Partir à crédit

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Le taux de chômage en Wallonie atteint des records historiques, les délocalisations vont bon train, le pouvoir d’achat moyen diminue et allongeons la plume, la plume car la liste est longue… C’est devenu un lieu commun, la classe moyenne, celle-là même qui définissait selon certains le type de société dans lequel nous vivions, est en train de se précariser. Peut-être même qu’on n’aura bientôt plus besoin des restaurants du foie – selon l’expression de Pierre Desproges- censés ouvrir leurs portes à cette outrecuidante frange de la population dopée à la consommation à gogo dès son plus jeune âge et qui « crève dans son cholestérol en plein hiver à Méribel »[1].

Il est loin derrière cet optimisme qui continuait d’embaumer l’air à la fin des années 80, et les restaurants du cœur, œuvre du chef de file des enfoirés, risquent bien de devoir rajouter des tables… A priori, on pourrait s’attendre à ce que la diminution du pouvoir d’achat aille de pair avec une régression de la tendance à la (sur)consommation, ce qui, offre et demande étant intimement liées, occasionnerait l’émergence d’un « cercle vicieux » : une baisse du pouvoir d’achat entraînant une baisse de la consommation, impliquant à son tour une diminution de la production, ayant pour corrélat une réduction du nombre de travailleurs nécessaires, occasionnant à son tour d’une part une augmentation du taux de chômage et d’autre part une plus forte concurrence entre demandeurs d’emploi. Donc, par conséquent, une diminution des salaires, une détérioration des conditions de travail ainsi qu’une diminution du pouvoir d’achat. Ce ne semble pourtant pas être tout à fait le cas. En effet, on s’aperçoit que loin de s’avérer néfaste pour tous les secteurs, la conjoncture semble profiter à quelques-uns, ainsi les agences d’intérim et les organismes de prêts. Parallèlement, une alternative a été trouvée face au problème évoqué plus haut. « Monsieur, on a un grave problème, les gens n’ont plus d’argent pour consommer. »

« Cela est fâcheux. Mais attendez, j’ai une excellente idée : on n’a qu’à leur en vendre ! ». Cela s’appelle le crédit à la consommation.

De l’Antiquité à nos jours

Bien sûr, le prêt existe depuis la nuit des temps. On sait par exemple qu’il existait déjà dans l’antiquité [2] : jusqu’au VIe siècle avant notre ère, il était motif d’esclavage. Platon et Aristote ont manifesté leur mépris à son égard. Dans la Rome républicaine, le Sénat plafonne les taux d’intérêts et interdit la mise à mort des débiteurs. Plus tard, les écritures saintes interdisent le prêt à intérêts… On le voit, il semble avoir toujours existé… Mais deux différences fondamentales semblent s’établir : d’une part, il était socialement très mal considéré – Basile de Césarée (un des pères de l’église grecque) aurait affirmé : « Mieux vaut mendier, lorsque les circonstances l’exigent, qu’emprunter » – et, d’autre part, il était bien loin d’occuper dans la vie des particuliers une place aussi importante que celle qu’il occupe de nos jours. [3]

Parallèlement, quelques nouveautés en matière de crédit ont fait leur apparition ces derniers temps. Ainsi, aux U.S.A., on a vu apparaître des crédits portant sur plusieurs générations : il est actuellement possible de faire des emprunts sur 120 ans. Si vous veniez à décéder avant l’échéance, les traites restant à payer seront à charge de votre descendance… Autre stigmate de l’extension du domaine de la lutte : le matraquage publicitaire dont nous sommes l’objet. Ainsi, pour ne citer que cet exemple, dans le supplément TV à la Dernière Heure paru à l’heure où j’écris ces lignes (11 août 2007), sur un total de six encarts publicitaires, trois sont consacrés à des offres de crédit! [4]

Endettez-vous, rendettez-vous!

En observant ces publicités, un fait particulier a retenu mon attention : alors que nos grands-parents (du moins les miens) mettaient un point d’honneur à demeurer libres de toute dette, alors qu’il y a peu, on n’empruntait que pour devenir
propriétaire de son logement (ce qui n’est pas un mauvais calcul, le montant des traites pouvant être avantageux par rapport aux prix des loyers) ou à la limite d’une voiture, les crédits servent maintenant à boucler les fins de mois (Mastercard et consorts) [5] ou à partir en vacances ! C’est par exemple un des motifs classiques de prêts présentés sur MonCrédit.be, Cétélem ou encore Emprunter.be. Sous les appellations diverses de « prêt voyage», « crédit vacances » ou encore « budget loisirs », le fait d’emprunter pour des vacances devient presque banal. Mastercard et Visa ciblent également leurs clients potentiels en lançant des offres promotionnelles au moment des vacances d’été. Chez Cofidis, les clients bénéficient durant l’été d’un «joker » qui leur permet de ne pas rembourser de mensualité en juillet-août… histoire de pouvoir dépenser l’argent qu’ils n’ont pas. Certains voyagistes sous-traitent avec un établissement bancaire ou un organisme spécialisé (type Cetelem, Cofinoga, Sofinco) pour un crédit de courte durée ou un crédit revolving. Les plus importants de ces organismes ont même créé des cartes spéciales pour les vacances (par exemple la carte Impulsion de Nouvelles Frontières).

On pourrait penser que tout ce tapage n’est pas nécessairement si intéressant que ça pour les sociétés de crédit. En effet, s’il est facile d’obtenir un prêt – et il suffit d’ouvrir les yeux pour constater que la facilité est un de leurs principaux arguments publicitaires – cela risque de leur faire beaucoup trop de mauvais payeurs, c’est-à-dire de clients inintéressants pour eux. Mais ce serait là les prendre pour plus stupides qu’ils ne sont : le premier numéro de 2007 de «Budget & Droits» contenait un article consacré au crédit à la consommation [6]. Malgré la « facilité » de la tâche, seuls 13% de leurs enquêteurs sont parvenus à conclure un contrat… Cela laisse songeur et pousse à réfléchir plus loin. Il semble plutôt que l’impact de la publicité soit d’augmenter le nombre de demandes de crédit, ce qui permet de durcir les conditions de l’offre et par là de diminuer les « marges d’erreurs » tout en conservant, voire en augmentant le nombre et le volume des crédits. Tout bénéfice pour le secteur.

quelques
chiffres
[7] :

En Belgique, le nombre total de crédits aux particuliers en cours en 2006 a admis une augmentation de 5,1 % par rapport à l’année précédente, totalisant un score de 7.179.204 contrats [8]. Le nombre d’emprunteurs enregistrés atteint désormais 4.574.224 personnes, ce qui témoigne d’une hausse de 2,7 % et qui représente 54,9% de la population belge adulte. En Wallonie, 60,4 % de la population a souscrit au moins à un crédit contre 51,8 % en Flandre et 48.8 à Bruxelles. 4% de la population adulte belge est surendettée.

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