Douloureusement et à regret il s’extirpa de son rêve, une guerre magnifique…On frappait à sa porte avec une insistance inhabituelle.
– Commandant ! Commandant ! Venez donc sur la redoute, prenez votre longue vue, on distingue quelque chose au septentrion…
– Minute ! Cinq pour le moins, que je me lève, lave, rase et que j’enfile mon uniforme, saperlipopette.
Une fausse alerte, pensa-t-il. En trente ans de garnison, il n’avait connu que des fausses alertes. C’est parce que cette fois était peut-être la bonne et que dans ce cas il n’eût pas fallu la rater, qu’il sortit de son lit et enfila ses mules.
Au dehors, la brume s’était envolée, découvrant un horizon clair et bien découpé. A la redoute c’était l’effervescence. La population de la forteresse au grand complet. A son arrivée, tous se mirent au garde à vous et lui leur fit « repos »…
– Lieutenant ! Dites-moi où je dois pointer ma longue vue ?
– Dans le petit triangle de la plaine septentrionale… là… mon Commandant !
Le commandant manipulait fichtre bien son instrument, il pointa d’un coup dans le mille.
– Sacrebleu, ventrebleu un cavalier galope vers nous, cela semble sérieux !
– Est-il armé ? Osa le lieutenant…
– Il est trop loin encore, je ne distingue pas les détails…attendez, attendez, si,si, voilà…
La tension montait d’un cran. Il réajusta sa longue vue…
– Sapristi mes bottes, jarnicoton, non d’une carabine à bouchon, ce n’est pas Dieu possible. Messieurs les soldats, la silhouette que vous apercevez au loin, ce cavalier qui fonce vers nous et soulève la poussière, tenez-vous bien, c’est une cavalière, une femme et si je n’ai pas la berlue, elle semble bien balancée et vachement fournie, c’est pas une maigrichonne de pub, je peux vous le jurer… Allons messieurs, restons calmes et préparons-nous pour la bataille, euh, pour l’accueillir plutôt et dignement…
Quelques cataclops plus tard…
– Bonjour, belle dame !
– Bonjour, messieurs !
– Que nous vaut l’honneur de votre visite dans notre modeste forteresse…
– Je cherchais une auberge pour me reposer un peu car j’ai fait longue route et…
– Ce n’est pas ici une auberge, madame, mais nous trouverons bien un petit coin pour vous héberger…
Tous crièrent « Oh oui ! Oh oui ! Oh oui ! »
– Du calme,messieurs mes soldats…
– Je le veux bien, puisque vous le voulez. J’accepte volontiers votre offre et pour vous remercier, aujourd’hui je serai votre cantinière.
Tous s’époumonèrent : « Hourra ! Hourra ! ».
– Qu’allez-vous nous préparer de bon ?
– Un tartare, par exemple ?
– Mama mia, ça fait trente ans que je l’attends !
Elle s’établit dans la cuisine. Eux, quoique militaires, ne firent ni une ni deux pour apporter rapido tous les ingrédients nécessaires. Le bœuf fut tué dans la minute, égorgé, saigné, rassis, dépecé et haché. Elle le mélangea avec du parmesan fraichement râpé, quelques tomates coupées en petits dés, des oignons nouveaux, des câpres et un généreux filet d’huile d’olive. Sel, poivre et quelques gouttes de citron. A part, elle fit cuire dans d’énormes casseroles des spaghettis fins, al dente. Restait le pesto. Basilic à gogo, parmesan, pignons de pin grillés, ail et huile d’olive, le tout au pilon, car le mixer n’avait pas encore été inventé. Une salade roquette-tomates séchées complétait le festin.
– A table !…
Une fois n’est pas coutume, à la forteresse on se régala, on fit la fête, on bu du vin…
Elle dormit comme un loir…
Eux pas du tout…
Les jours qui suivirent son départ, on enregistra dans la garnison un taux de désertion anormalement élevé…