Le bon appétit! Fricassée de poulet à la bière d’abbaye

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Par les monts parfois vaches et par les fonds de vaux et par les plaines vides aussi, elle a cataclopé sur son brave alezan. Le soleil fatigue et ne fera plus long feu. Il serait temps de trouver un havre de paix et de silence pour la nuit. De la paille et de l’avoine pour son cheval. Une paillasse et une trappiste pour elle. Ca tombe bien, elle est au pied de l’abbaye devant la porte. Le clocher sonne « ding et dong ». Sont-ce les nones, les vêpres ou les complies ? Elle actionne la clochette en tirant sur la chaînette del pwète. Drelin, drelin. Ouvre le père tourier qui lui fait signe d’entrer et de s’asseoir sur un vieux prie-Dieu déglingué reconverti en chaise impie.

– Que puis-je pour vous ma belle, euh mademoiselle, excusez-moi, ce « ma belle » m’a totalement échappé ça m’est sorti comme une évidence…. Ce petit péché me sera pardonné j’espère…

– Moi, en tout cas je vous pardonne…

– Deo gratias !

– Auriez-vous un petit coin de votre abbaye pour y passer la nuit ?

– J’ai l’habitude des tours de passe-passe, puisque c’est là ma charge. Je m’en vais chez le prieur intercéder pour vous et je reviens tout de go. Surtout pas un bruit, pas un mot. Vous ici, en ces lieux masculins, ça pourrait déclencher une émeute…

Malgré ces précautions, comme un tout petit coup d’encensoir peut embaumer la plus immense des cathédrales de l’abside au narthex, la rumeur d’une présence féminine a envahi l’abbaye tout entière. C’est l’insurrection chez les petits moines qui quittent leur cellule et se rassemblent dans la chapelle en scandant : « nous voulons voir la belle, nous voulons voir la belle….. »

Le prieur et le père tourier sont dépassés, ils ont beau hurler «silence», rien n’y fait… «On veut voir la belle, on veut voir la belle…». «D’accord». Finit par céder l’abbé, qui fait entrer la belle dans la chapelle sous les applaudissements. Elle monte en chaire de vérité…

– Messieurs, mes petits pères, je suis très émue de l’accueil que vous me faites mais je ne voudrais pas vous déranger dans vos prières. Vous avez choisi le goupillon, vous n’allez pas maintenant courir le cotillon. Je vais préparer à souper. Allez, je vous prie nous dresser une belle table et déboucher de la bière d’abbaye et que ça saute !

– Oh oui, crient-ils tous en chœur…

Echalotes et lardons fumés dans de grandes poêles. Ensuite des dés de poulet et des raisins secs. Sel et poivre. Quand tout est bien coloré, elle mouille alors avec une bonne rasade de sainte bière (l’Orval est parfaite pour cette recette). Feu vif une dizaine de minutes et quelques feuilles de sauge comme touche finale. Avec une purée, moitié pomme de terre, moitié pois cassés, c’est une merveille. La douceur de la purée et le parfum et la légère amertume de l’Orval, c’est l’union parfaite.

Tous se régalent de ce bon poulet et de leur invitée d’un soir et l’imaginent sœur d’une nuit. Ce ne sera qu’un rêve, car pour permettre à la belle de dormir en paix, l’abbé a décidé une nuit de prière…Elles auront bien du mal à arriver au ciel…Pauvres petits pères…La queue entre les jambes alors qu’ils la rêvait ferme et robuste comme un archet en pernambouc.

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