Stas Academy

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N’Si toutefois « comment les bêtes utilisent le son » est susceptible de vous intéresser, plongez-vous résolument dans la Symphonie animale, un passionnant ouvrage d’Antonio FISCHETTI (docteur en acoustique et journaliste scientifique), bien illustré par le talentueux HONORÉ (Arte éditions – Vuibert). Les lecteurs de Charlie Hebdo doivent connaître Fischetti (Charlie saute sur les sectes, Charlie ramène sa science) mais le bougre a aussi commis une Initiation à l’acoustique et, en 2002, une petite merveille intitulée l’Angoisse du morpion avant le coït. Quant à Honoré, outre des dessins pour le Bestiaire d’Alexandre Vialatte, on lui doit d’exquis Rébus littéraires, dont deux centaines ont été édités en volumes. Bref, deux solides gaillards ! Qui l’eût cru, un merle breton ne chante pas dans le même dialecte que son congénère auvergnat, les harengs émettent des crépitements de l’anus afin de rester groupés quand ils ont peur dans le noir (Eh oui, avant qu’ils ne deviennent rock’n rollmops, les harengs pètent ! ), chez certaines araignées, les mâles doivent jouer de la harpe sur la toile de la femelle s’ils ne veulent pas se faire bouffer tout crus… Tout cela est fondamentalement sérieux bien qu’assez souvent cocasse et, après avoir disserté sur le pourquoi et le comment du son, l’auteur nous balade dans les sons de l’inaudible (infrasons et ultrasons, animaux percussionnistes), les sons sous-marins (la symphonie en bas-fond des cétacés – « bavard comme un poisson » fait mentir l’expression « muet comme une carpe » ), les sons conflictuels, voire guerriers (ruses sonores, sons territoriaux, etc.), les sons sexuels (la joute vocale des cerfs n’étant, en quelque sorte, qu’un jeu destiné à prouver qui possède le plus gros « organe » ), les sons sociaux (comme les chorales parfaitement « orchestrées » des divers batraciens), avant de lancer un pont entre la communication animale et le langage humain. Ça se lit sans déplaisir aucun et l’on reçoit en prime un DVD « Jouis de ton ouïe », contenant un clip réjouissant réalisé par Fischetti lui-même et Florence Jacquet, Pierre Boscheron ayant eu l’excellente idée de mettre les animaux « en musique ».

De loin en loin, les Mille et une nuits nous gratifient d’une petite merveille réjouissante. Pour l’heure, voici qu’y paraît la Métaphysique du Mou, nouvel opus inédit de l’inclassable (autant qu’improbable) Jean-Baptiste BOTUL (1896 – 1947), dont on avait déjà éperdument apprécié, aux mêmes éditions, la Vie sexuelle d’Emmanuel Kant, Landru, précurseur du féminisme (Correspondance inédite entre Henri-Désiré Landru et Jean-Baptiste Botul) ainsi que Nietzsche et le démon de midi. Pour rappel, Frédéric PAGÈS y avait, pour sa part, débroussaillé la pensée de ce génie de la tradition orale dans Philosopher ou l’art de clouer le bec aux femmes. Ici, Botul, s’intéressant aux « choses molles », crée et explore le concept de « mouité » et en tire des idées étonnantes, qui bouleversent la phénoménologie ambiante, sur l’Être, le néant, la charcuterie, le fromage, les seins des femmes, le transport des valises et les années trente. Après avoir remercié l’Association des Amis de Jean-Baptiste Botul de l’avoir laissé accéder librement à ses archives (dont certaines pièces sont reproduites en annexe), ses amis pour leurs encouragements si précieux, l’université Marc-Bloch de Strasbourg de l’avoir accueilli pendant trente-quatre ans les lundis et les mardis, et ce jusqu’à ce qu’il obtienne sa mise à la retraite, enfin, son épouse Jacqueline, « qui n’a pas dactylographié ce travail, étant occupée à d’autres tâches, et n’a pu, pour la même raison, relire les épreuves de ce volume », Jacques Gaillard fait intelligemment le point sur le texte difficile qu’on va lire, caractérisé par son absence évidente de structure apparente comme par la complexité intrinsèque de sa problématique. Comment résister à citer un extrait de ce chef-d’œuvre botulien ?  »
Depuis ma soirée de dévergondage philosophique chez les hétaïres, je mesure avec effroi la grandeur d’une « phénoménologie tripoteuse ». Et sa difficulté : si l’aperception visuelle procède de l’occurrence fortuite (je suis face à une affiche Dubo-Dubon-Dubonnet, je vois une affiche Dubo-Dubon-Dubonnet), le tripotage est une saisie de l’Être qui engage la volonté du sujet tripotant et peut chambouler son continuum psychologique. De façon variable, selon que le tripoté est une orange Thomson, un livarot demi-fait ou le sein de Zoé, mais cette dépendance à l’objet exprime à merveille la fusion (voire la di-fusion ) du Moi dans le Mou. » Au terme de cette « expérience fracassante » (qui l’a fait, les yeux bandés, tripoter moult lolos tout en se faisant lui-même tripoter), Botul constate que « le tripotage modifie le mou, l’affermit de quelques degrés, faisant de la sorte dévier le prédicat vers son altérité (le dur est l’Autre du mou). Mieux, dans le même temps que le tripotant modifie le tripoté (non en sa forme, qui sans cesse se reconstitue, mais en sa mouité), le tripoté est à même de modifier le tripotant (dans le même sens, du reste, mais point en entier ni toujours : cette co-variance exprime une tension extatique bien décrite par les mystiques allemands). Il s’ensuit que : 1° le mou porte en soi son Autre ; 2° la quiddité du mou est dynamique ; 3° le dur est l’aboutissement du mou comme non-mou, et non l’inverse ; 4° le dur ne devient mou que par l’effet d’un travail (depuis Carnot, on sait l’identité physique de la chaleur et du travail) ; 5° le mou peut devenir quasi-dur, mais pas dur-dur tout seul, ni persévérer en cet état sans plâtre ou quelque autre artifice extrinsèque ; 6° le dur déçoit, le mou émeut. » J’espère vous avoir donné l’envie de lire le reste : c’est hilarant. Un mot encore : ne manquez pas la biographie de Botul en fin de volume. On y apprend pas mal de choses, dont la raison pour laquelle il s’est brouillé avec Giraudoux en 1935 : trompé par le titre de la pièce, Botul était allé jouer au billard avec des amis le soir de la première de la Guerre de Troie n’aura pas lieu !

On commande aussi sans tarder à Roger Roques, en sa Librairie Champavert (2, rue du Périgord – F 31000 Toulouse) l’indispensable Catalogue d’une remarquable et nombreuse collection de livres brouettiques provenant de la bibliothèque de feu M. Robert H***, établi par Mr Christian DUFOUR, bibliographe à Mouilleron-le-Captif. Cela devrait un tantinet vous consoler de ne point voir trôner sur quelque rayonnage de votre bibliothèque le rare ouvrage, paru à Madrid en 1924, intitulé Causeries brouettiques par le Marquis de CAMARASA (Histoire, étymologie, faits, opinions, observations, erreurs, omissions. La brouette. Recueil ou collection de notes, de croquis, de dessins, de schémas, pour un traité historique, théorique, pratique, philosophique, philologique, poétique, sportif, acrobatique, touristique, artistique et pittoresque de la brouette.) Dans cette bibliothèque brouettique savamment constituée pour un honnête homme, seule une trentaine d’ouvrages existent réellement, les quelque 250 autres s’avérant totalement imaginaires. D’ailleurs, Gérard Oberlé l’a bien compris : « Ce catalogue deviendra l’outil indispensable des bibliophiles et des chercheurs, des jardiniers professionnels et amateurs, des poètes rustiques et des ministres de l’agriculture, des bibliothécaires de Babel et des psychanalystes à roulettes, des prêtres ouvriers, des terrassiers, etc.  » Restons dans la folie avec l’infatigable Bruno FULIGNI, R., qui, pour faire suite à son ouvrage sur les Quinze mille députés d’hier et d’aujourd’hui (Horay, 2006), nous assène pour l’heure, chez le même éditeur, Votez fou ! Candidats bizarres, utopistes, chimériques, mystiques, marginaux, farceurs et farfelus (de 1848 à nos jours, les élus auxquels vous avez échappé). Bon nombre de programmes politiquement inclassables, émanant d’individus isolés tentant leur chance en marge des
partis organisés sont ici présentés, du Captain Cap à Coluche, en passant par Louis-Paulin Gagne, Ferdinand Lop ou Aguigui Mouna qui nous fut si cher, lui qui désirait « la cotation en bourse des valeurs morales ». Joseph Aubril proposait la particule pour tous les Français, Rodolphe Salis la séparation de Montmartre et de l’État, Jules Depaquit la suppression des mois de décembre, janvier et février (« Jamais d’hiver ! « ), Duconnaud l’abrogation des lois de la pesanteur, préjudiciables aux buveurs et, plus près de nous, Cindy’ Lee la création d’un Samu sentimental pour venir en aide aux personnes solitaires en mal d’amour. Ce livre est tout bonnement époustouflant et met de bonne humeur. La dizaine de nouvelles de Nicolas ANCION rassemblées sous le titre Nous sommes tous des playmobiles (Le grand miroir) vaut pareillement le détour, démontrant non sans un humour féroce qu’il suffit de presque rien pour qu’une vie banale bascule dans la grande aventure, pour que l’absurde redonne des couleurs à une existence terne. Par contre, on se dispense d’acquérir les Surréalistes au quotidien (petits faits vrais) de Christian BUSSY (les Impressions nouvelles), même si la photo de Marcel Mariën qui sert de couverture à ce (oserais-je appeler ça un) livre pourrait y inciter. Que je le dise comme je le pense, ce truc est une vraie Merdre.

Reprenons-nous, il y a encore quelques chouettes bouquins dont je me voudrais de ne point dire un mot. Ainsi deux merveilles parues chez Ginkgo (47, Villa des Princes F 92100 Boulogne-Billancourt) : le Phalanstère des langages excentriques de Stéphane MAHIEU, R., linguiste buissonnier. Construit sur les plans d’un phalanstère fouriériste, ce très curieux institut abrite d’étonnants habitants : petites hordes ou jonquillistes, aérostiers et forgerons de mots, artisans créateurs de langues universelles, etc. Si le cœur vous en dit d’apprendre le syldave, le klingon, le patoiglob ou le paralloïdre, de découvrir la langue des spirites ou le glossaire ouistiti révélé par Pierquin de Gembloux, ne vous gênez pas… Pascal VAREJKA, R. itou, nous apprend tout ou presque sur la Singularité de l’éléphant d’Europe. Moins connu que ses cousins africain ou asiatique, le pachyderme européen est l’objet de nombreuses études et représentations dans la littérature et l’art occidental depuis l’Antiquité. C’est à un voyage dans l’imaginaire collectif européen que nous invite cette charmante étude dans laquelle érudition et humour font un mariage d’amour. On s’amuse derechef avec le Dictionnaire des Papous dans la tête (Gallimard / France Culture), émission qui n’est plus à présenter. Tous les cracs y frappent, et fort, détraquant à peu près tout : Besnier, Caradec, Cueco, Delbourg, Le Tellier, Pouy, Vallet, etc. On peut acquérir (vu son prix étonnamment modique) Érotica, une Anthologie littéraire et artistique de Charlotte HILL & William WALLACE (Evergreen). La sélection de textes ne casse pas vraiment la baraque mais les illustrations sont de première bourre (si j’ose m’exprimer ainsi). Dans le même ordre de préoccupations, on reste pantois face à l’Imaginaire érotique au Japon, d’Agnès GIARD (Albin Michel): il ne semble y avoir aucune barrière aux fantaisies érotiques dans ce pays qui ne connaît pas le système binaire, vu qu’on n’y oppose pas l’homme à la femme ni le mal au bien. 100% hallucinant et dépayasant ! Enfin, changeant de continent, tâchez donc de vous procurer le petit dernier d’Hélène d’ALMEIDA-TOPOR, l’Afrique, idées reçues, paru au Cavalier bleu (31, rue Bellefond F 75009 Paris). Prenant pour point de départ la plupart des poncifs circulant à propos de l’Afrique, l’historienne bien inspirée apporte un éclairage distancié et approfondi sur ce que l’on sait ou croit savoir. Et c’est costaud ! Bon, là-dessus, je me replonge dans la Vie est belge de l’ami BUCQUOY (Michalon), qui veut « le paradis, là, maintenant, tout de suite !  » Et, sur les conseils de l’auteur, je déguste avec une Chimay
bleue.

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