Bécassine dans la Marine

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Un chômeur à bord de la frégate Léopold 1er, C4 ne refuse pas. La Défense vient de racheter à nos voisins hollandais deux frégates, bien plus récentes et plus « luxueuses » que celles dont la Marine disposait auparavant. Afin de présenter cette nouvelle acquisition, une journée presse est organisée. A 11h, nous partirons du port de Zeebrugge pour revenir à Anvers vers 16h. C’est décidé, moi, Bécassine, 25 ans, journaliste à mes heures, je me jette à l’eau.

10h30 : arrivée à Zeebrugge, dans les locaux de la base militaire. Après une courte conférence de presse donnée par le capitaine du Léopold 1er, Wim Robberecht, nous prenons le chemin de la frégate. L’engin est impressionnant avec ses 120 mètres de longueur et son univers métallique. C’est sûr, je n’embarque pas sur le Love Boat…

11h30 : les cordes sont lâchées, le remorqueur nous tracte et nous met dans l’axe. Nous avons droit aux habituelles consignes de sécurité et à l’indémodable gilet de sauvetage. Le sérieux de l’instructeur m’inquiète un peu. Il ne m’en faut pas plus pour engager la conversation avec le premier «uniformisé» que je croise. Il me rassure tout de suite : « aucun accident grave n’a jamais eu lieu sur un bateau militaire, c’est fait pour résister à tout. C’est bien plus dangereux de prendre le ferry ou un bateau de croisière ». Je remarque que le tutoiement est de rigueur, toutes hiérarchies confondues. Moi qui voyais la Défense comme quelque chose de très strict, je suis surprise : tout le monde se connaît et l’atmosphère est bon enfant. Cette familiarité est de mise au sein de la Marine ; les matelots passent plusieurs mois ensemble, sans espace intime, la proximité est donc inévitable.

12h00 : je suis invitée à prendre l’apéro et découvre un petit bar charmant dissimulé derrière des rideaux. Le tarif est sur la table, j’y jette et y rejette un œil … le whisky coca est à 0,50 euro et le reste de la carte tout aussi politiquement incorrect. Les rires des marins jettent l’ambiance, j’aime les écouter parler de leurs expériences et je les trouve courageux. Peu de personnes ont le cran de mettre entre parenthèses leur vie familiale, sentimentale et sociale pour embarquer plusieurs mois en mer, dans des cabines ridiculement petites et sans possibilité d’intimité. Les marins gagnent bien leur vie, c’est vrai (1 mois en mer varie entre 2.500 et 3.000 euros), mais la contrepartie est assez salée.
Plus de contact possible entre les marins et leurs proches durant les traversées sauf le courrier qui leur est distribué lors des escales. Comme le disent certains, ce n’est pas évident pour les couples « quand on revient à la maison après 4 mois d’absence, ça crée des tensions, votre femme s’est habituée à tout faire sans vous et quand débarquez et voulez reprendre votre rôle d’homme à la maison, elle perd ses marques. »

12h45 : le repas est servi au mess. Au menu : carbonnades flamandes et frites, et c’est délicieux. Je fais le compliment à mon voisin officier qui me répond :
« C’est normal que ce soit bon. Imaginez le moral des troupes si pendant 4 mois en mer ont leur servait de la nourriture infecte ».

13h15 : je décide de prendre mon café en solitaire sur la proue de la frégate. Nous avons de la chance, c’est une journée magnifique. Je me pose la question : aurais-je le courage de mettre entre parenthèses ma vie telle que je la connais, pour partir à l’aventure ?

13h45 : la visite de la frégate débute. Rien d’officiel, pas de guides prévus, pas d’équipes déterminées. Chacun accompagne qui bon lui semble et les marins ne se font pas prier pour nous faire découvrir leur univers. C’est un labyrinthe : de nombreuses portes, sas et minuscules pièces. Nous découvrons les entrailles du bateau, la salle des machines. Nous rendons visite au radariste (comment peut-il rester cloîtré toute la journée dans 6 mètres carrés ?). Nous observons les dortoirs de Barbies : 9 lits par chambre, des matelas étroits, et 50 centimètres de casier
métallique par personne. Et pourtant, le Léopold Premier est le plus spacieux des bateaux militaires.

15h : c’est officiel, la frégate aura 2 heures de retard. Les jours précédents, des grèves ont perturbé le port d’Anvers et plusieurs bateaux sont donc sur la liste d’attente pour entrer au port. Pour moi, tant mieux, je me plais bien à bord.

16h30 : accoudée au bar et plongée dans une grande discussion, je suis interrompue par le commencement de l’exercice feu . L’alarme retentit et plusieurs équipes sont déployées (tous sont formés à intervenir en cas d’incendie) : combinaison anti-flammes, masque à oxygène, lances à incendies, même pour « du semblant », on sort le grand jeu. Tous les jours, l’entraînement est identique. L’ incendie est la catastrophe la plus probable et la plus grave qui pourrait survenir sur un bateau (nombreux moteurs et circuits électriques). Les marins doivent êtres opérationnels dans la seconde qui suit l’alerte.
18h15 : finalement le retour n’est pas prévu avant 22h… je partage donc un autre repas avec les marins. La soirée est plus festive, beaucoup se retrouvent au bar. Je me renseigne sur leur parcours : un para commando s’est blessé au genou et s’est reconverti ; une jeune femme, après plusieurs années dans l’administration, a trouvé le moyen d’allier le travail et sa passion pour les voyages. Mais pour la plupart, c’est un rêve de gamin qui s’est réalisé.

21h : nous approchons d’Anvers, le ciel rosé et les lumières la rendent magnifique. Comme la plupart des matelots, je rejoins la cabine de pilotage. Les grosses manœuvres vont débuter et le silence est de rigueur. Tous sont concentrés sur un même but : faire entrer la frégate au port sans dommage. C’est la phase critique d’une sortie en mer ; quelques centimètres trop près et la coque est endommagée.

22h : mon séjour sur la frégate touche à sa fin. Dernières petites plaisanteries mais on sent que le cœur n’y est plus ; la proximité tisse des liens. Je reverrai mes nouveaux amis, mais pas tout de suite puisqu’ils partent en mission en Afrique pour plusieurs semaines. East African Venture aura pour objectif de lutter contre la piraterie, le trafic de drogue et d’êtres humains, très présents dans cette partie du globe, mais aussi d’améliorer les relations diplomatiques entre les deux continents. La Marine, contrairement à l’armée de terre ou de l’air, est défensive, mais joue néanmoins un rôle primordial dans les relations internationales.

22h30 : retour sur la terre ferme. Je n’ai pas envie de partir, mais j’emporte quand même avec moi un tee-shirt de marin et la promesse d’avoir bientôt le béret qui va avec.

Vient l’heure des constats : j’avoue être agréablement surprise par la découverte de cet univers, nouveau pour moi. Je pense que certaines idées fausses circulent sur le compte de la Défense (« ça ne sert à rien », « les militaires sont incompétents », « les soldats sont cons et violents »). Il serait positif que les personnes portant ce type de jugement prennent le temps de s’intéresser aux militaires et de passer quelques heures avec eux pour mieux les connaître. Je ne prétends pas que tout y est rose, que tout le monde est beau et gentil mais ce n’est pas pire qu’ailleurs. J’ai surtout vu des hommes et des femmes courageux et passionnés. A quand Bécassine dans une multinationale afin que je me confronte à mes autres préjugés ?

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