Toujours à dada, elle traverse un tout petit pays, plat par-ci, pas si plat par-là. De la fagne à La Panne, des manants hébétés regardent batailler des chevaliers entêtés. Ils arborent fièrement leurs blasons, coq ou lion, et pif et paf, volent des noms d’oiseaux et les coups d’épée dans le vide et dans l’eau. Le bon sens n’est pas de mise dans ce pays en crise.
Il se fait tard, le soleil enfile son déshabillé orange, il s’apprête à se glisser sous la couette horizontale. Le cheval part au galop, il faut faire vite car il n’a pas de phares…un refuge pour la nuit…Une place dans l’écurie pour lui, un plumard à une place pour elle…Y-a-t-il une lueur d’espoir dans ce crépuscule ? La voici, là…une loupiote…pied à terre…c’est un château. Le pont-levis est baissé, la porte « contre », elle est plutôt pour l’aventure.
– Toi, mon cheval, cherche le palefrenier, je m’en vais quérir l’habitant de cette demeure. Holà, il y a quelqu’un ?
– Je suis las…
– Où ?
– Ici, mais je suis las…Montez, si vous êtes belle !
Elle monte quatre à quatre sans en douter. Affalé sur un trône, un vieux roi pensif, l’air découragé, la couronne de travers et le sceptre rouillé regarde danser les dernières flammes d’un feu mourant. Il se retourne vers elle..
– Non d’une trique, enfin une belle bouille après ce défilé de casse-pieds. Je peux vous le dire franchement mademoiselle, je m’ennuie royalement !
– Que puis-je pour vous ? On joue ?
– A quoi ?
– Une partie d’échecs ?
– J’en sors…je préfère les dames !
– Votre sire est bien bonne quoiqu’un peu caustique.
– Cirer mes parquets puis me tirer avec mes paquets, voilà ce qui m’attend.
– Allez, allez, secouez-vous !
– Vous avez une recette ?
– Vous voulez manger ?
– Vous faites bien la tambouille ?
– Pardi, c’est mon hobby et ma foi mon dada.
– Où sont donc les cuisines ?
Elle taille en dés des blancs de poulet qu’elle fait revenir dans du beurre avec des oignons émincés. S’ils reviennent, ils passent à la casserole avec des carottes en rondelles, du céleri et des poireaux coupés en morceaux, thym et laurier, sel et poivre. Elle mouille avec de la gueuze (2/3) et du bouillon (1/3). Ca mijote une demi-heure.
Le fumet monte jusque dans la salle à manger. Il salive déjà. Bon prince, il dresse la table : argenterie et cristal pour cette gente dame.
Redescendons à la cuisine. Elle ajoute pour terminer un jaune d’œuf battu dans de la crème fraîche.
– Un vrai régal très cher ! Vous l’appelez comment ce mets ?
– Waterzooi de coq à la gueuze.
– On pourrait en faire un plat national ! En attendant, buvons un coup, je me sens d’humeur joyeuse.
– Et la chute ?
– Avec de bonnes recettes, on pourrait l’éviter !