Chômeurs et chiens

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Au vu des positions tièdes des syndicats censés les défendre, les chômeurs ont vraiment de quoi râler. A l’initiative du Collectif « Solidarité contre l’exclusion », la plate-forme www.stopchasseauxchômeurs.be s’est constituée. Elle regroupe actuellement un peu plus d’une cinquantaine de signataires parmi les associations, ainsi qu’environ 750 signatures individuelles. Mais va-t-on rester à l’étape de l’expression d’une râlerie collective, d’une grogne généralisée, ou bien les associations et les chômeurs sont-ils prêts à porter en avant une vraie lutte et à mettre les moyens qu’il faut pour obtenir le retrait des mesures annoncées ?

Entretien avec Yves, animateur du Collectif « Solidarité contre l’exclusion », à l’initiative de la plate-forme.

Suite à l’annonce des mesures Vandenbroucke, le Collectif « Solidarité contre l’exclusion » a d’abord décidé d’organiser un débat le 17 février dernier. Étaient invités un représentant de la FGTB, de la CSC, du PS, d’Écolo, du CDH, ainsi que le président de la Ligue des Droits de l’homme. Une centaine de personnes ont participé et des interventions intéressantes ont émergé. C’est alors qu’a été lancée l’idée de la plate-forme. Le Collectif « Solidarité contre l’exclusion » était déjà à l’initiative de la plate-forme contre la réforme du minimex. Ils sont donc repartis sur la même base, avec des contacts supplémentaires.
L’une des difficultés importantes, explique l’animateur du Collectif « Solidarité contre l’exclusion », est de mobiliser les chômeurs en Flandre. Et la différence de perception entre syndicats wallons et flamands entraîne un malaise à se prononcer au niveau fédéral. Au début, la réaction syndicale était plutôt positive au niveau francophone. Ensuite, ils ont donné carte blanche à tous les comités de travailleurs sans-emploi des syndicats, avec une foule d’adhésions à la clé, tant à la FGTB qu’à la CSC. Mais il reste ce blocage au niveau fédéral.

Sur la question de la base sociale réelle derrière les signatures, et de la volonté de porter une lutte radicale ou simplement d’exprimer un ras-le-bol collectif, Yves parle de la difficulté d’un « saucissonnage », au sens où on annonce les attaques tranche par tranche, ce qui est désastreux pour la mobilisation. On divise pour mieux régner. L’avantage ici est d’avoir un levier pour conscientiser les salariés. Car si les chômeurs se trouvent dans l‘obligation d’accepter des boulots à des salaires ridicules pour maintenir leurs droits aux allocations, la pression sur les salariés va devenir insupportable. « Mais de façon générale, les chômeurs constituent une population isolée qui reste difficile à mobiliser », constate Yves. L’enjeu de la plate-forme actuellement est dès lors de lancer des comités d’action locaux pour toucher les sans-emploi et les informer. Yves explique qu’il y a au sein de la plate-forme une volonté très claire de tout faire pour que le projet soit tout simplement retiré, ni plus ni moins. Mais actuellement, les actions envisagées restent très « classiques » : distribution de tracts dans les files de pointage et lors de la rentrée des cartes… Un meeting national est aussi prévu le 28 mai. Mais jusqu’où sont-ils prêts à aller ? Sont-ils disposés à envisager des actions plus radicales, comme des occupations ou des actions de désobéissance civile ? Apparemment, il y aurait une demande. Par exemple, certains ont lancé l’idée, encore gentillette, d’envoyer des chômeurs au cabinet Vandenbroucke afin d’aller demander des emplois. Mais d’autres signataires, semble-t-il, trouvent déjà cette idée-là trop radicale… Comme souvent au sein d’une plate-forme élargie, il est difficile de transcender les divergences affinitaires pour mener une action efficace. On reste trop souvent dans le consensus mou… Espérons que cette fois-ci, la râlerie ne l’emporte pas, une fois de plus, sur la lutte…

Si les mesures Vandenbroucke sont appliquées au pied de la lettre, les CPAS risquent d’avoir une foule de demandes de la part des chômeurs exclus. Et
ils auraient, dans ce cas de figure, beaucoup de raisons de râler ferme… Comment les CPAS accueillent-ils ces mesures ? Quelle est leur position ? Les chômeurs exclus auront-ils la possibilité d’obtenir le « droit à l’intégration sociale » (anciennement le minimex) ?

Des précisions avec Christophe Hernotte, directeur général de la Fédération des CPAS wallons.

Christophe Hernotte précise d’emblée que les CPAS avaient déjà réagi en octobre 2003 lorsque Franck Vandenbroucke avait annoncé la couleur. La Fédération des CPAS wallons s’était déjà alors opposée à la perspective « d’une chasse aux sorcières et d’un contrôle sans nuance des chômeurs ». « Ayant en charge un public précarisé à la recherche d’emploi, dont bon nombre de chômeurs qui demandent une aide complémentaire au CPAS, nous sommes bien placés pour savoir que l’offre de formation et l’offre de travail sont problématiques », poursuit M. Hernotte. « Nous avions bien mis en évidence la nécessité de distinguer l’accompagnement du contrôle. Nous voulions éviter les transferts d’une charge de l’état fédéral vers les pouvoirs locaux, dans la mesure où le chômeur exclu ouvrira un droit potentiel au droit à l’intégration sociale. En 2001, quand le Ministre Van de Lanotte avait présenté son programme printemps, élaboré pour respecter cette question de transferts, nous avions sur base d’une étude chiffré ceux-ci à 3 milliards de francs pour l’ensemble des CPAS belges. C’est dire qu’au-delà de la question de fond, il y a un problème important qui se pose en termes d’impact financier sur les pouvoirs locaux. Notre position en octobre 2003 a donc été de dire qu’il ne fallait pas accélérer la machine du contrôle parce qu’elle n’était pas nécessairement percutante, mais plutôt assurer un accompagnement meilleur. » M. Hernotte ajoute que les craintes qu’ils avaient fin 2003 sont atténuées par les amendements obtenus, ainsi que par le volume d’argent dégagé par les régions pour mettre en place un meilleur encadrement. Il précise tout de même que ces moyens seront vraisemblablement insuffisants et qu’il est difficile de préjuger maintenant de ce qui va se passer concrètement sur le terrain. « On saura très rapidement, une fois les mesures appliquées, si on enregistre ou non une importante augmentation des demandes adressées aux CPAS. »

Sur la question du droit des chômeurs exclus à pouvoir émarger au CPAS, M. Hernotte attire l’attention sur la différence des critères qui permettent d’un côté de bénéficier d’allocations de chômage et de l’autre d’émarger au CPAS. Ainsi, le chômeur cohabitant qui se verrait déchu de son droit aux allocations de chômage ne rencontrerait pas forcément les critères d’obtention du droit à l’intégration sociale. « La loi oblige effectivement les CPAS à prendre en compte, dans le cas des ménages de fait, mariés ou pas, le revenu du cohabitant. Si les revenus de celui-ci dépassent l’équivalent de deux taux cohabitants, le droit ne peut pas être ouvert. » Les autres chômeurs, isolés ou chefs de ménage, auraient quant à eux le droit d’obtenir un revenu d’intégration ou de bénéficier de tous les dispositifs que le CPAS peut mettre en œuvre (article 60…). Les CPAS n’auraient pas non plus la possibilité de refuser a priori l’ouverture au droit à l’intégration sociale à un chômeur exclu en invoquant comme motif le non-respect par le chômeur de ses obligations de recherche d’emploi. « On ne peut pas pénaliser une deuxième fois la personne pour le même motif sans autre examen. Mais la loi sur le droit à l’intégration sociale impose d’être disposé à travailler, sauf raison de santé ou d’équité, et à partir du moment où la personne est bénéficiaire, elle doit remplir un certain nombre de conditions dont celle-là, et elle est sanctionnable si elle ne les remplit pas. »

Loin des plate-forme et des consensus, des perspectives plus radicales s’ébauchent. Pour exemple, ce tract distribué à la manifestation du 20 mars à Ostende.

« Virer des chômeurs cela crée de l’emploi… des policiers, des gardiens de prisons, des assistants sociaux, des avocats, et
surtout, par dessus tout, « des agents de sécurité », parce que c’est ça, le truc. La sécurité sociale est devenue la sécurité tout court et faut pas croire que c’est le gouvernement belge qui décide quoi que ce soit. Bien obligé de faire comme tous les autres le gouvernement : GERER LE DESASTRE. Amis chômeurs, vous pouvez lutter pour continuer à toucher des allocations, vous pouvez même créer des collectifs pour réclamer le revenu garanti : il va quand même bien falloir s’organiser un peu plus…

Il faudra apprendra à voler dans les magasins. Les grandes surfaces seront comme des plaines de jeux : un peu d’astuce et le tour est joué. Il faudra aussi ouvrir un paquet de squats, installez-vous là où vous pouvez, fraudez sur tous les plans et surtout n’oubliez pas de maintenir la forme parce qu’il va falloir courir. On ne vous avait pas dit que la vie, c’était tout un sport ? Allez, bonne chance et rendez-vous en prison !

Signé : chômeurs hardcore »

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