Silence! On revitalise

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«La ville est un enjeu de civilisation.» Nicolas Sarkozy.

Le Ministère du logement, des transport et de l’aménagement du territoire occupe donc une position stratégique sur le front du renouveau wallon. Et, le 16 janvier dernier, le ministre André Antoine (CDH) se déplaçait à Liège. Il venait y annoncer une bonne nouvelle: les sites de Droixhe et des Guillemins se voyaient accorder le statut de Périmètre de Remembrement Urbain (désormais, dites PRU). Sur ces deux zones, on pourra profiter d’un décret qui permet d’effectuer des travaux d’importance en prenant les distances nécessaires avec les plans de secteur et d’aménagement ou les règlements d’urbanisme — mais en respectant les lignes de force du paysage.

Le principe est simple : pour pallier à la nécessité de mener rapidement des travaux d’envergure, on détermine un périmètre sur base d’un projet d’urbanisme concret, et après consultation de la population. Et à l’intérieur de ce périmètre, pour accélérer les choses, on accorde une dérogation en ce qui concerne des dispositifs normatifs obsolètes, inadaptés, voir cacophoniques: il n’y a désormais plus qu’une seule autorité, celle du fonctionnaire délégué par la Région. Et il n’y a plus qu’un seul permis : gain de temps (donc gain d’argent). Tout le monde est content et la rénovation du tissu urbain peut être boostée. CQFD.

Du coup, à Liège, le collège, qui évite le triomphalisme, respire quand même un peu. Traditionnellement, avec l’expérience des antécédents locaux, les travaux pharaoniques, on y croit quand on les achève — le jour de leur annonce, on opte pour la méfiance. Et quand la presse écrite publie la photo des maquettes, le journal de la télé locale (RTC) temporise: «entre l’appel aux investisseurs, le respect des canlendrier et l’espoir de voir leur quartier renaître, les liégeois attendent, spéculent. Bref veulent du concret». Grâce au PRU, le bourgmestre peut anticiper et rassurer tout le monde: fort des garanties sur la vitesse de réalisation, les investisseurs se bousculent déjà au portillon. Aucun souci à se faire…

À ce stade-ci, pour bien comprendre toute l’importance et les implications pratiques d’un dispositif comme le PRU, il faut savoir qu’aujourd’hui aucun ouvrage d’importance ne saurait se réaliser sans prononcer la formule magique: PPP. La coexistence d’impératifs d’investissements de taille et de difficultés budgétaires endémiques ont consacré les Partenariats public-privé comme le win-win des politiques d’aménagement du territoire et d’urbanisme. En pratique, rien ne se fait sans la participation des promoteurs — et le PRU vise aussi à rassurer ces partenaires-là. Et tout ça sans qu’on ait, pour autant, le moindre souci à se faire?

Le cas liégeois, emblématique, a tous les atouts pour pousser à la réflexion — même si on peine à trouver les traces du grand débat qu’on pourrait s’attendre à vivre, vu l’importance des enjeux. Les experts prédisent que Liège vivra, dans les 30 ou 40 prochaines années, une période de profonds chambardements. C’est dans l’ordre des chose, un tissu urbain, ça bouge, ça change, ça vit: il n’y a pas lieu de s’inquiéter, il s’agit juste de penser le mouvement. Quitte à devoir s’offrir un lifting, autant que ça débouche sur quelque chose d’intéressant — on pourrait même être optimiste: «la ville est le seul être vivant capable de rajeunir vraiment», comme dirait la région Wallonne (en citant Jaques Attali).

Mais, au moment de renforcer les principes d’une saine collaboration privé-public, on aurait envie de se demander sur quel modèle global les projets qui vont se mener viendront se greffer? Avant de se lancer dans l’aventure, si on connaît bien les motivations, légitimes, des entrepreneurs, qu’est-ce que Liège veut devenir (dans l’ensemble)? Ok, dans l’update du Projet de Ville (réalisé en 2007, avec la participation des habitants), c’est très bien expliqué: les Liégeois veulent une ville propre, sûr, belle, verte, jeune,
sportive, (inter)culturelle et universitaire. Une ville proche des seniors et dans laquelle on se déplace facilement 1. Mais comment construit-on une vision urbanistique fondamentale à partir d’un tel inventaire?

Liège vit encore aujourd’hui sur une espèce de matrice héritée de l’ère Blonden, la dernière grande entreprise de restructuration du paysage urbain. À l’époque la ligne directrice était claire et déterminante : amener l’autoroute jusqu’en plein dans le centre. On imposa au corps de la ville des modifications irréversibles — par exemple la magnifique percée Hocheporte. Ces boulversements ont eu des conséquences très critiquables mais apportèrent indiscutablement une cohérence globale. En 2008, on voit bien la promesse d’addition des projets massifs — les Guillemins + le Grand Curtius + la Média-Cité + Droixhe + l’Embarcadère du savoir + … — mais en quoi consiste, au juste, la matrice qui les accueillera?

L’ampleur de la mutation de la ville impliquera de repenser le modèle, la conception fondamentale de l’aménagement territorial. Habitation, mobilité, activité économique, mixité sociale, environnement s’inviteront dans une réflexion qui promet d’être complexe si on veut atteindre l’équilibre souhaitable. En France, par exemple, les municipalités se sont dotées d’agences d’urbanisme, des organismes indépendants qu’elles financent pour plancher sur les questions liées à l’évolution de la ville. Bruxelles, et même Seraing, ont fondé des bureaux d’études inspirés de ce modèle. Comment Liège pourrait-elle faire l’économie de ce genre de boulot sans réduire sa politique urbanistique à une simple juxtaposition d’oportunités?

L’application de l’axiome «sécurité et propreté = consommation et tourisme» a permis de redessiner l’hypercentre (Galerie et Place Saint-Lambert, Îlot Saint-Michel) mais il ne semble pas très fonctionnel pour penser la vie dans les quartiers ou la proche banlieue. (Les rapports hypercentre/périphérie qu’il induit nous pousserait même à se demander si la périphérie est, simplement, prise en compte dans les logiques qui utilisent cet axiome-là?) En l’absence apparente d’une réflexion sur le modèle global, capable d’intégrer harmonieusement les différents projets, comment le pouvoir communal peut-il éviter de courir derrière l’initivative privé — en quête d’une coordination toujours plus hypothétique?

Personne ne plaide sérieusement pour l’instauration d’une politique d’urbanisme d’inspiration résolument communiste où la ville prendrait tout en charge, ni pour la venue d’un démiurge dirigiste qui imposerait un mystérieux plan connu de lui seul. Seulement, quand on s’attarde sur le cas des providentiels PRU, par exemple, on a du mal a ne pas s’interroger un minimum: en l’absence d’une conception bien pensée du devenir de la ville, comment pondre un cahier des charges suffisament précis pour garantir la connection à l’ensemble de la ville? Et, en l’absence de ce type de cahier des charges contraignant, comment imposer au promoteur une vision d’ensemble de ville?

On ne saurait s’opposer au principe du PPP. Par contre, en l’absence d’un cadre strict et établi a priori, on peut se demander où finiront par se prendre, pratiquement, les décisions en matière d’urbanisme et d’aménagement du territoire? En bref, une addition de projets qui intéressent les promoteurs et favorisent le tourisme et le commerce en garantissant la sécurité et la propreté, quel genre de ville ça peut donner, au final? Autre chose qu’un vaste parking nocturne pour banlieusard de Bruxelles ou de l’Eurégio — avec possibilité de divertissement le week-end?

Qu’elle se décide ou non à se doter d’une matrice urbanistique pensée, Liège sera un laboratoire de l’aménagement du territoire — pour le meilleur ou pour le pire. Et qui sait, on pourrait même finir par s’y poser des questions très transposables ailleurs en Wallonie et à Bruxelles (voire même en Europe):
Quelles sont les conséquences pratiques sur un tissu urbain des PPP sans vision globale préalablement déterminée? Comment se construit, se rénove, se tranforme une ville? Où se prennent les décisions fondamentales? À quel niveau se dessine la matrice urbanistique dans nos démocraties avancées?

Autant de questions qui pourraient aussi servir de réponses à ceux qui se demandent pourquoi on a l’impression qu’il est difficile d’ouvrir de grands débats sur les problèmes d’urbanisme…

Notes:

  1. Pour consulter le Projet de Ville:
    [->http://www.liege.be/projetdeville/default.htm].

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