Stas Academy

Download PDF

Saperlipopettouille ! Encore et toujours vous entretenir de la chose imprimée! Du moins de quelques petites choses dignes d’intérêt (nuance). C’est bien parce que je ne veux pas vous décevoir que je m’y colle car, à l’heure où je prends le clavier (j’ vais pas dire « la plume », ça n’ serait ni moderne ni vrai), plutôt que noircir des feuillets, j’aurais plutôt comme l’envie de me noircir moi. (Passons.) Au n°15 de Papiers nickelés, la revue de l’image populaire, incombe – une fois de plus – l’honneur d’inaugurer mon papier. Qu’y picore-t-on ? Les ennuis avec la justice qu’eut Honoré Daumier, la résurrection d’un émouvant article sur Poulbot paru dans le Dimanche illustré du 11 décembre 1943 (en pleine occupation allemande), un hommage au grand affichiste Loupot, une glorification bienvenue des imprimeurs des somptueuses étiquettes de camembert, « l’affaire » du portrait de Staline par Picasso, le problème de savoir « qui » a inventé la lithographie ?, etc., etc. Si tout ça ne vous intéresse pas, ne vous abonnez pas ; si vous avez des remords, retrouvez le moyen de le faire dans le C4 précédent – et si vous l’avez déjà mis au bac, allez jouer dans votre rue. Venons-en aux nouvelles jarryques. (On a ses tics.) Le n°19 de la revue de Charleville-Mézières les Amis de l’Ardenne entend rendre hommage à Alfred. Dans Jarry 100 ans, on épinglera, outre les nombreux dessins de Daniel Cazanave, une « Biographie hypothétique » pas déplaisante, des « Fouilles curieuses » de Christophe Henrion grâce auxquelles on en apprend sur la première mondiale d’Ubu cocu à Reims, des poèmes d’Emmanuel Peillet, de Philippe Merlen, Pierre Minet ou encore François Laloux et un texte rare de Roger Vailland (paru dans le Pampre en 1923) « En vélo ». C’est tout naturellement qu’on passera à Ubu cycliste, qui paraît aux éditions le Pas d’oiseau (176, chemin de Lestang F 31100 Toulouse), une édition de l’ensemble des écrits vélocipédiques de Jarry, établie et (bien) présentée par Nicolas Martin. On y retrouve Jésus dérapant dans la côte du Golgotha, Ixion attaché à sa roue pour l’éternité, des piétons écraseurs, l’acrobate du « looping the loop », la quintuplette lancée à la poursuite d’un train entre Paris et Irkoutsk et les coureurs ivres-morts dopés au « Perpetual-Motion-Food ». Ça vaut ses 10 euros. La ville natale de l’écrivain a édité un film de 24 minutes pas trop désagréable Sur les traces d’Alfred Jarry à Laval et la Bibliothèque municipale de Reims un charmant catalogue les Corps du roi : figures d’Ubu à Reims et ailleurs (iconographie plus qu’intéressante et savants textes de Christophe Henrion, Paul Gayot & Matthieu Gerbault). Serge FRECHET, Thermosophiste inspiré, publie l’indispensable T’habites Denain aux éditions de la Fournial (Clavières F 47140 Auradou), plaisamment illustré par Nicolas Barthélemy. De quoi s’agitent-ils ? Le texte explicatif « Poétique des Toponymes enchanteurs » révèle le stimulus de l’entreprise. Dans les cours de récré des années 60, des titis rigolards se chuchotaient des horreurs : — T’habites Bourg-la-Reine? — Et toi… t’habites Choisy-le-Roy ? ou encore — T’habites à Bondy. — T’habites Porte Maillot. — T’habites à cinq kilomètres de Tours. La Science réclamant son tribut, Serge Frechet eut l’intuition qu’il y aurait bien dans ces calembours enfantins un gisement à exploiter. L’acquisition du Dictionnaire National des Communes de France lui permit d’accomplir son étonnant voyage d’exploration. Pendant des mois, avec rigueur et obstination, il parcourut la litanie des lieux, attentif à débusquer la gaudriole cachée afin d’établir scientifiquement la liste de ces « toponymes enchanteurs ». Et ceux-ci furent (étonnamment) plus de neuf cents, qu’il classa dans l’ordre de l’alphabet. Quelques exemples : T’habites Andorre-la-Vieille, T’habites Coulans-sur-Lizon (Doubs), T’habites l’Ille-et-Vilaine (accent exotique), T’habites à Lachaud (Cantal), T’habites Lourdes (Hautes-Pyrénées), T’habites Plaine de Chantilly (
Oise), T’habites La Tronche (Isère)… Au vu de tels « résultats », on en viendrait à émettre le vœu pieux que l’auteur étende ses recherches à l’Europe d’abord, au Monde entier ensuite. En Belgique, on pense immédiatement à T’habites Mol, T’habites Marche, T’habites Bande, T’habites Mettet, sinon à T’habites Renaix ou T’habites Saint-Vith. On pousserait jusqu’à T’habites Gênes, T’habites Bari, T’habites Tarancon (Castille), T’habites Lima ou T’habites à Pointe-Noire. Même que ça pourrait se muer en un plaisant jeu de société, dans lequel on oserait tout : T’habites juste à côté du maire d’Eu…

Deux volumes de la collection Découvertes (Gallimard) valent le détour : le n°520, les Monstres, si loin et si proches de Stéphane AUDEGUY et le n°521, Histoire de l’érotisme, De l’Olympe au cybersexe, de Pierre-Marc DE BIASI. Du sexe encore, avec un aperçu de l’inégalable collection d’ouvrages érotiques et d’albums de photographies dénudées d’Alessandro BERTOLOTTI présenté dans Livres de nus, aux éditions de La Martinière. Organisé de façon chrono-thématique, cet ouvrage (de référence) présente plusieurs centaines de livres qui ont compté dans l’histoire de la photo de nu : Germaine Krull, Man Ray, Hans Bellmer, Bill Brandt, Araki, Robert Mapplethorpe ou Pierre Molinier sont au rendez-vous. Attentif à la conception graphique (souvent novatrice) de ces multiples publications, ce bouquin devrait également intéresser les passionnés de graphisme et d’édition. On passe des premières « académies » aux lendemains de la révolution sexuelle, à travers les avant-gardes européennes, les publications naturistes ou homophiles, les somptueux livres japonais, voire le culte de la nudité corporelle, l’entraînement physique constant et l’exhibition sans complexe de cette nudité (symbole de virilité masculine et de la fécondité féminine) intégrés au plan général d’éducation destiné au peuple par les Nazis. Pas d’image cette fois mais un texte intéressant de Roger DADOUN, Utopies sodomitiques, Diagonales de l’anal, précédant la réédition d’un stupéfiant traité de 1754 dû au R. P. Sinistrari D’AMENO, De Sodomia, Exposé d’une doctrine nouvelle sur la sodomie des femmes, distinguée du tribadisme (dans la collection Lieux d’Utopie des éditions Manucius – 9, rue Molière F 78800 Houilles). Nolens volens, le prélat met en pleine lumière le rôle de la sexualité anale dans une vision théologique et religieuse de l’humanité, sur laquelle plane l’ombre de Satan. L’ignoble plaisir, le vice infâme, le crime abominable entre tous, dénoncé avec une invraisemblable fureur sacrée, ne saurait être sanctionné que par la décapitation, le gibet, le bûcher, ayant au préalable exigé torture par le feu, flagellation et autres sévices choisis. La riposte décisive du savant essai de Roger Dadoun se lit avec plaisir.Vous y croiserez « un Luther, accroupi sur les latrines du monastère de Wittenberg, hallucinant la Réforme à venir, un Jérôme Bosch ourdissant un Royaume millénaire où le Diable avale les humains pour les chier comme des étrons, un Dante, un Sade, les hordes nazies faisant d’Auschwitz « l’anus du monde », mais aussi les exquis Sonnets luxurieux de l’Arétin, Fourier et son Nouveau monde amoureux, les récits d’un Artaud ou d’un Bataille, les avancées déterminantes de la psychanalyse et les plus hautes créations esthétiques qui viennent restituer à l’Anal toute son éminente fonction dans le circuit énergétique vivant de la réalité humaine » ; 10 euros bien dépensés. Comment ne pas passer ensuite à Sodome et Grammaire, le dernier né de Jean-Pierre VERHEGGEN, où tous les coups sont permis (en poésie s’entend) ; c’est publié par Gallimard et c’est « chié ». Tiens, tant qu’on est dans la poésie, faites donc la fête à notre ami Tom NISSE (qui collabora un temps à C4) en commandant deux de ses recueils : le Cahier Rouge (Plus tôt te Laat – www.pttl.be) et Noté en passant (éditions Caractères, 7, rue de l’Arbalète F 75005 Paris). Comme il se dit obsédé par la restriction des libertés individuelles et/ou collectives dans le monde
contemporain, on sent ici une sainte fureur qui fait du bien par où elle passe. Quant à Pierre TRÉFOIS il publie (chez Gros Textes, cave de Fontfourane F 05380 Châteauroux-les-Alpes) l’Ellipsée, un aimable recueil, comme « un uppercut de tendresse ».

Vous ne savez que choisir dans votre (bonne) librairie ? Voici une dizaine de suggestions rapides : 1. la réédition de Batailles, de Jean-Michel RIBES & Roland TOPOR (Actes Sud – Papiers) : ébouriffant. 2. la Chronique du règne de Nicolas Ier, de Patrick RAMBAUD (Grasset), dans laquelle Sarko se fait utilement étriller : intelligemment crevant ! 3. Octobre, de Jacques PRÉVERT (Gallimard) : tous les sketches et chœurs parlés écrits par l’homme de Paroles pour le groupe Octobre (1932-1936), troupe de théâtre amateur qui s’avéra insolemment militante face à la crise et à la misère du prolétariat, s’insurgea contre la corruption des élites et dénonça courageusement la montée des nationalismes. Antimilitarisme, anticléricalisme, antiparlementarisme, antifascisme, bref radical (quoique férocement humoristique) : du nanan ! 4. le Dictionnaire de la pluie, de Patrick BOMAN (Seuil) : « On s’y promène rincé et ravi, entre crachin et cyclone, inondation et sécheresse, et malgré tout sans précipitation. Ethnologues, folkloristes, mythologues, poètes et écrivains, météorologues… tous nous révèlent ces mots chargés de nuages, et annonciateurs d’éclaircies comme s’il en pleuvait. » Magnifique. 5. le Club des cancres, d’André DHÔTEL, avec une (touchante) postface de Jean-Claude Pirotte (la Table Ronde) : un court récit du genre adorable. 6. l’Art de se conduire dans la société des Pauvres Bougres enseigné aux gens du monde, par la Comtesse DE ROTTENVILLE (marrant pseudo du très insolent André GILL) : 100% caustique et hilarant. 7. la Vie de Patachon, de Pierre DE RÉGNIER, fils de Marie de Hérédia et – non pas d’Henri de Régnier mais – de… Pierre Louÿs (le Castor astral) : un réel chef-d’œuvre qui vous étourdira, vous précipitant dans le rythme effréné de la bringue nocturne des années folles. À dévorer toutes affaires cessantes. 8. Théologie des chemins de fer, de la vapeur et du feu & autres textes d’Antoine MADROLLE, un « fou littéraire » que nous présente Bruno Duval (éditions des Cendres). Le 8 mai 1842, le train Versailles-Paris, bondé, déraille à la hauteur de Meudon. Les wagons de bois flambent comme bouchons de paille. Il n’y aura pas de survivants. Hypnotisé par l’ampleur de la catastrophe, le prophète de malheur Antoine Madrolle (1792-1860) prétendit lever le voile sur les implications « théologiques » du sinistre. Car si « prophète » il se prétendait, Madrolle ne faisait ses prophéties qu’après coup ! Hallucinant. 9. Puisque ce très étrange Madrolle fut « vintrasien », profitez-en pour vous plonger ensuite dans Vintras, hérésiarque et prophète, une réédition de l’essai de Maurice GARÇON (paru en 1928), précédé de Protée aux enfers par François Angelier. Suite à l’apparition, à Tilly-sur-Seulle (Calvados) d’un étrange vieillard qu’il prit pour Saint Joseph, Pierre-Michel Vintras (dit aussi l’Organe ou le nouvel Élie) se lança dans une hallucinante carrière de visionnaire apocalyptique et de pontife sectaire, appliqué à une régénération mariolâtrique de l’Église et à une annonce joachimite du règne de l’Esprit. Apparitions d’hosties sanglantes, emprisonnements, exils, le récit de cette « geste » hérétique se lit comme un roman. 10. Paris, ville catin (des origines à 1800), par Andrew HUSSEY (Max Milo, collection l’Inconnu) : un iconoclaste Anglais qui scrute le roman de la capitale française, s’éloignant joyeusement de tous les clichés. Absolument intéressant. (Un second tome est annoncé, qui nous baladera de 1800 à nos jours).

Ultimes recommandations : Commandez donc à la Galerie 100 Titres (2, rue Cluysenaar 1060 Bruxelles) le catalogue de la sublime expo concoctée par Alain DE WASSEIGE Jeux de mots, jeux d’images (qui s’y montre jusqu’au 16 mars) : il est fichtrement beau et costaud. Ne manquez pas non plus de prier la Galerie Nadia Vilenne (5,
rue du Commandant Marchand 4000 Liège) de vous réserver un exemplaire de Ne neige pas qui veut, un fort rafraîchissant petit ouvrage dans lequel Jean-Michel BOTQUIN fait (presque) toute la lumière sur le « Neigisme » du CAPITAINE LONCHAMPS, Spadois d’exception. Mazette ! On disait que c’était bon comme ça, non ? Sitio.

Aucun commentaire jusqu'à présent.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

Archives

Catégories

Auteurs