Boire du petit lait ! En lisant un livre ça arrive quelquefois. Ce fut mon cas lorsque je me délectai des deux recueils de Michel ONFRAY parus chez Galilée rassemblant ses chroniques parues dans le mensuel Corsica : la Philosophie féroce (Exercices anarchistes) et Traces de feux furieux (la Philosophie féroce II). Sous couvert de ce titre emprunté à Rimbaud, notre homme tire à boulets rouges sur à peu près tout (ce) qui le fait gerber et c’est assez gratiné. Extraits choisis : « J’ai toujours trouvé ridicule cette idée que la femme serait l’avenir de l’homme. Venant d’un poète qui s’est empressé de retrouver le chemin des petits garçons dès la disparition de son mentor femelle, je pense même que ce vers devenu scie musicale ne manque pas de saveur… » (in Contre les mères et les épouses, les femmes). « On aurait tort de braquer le projecteur sur les seules violences individuelles alors que tous les jours la violence des acteurs du système libéral fabrique les situations délétères dans lesquelles s’engouffrent ceux qui, perdus, sacrifiés, sans foi ni loi, sans éthique, sans valeurs, exposés aux rudesses d’une machine sociale qui les broie, se contentent de reproduire à leur degré, dans leur monde, les exactions de ceux qui (les) gouvernent et demeurent dans l’impunité. » (in les Deux violences ). « Les religions monothéistes communient dans une même foi : la vie sur terre est une fiction ; seul compte un arrière-monde peuplé de créatures à faire pâlir les contes d’enfants – un dieu qui voit tout, un barbu qui fend la mer en deux, une vierge qui enfante, un mort qui ressuscite, un prophète abstème détestant la charcuterie ; le corps est une punition ; la femme, une catastrophe ; l’enfantement, une nécessité pour perpétuer la négativité au nom de laquelle on nous châtre ; la pauvreté, la misère, la mort des enfants, la souffrance procèdent d’un plan dont on ignore le détail, mais qui a ses raisons ; etc. (…) Les monothéismes détestent également les individus qui ne sacrifient pas au même Dieu qu’eux. Intolérants, jaloux, exclusifs, arrogants, sûrs d’eux, dominateurs, ils s’érigent en loi pour autrui. D’où leurs complicités de toujours avec les guerriers, les soldats, les militaires – du sicaire payé par les tribus primitives au terroriste surfant sur le Net, en passant par les armées régulières de tant d’États… Du sacrifice d’Abraham aux fatwas islamiques en passant par le goût des crucifixions, des martyres et autres guerres saintes catholiques, les monothéismes vouent un culte au sang et à la mort. » (in l’Odeur de sang des monothéismes ). « Sarkozy exprime la quintessence des gens de ressentiment : fort avec les faibles, faible avec les forts. D’autant plus impitoyable avec les victimes sans défense. C’est sans risque. (…) Bientôt fort de son image, et de sa seule image, Sarkozy pourra briguer le fauteuil de monarque républicain. Le seul endroit où un délinquant peut vivre en toute impunité… » (in Salauds de pauvres ! ) « La blancheur de peau des directeurs de télévision, des patrons de radio, des rédacteurs en chef de quotidiens ou d’hebdomadaires, la pâleur des académiciens en habit vert, des journalistes et des présentateurs-troncs à la télé, le teint cireux des Premiers ministres, ministres, sénateurs, députés, candidats aux présidentielles, ce triomphe du blanc enseigne une chose : si la France n’est pas aussi antisémite qu’on le dit, il se pourrait bien qu’elle soit plus raciste qu’on le croie. (…) Le visage bronzé ou noir manque étrangement à cette fameuse France black-blanc-beur ! Dans les stades ou sur les terrains de foot, oui, pas de problème, mais là où l’essentiel se joue ? Personne… » (in Une suite aux histoires de loups…) Onfray parle-t-il de Mitterrand, voilà ce que ça donne : « L’homme de fidélité et d’amitié ? Qui invite les fascistes de sa jeunesse à Latche, le lieu des affinités électives. La figure de gauche ? Qui fait fleurir la tombe de Pétain. Le socialiste ?
Qui vend sans vergogne la gauche au libéralisme. L’abolitionniste de la peine de mort ? Qui engage la France dans la ratonnade de la guerre du Golfe. L’homme de paix ? Qui rend possible le million de morts du génocide rwandais. Arrêtons là : tout éloge de cet homme me renseigne sur la qualité de l’âme de l’engeance qui le profère… » (in la Thanatophilie française ). Il n’est guère plus tendre envers Lionel Jospin. Commentant son retrait larmoyant pour n’être point passé au second tour : « Qu’aurait-il dû faire pour montrer qu’il était capable d’aller au-delà de lui-même pour rencontrer l’Histoire en face ? Dire le soir même qu’il quitterait la politique à l’issue du quatrième tour, une fois les législatives gagnées par la gauche. Et qu’en attendant il proposait de voter Chirac au second tour si celui-ci s’engageait – le moment rendait possible ce geste républicain historique – à former un gouvernement d’union nationale avec tous les partis, sauf le FN et le MNR. (…) Chirac chef de l’État, un Premier ministre de gauche aurait été nommé, choisi par Jospin, nommé par le Président, et le gouvernement aurait été constitué de communistes et de libéraux, de néogaullistes et d’écologistes, de socialistes et de centristes : Le Pen aurait eu encore moins de voix qu’il n’en a eues et Jospin serait entré dans l’Histoire – puis demeuré politiquement légitime. Au lieu de cela, cet absent très présent, ce silencieux qui parle, ce retraité très actif, cet oxymore vivant continue à tâcher de régler des problèmes de divan en prenant la France et les Français en otage avec la complicité régulière des médias. Ce faisant, il devient doublement illégitime – et ajoute au pitoyable. » (in l‘Oxymore vivant ). Bon, je vais passer à autre chose, mais non sans quand même citer quelques phrases de l’article intitulé l’Improbable raison américaine, dans lequel Onfray déplore que Clinton ait eu à subir le scandaleux outrage médiatique que l’on sait pour avoir « conté fleurette à une secrétaire coiffée comme un personnage de série B américaine – une choucroute sucrée, un genre de pièce montée fixée au fer à friser ». Non, « il n’a pas bourré les urnes avec la complicité d’une justice à ses ordres ; il n’a pas accédé au pouvoir, minoritaire en voix, par la grâce d’un coup d’État de prétoire ; il n’a pas exploité la misère de son peuple dans un chagrin d’après-terrorisme ; il n’a pas menti sciemment pour justifier son irrépressible désir belliqueux ; il n’a pas persisté dans ce mensonge une fois la machination mise au jour ; il n’a pas déclaré la guerre à un peuple innocent, ni fait tuer au moins cent mille d’entre eux ; il n’a pas couvert la torture pratiquée par la soldatesque envoyée par ses soins ; il n’a pas précipité un État dans la violence armée, le chaos, au risque d’augmenter le mal dans le pays, sinon la région. » Le pauvre Bill a « recité à une secrétaire un poème à l’oreille pendant qu’enamourée elle tachait sa robe avec du beurre de cacahuète, un jet de sauce blanche tombé de son Mac Burger ou un peu de confiture de lait »… « En revanche, l’ancien alcoolique qui force désormais sur l’eau bénite, prie à tout bout de champ, clame haut et fort sa foi en Dieu, pense que Jésus est le plus grand philosophe de tous les temps, fréquente le temple plus que de raison, lui qui ne doit pas fumer de havanes – ni de tabac hondurien -, le voilà qui, en bon chrétien comme il en existe sur toute la planète, pratique le Décalogue à la carte : certes, il honore son père et sa mère, il paraît probable qu’il ne convoite pas la femme de son voisin. En revanche, ne pas tuer, ne pas faire de faux témoignage, ne pas mentir, ne pas convoiter le bien (pétrolifère) de son prochain, c’est plus dur ! L’Amérique est vraiment un grand pays – par la grâce de Dieu. »
« Et si un truand devenait Président ? » C’est le libellé imprimé sur une pastille autocollante enluminant la couverture du troisième volume de la trilogie d’Emmanuel REUZÉ, bédéiste inspiré, Ubupolis (EP Éditions – 96, boulevard du
Montparnasse F 75014 Paris). Les deux premiers tomes (Ubu roi ) étaient déjà plaisants et ce dernier ne l’est pas moins. Les scientifiques apprécieront à sa juste valeur le dessin de la page 23 représentant l’appareil digestif du Père Ubu par le professeur Schtôll de l’Institut de Médecine de Hambourg. L’on y voit que l’ingestion des denrées se fait par le canal bissextile, que la nourriture est projetée dans le Bjôrnsonium où les enzymes glorieux assimilent plus de six tonnes d’aliments par seconde, que la fermentation produit d’immenses débordements gazeux, dilatant la gidouille de 76 fois sa surface initiale, que, sous la pression, le canal de Bismark s’entrouvre et laisse échapper les gaz, que les vents nauséeux et inflammables frôlent la membrane acrobate, émettant un son de clarinette les jours de la semaine et un son de bouzouki le week-end. Les gens davantage normaux se farciront, le temps d’une exonération de leur bol fécal, les 36 pages d’Avez-vous ? Alfred Jarry l’unique de Claude LAUNAY, un Lavalois qui participe à l’année du centenaire en publiant ce pet aux éditions Siloë (22, rue du Jeu de Paume – F 53000 Laval). James ÉVEILLARD & Patrick HUCHET nous réjouissent (aux éditions Ouest-France) avec leur ouvrage croquignolesquement illustré Il y a un siècle… une médecine si étrange. Tantôt une carte postale de la Belle Époque est censée montrer l’attitude responsable des gens qui, en l’an 2000, pourchasseront « l’ennemi public » qui aura craché par terre. Tantôt l’on admire le solarium tournant inventé par le Dr. Saidman, à Aix-les-Bains ou l’étuve solaire antituberculeuse de Thézac. Tantôt l’on éclate de rire en découvrant une pub pour l’huile de foie de morue Gaston Monier (Bordeaux), recommandée par le Tout-Puissant en personne : « Prenez-en !… Dieu l’ordonne ». Et que faire d’autre que béer en contemplant sidéré le « Metze » ou « le Martelage de la rate », un dessin aquarellé de Gaston Vuillier conservé au Musée du Cloître de Tulle ? Quant au Docteur LICHIC, il n’arrête pas. L’Hélicon (19, Montegnet – 5370 Flostoy), publie de lui trois volumes dans sa « collection du palotin à dents rouges » : Micro traité d’athéisme, quelques aphorismes en hommage à Achille Chavée (« Si Dieu a créé l’homme à son image, il défèque une fois par jour en moyenne »), Leçons de genre, androphores, gynophores, androgynophores et autres techniques interlopes (les androphores sont des phrases qui portent en elles un sens caché, souvent égrillard, dévoilé par déclinaison au masculin, les gynophores kif-kif avec déclinaison au féminin, quant aux androgynophores pareil au même avec déclinaison androgyne… ) « Le faon a effleuré le capot : La fente a effleuré la capote », la Morale de mon titre, exercices de presse-express à l’usage de bouffeurs de cru (« Les maîtres-nageurs excédés ont repêché cinq fois la fillette. » Moralité : Tant va la cruche à l’eau qu’à la fin elle nous les brise.) Enfin, le même nous gratifie d’une Très Obvie, Superfétatoire et Cattaglossique Éthologie de l’ordre des Chélicéropodes. Honte aux cryptozoologues de tout poil pour avoir, jusqu’ici, fait l’impasse sur la révélation de l’existence de Chélicéripodes ! Pourtant, les animaux encore inconnus du gotha scientifique sont quand même leurs tasses de thé, saperlipopettouille !… Leurs recherches en biologie spéculative se borneraient-elles — outre à « Nessie » et au Yéti — à l’achiteuthis, à l’almasty, au bunyip , à l’ebu gogo, au kakudakari, au kongamato, au koupey, aux laonastes ænigmamus, au mokele-mbembe, à l’orang pendek, au sasquatch, au soko, ou encore au tazelwurm (un ver à pattes, comme chacun le sait) ? Remercions ce savant pour avoir comblé cette impardonnable lacune. Ce pensum, exhaustif et d’une lecture éminemment accessible – même à Marie de Grâce-Berleur ou à Florence de Steenokkerzeel – se devrait d’être commandé par les Ubuniversités du monde entier et autres Bibliothèques dignes de ce nom, pour figurer en lieu et place sur leurs rayonnages érudits. Les mythes
deviennent vrais à la longue, tandis que l’Histoire, à la longue devient fausse. « La vie n’est possible que dans l’eau d’un aquarium. Toute forme qui s’en approche est un phantasme ! » (ainsi que le pensent la plupart des poissons rouges). Que la Gloire Éthernelle étreigne l’émérite Docteur Lichic dans ses bras velus.
André STAS, R.