but avoué de tels services. Mais n’est-ce pas aussi le signal d’une volonté de canaliser le ras-le-bol pour empêcher qu’à un moment donné, il s’organise et qu’il explose ? Dans un univers de marchandises, les râleries des consommateurs font aussi les beaux jours d’entreprises comme Test-Achats dont le responsable de communication a accepté ici d’analyser les enjeux. Quant au Web, il fait la part belle à des sites comme Râler.com où les consommateurs-râleurs peuvent en un clic mettre on-line toute leur grogne et leurs réclamations en un temps record. La propagande politique n’est pas en reste : des partis comme le Vlaamse Block, on le verra plus loin, sait rebondir sur la vague et exploiter les plaintes et les colères du râleur belge dans ses tracts électoraux. En prêtant un peu attention, on n’entend bientôt plus que ça : des gens qui pestent, qui maugréent, qui ronchonnent… Cela a-t-il toujours été comme ça, ou bien les râleurs, acariâtres et autres grognons revêches sont-ils le symptôme d’une démocratie en crise, où la trame sociale est à ce point détricotée, le lien tellement effiloché, qu’en définitive c’est tout ce qui reste au citoyen pour exprimer son dépit ? On aurait pu aisément consacrer une page à chaque catégorie sociale qui râle, mais il a bien fallu choisir, et ce sont les chômeurs, les policiers et les intermittents qui illustrent ici le ras-le-bol des citoyens. En décortiquant les râleries des gens, du registre le plus grave au plus futile, on a cette impression de malaise ambiant et diffus qui assombrit un demi-siècle de luttes pour les acquis sociaux. Alors ? Frustration d’une société qui a déjà pas mal mais qui en voudrait encore plus ? Ou angoisse face à une sécurité sociale qui se détricote, une époque fordiste qui se termine, un paysage général où les repères sont de plus en plus flous, et où la complexité du monde et le spectre de lendemains pas du tout radieux engagent à un « pffff !!! » bougon ou amer plutôt qu’à l’expression d’une revendication et l’organisation d’une lutte véritable ?

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