Mariage blanc

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On envisage souvent la mariage blanc du point de vue du « demandeur ». Nous avons voulu ici donner la parole à l’autre partie. Dans un contexte économique de plus en plus difficile, en particulier pour les populations précarisées, l’attrait de l’argent est parfois irrésistible. Céline et Vinciane ont accepté un mariage blanc pour 5000 euros et 7500 euros. Aujourd’hui, Céline regrette de ne pas avoir mesuré toutes les conséquences de son acte, tandis que Vinciane, elle, réalise à peine que la situation dans laquelle elle se trouve n’est pas aussi simple qu’elle l’aurait cru.

Céline, 23 ans, mariée depuis un an à M., d’origine marocaine.

« J’ai rencontré M. dans le quartier où je vivais. Je le croisais souvent en allant faire mes courses dans l’épicerie arabe de mon quartier. On a fini par sympathiser, et il m’a invitée plusieurs fois à aller boire un verre. Après trois ou quatre rendez-vous, il m’a demandé si je serais prête à envisager un mariage blanc avec lui. Au début, j’ai été bouleversée par sa demande. Je ne m’y attendais pas du tout. Il m’a expliqué que pour lui, c’était vital d’obtenir des papiers, qu’il n’en pouvait plus de vivre dans la clandestinité, et que j’étais sa seule chance d’en avoir. Il m’a proposé 5000 euros pour le faire. Je n’ai pas beaucoup réfléchi. J’étais dans une situation financière difficile, et je ne me rendais absolument pas compte de tout ce que ça allait impliquer comme difficultés. On a d’abord vécu ensemble quelques mois. On partageait les repas, on passait des moments ensemble à la maison, mais j’étais libre de voir qui je voulais, et on ne dormait pas ensemble. Il payait le loyer de la maison, les charges, et une partie des courses. Je me posais des questions sur la façon dont il gagnait sa vie, mais je préférais ne rien demander…ne rien savoir. Il me laissait assez libre. Même quand il m’arrivait de ramener un mec à la maison, il ne disait rien. Après quelques mois, il m’a demandé si j’étais d’accord qu’on se lance dans le procédure, et j’ai accepté. Il m’a donné un premier « acompte » de 1000 euros. C’est là que ça a commencé à devenir difficile. Il s’est mis à m’expliquer tous les problèmes qu’on risquait d’avoir, et le fait qu’on allait sûrement faire une enquête sur nous. On a dû se raconter notre vie familiale en détails, et faire des séances d’exercices… C’était tellement absurde ! Et effectivement, on a eu droit à une enquête. On a quand même pu aller au bout de la procédure, et on s’est mariés en février, l’an dernier. A ce moment-là, j’ai reçu 2500 euros. Le reste, il m’avait dit que je l’aurais quelques mois après. Moi, je pensais continuer à vivre comme avant, en restant libre, mais assez vite, ça a changé du tout au tout. Il est devenu exigeant, agressif. Il a commencé à me demander des comptes sur ma vie sentimentale. Un jour, il m’a vue avec un mec dans un café, et quand je suis rentrée à la maison, il m’a traitée de pute, et m’a frappée. Heureusement, j’ai un ami qui est allé le trouver et qui l’a menacé. Il s’est calmé. Mais je n’ai pas pu poursuivre la vie commune avec lui. Il m’a menacée à plusieurs reprises de me faire du mal si je le quittais et si notre mariage était annulé sans qu’il puisse obtenir ses papiers. Aujourd’hui, je ne sais pas quoi faire. Je vis dans la peur, et je suis coincée, parce que j’ai accepté ce mariage contre de l’argent, ce qui est un délit punissable par la loi… J’ai tout le temps peur qu’on nous dénonce, ou que les enquêtes administratives finissent par nous prendre en défaut, d’autant que je ne vis plus avec lui, même si mon domicile est toujours là. C’est difficile d’envisager l’avenir dans ces conditions. J’ai l’impression d’être au centre d’un cercle vicieux, et je ne sais pas comment en sortir… »

Vinciane, 27 ans, mariée depuis trois mois à A., d’origine tunisienne.

« Moi, j’ai connu mon « mari » au café où je travaillais comme serveuse. Il connaissait déjà ma sœur, et c’est d’abord à elle qu’il a demandé de se marier avec lui, en échange d’une
somme de 7500 euros. Ma sœur était fiancée, et a donc refusé tout de suite. Lorsqu’elle m’en a parlé, j’ai d’abord trouvé ça un peu dingue. Puis, j’y ai repensé. J’avais pas mal de problèmes d’argent, et 7500 euros, c’était pas rien… Alors j’ai demandé à A. qu’on ait une discussion et qu’il m’explique ce qu’il attendait exactement et ce que je risquais, aussi. Il a été honnête avec moi. Il m’a bien expliqué la procédure, le fait qu’on allait subir des interrogatoires, et puis surtout le fait qu’on allait tout de même devoir vivre ensemble un certain temps, et que même s’il n’allait pas me forcer à l’aimer ni à avoir une vie sexuelle avec lui, il n’accepterait pas non plus que je ramène un mec ou que je me ballade dans le quartier avec un type. Si je voulais une vie intime, je devais rester discrète, au moins le temps que le mariage soit installé et qu’on ne puisse pas l’annuler. Il m’a dit aussi que l’argent serait versé en 3 tranches, et que la dernière ne viendrait que le jour où on pourrait se séparer sans risque. Je lui ai demandé quelques jours de réflexion. J’ai pesé le pour et le contre, et j’ai décidé de foncer. Quelque part, j’ai de la chance, car A. est vraiment gentil et on s’entend bien. On est mariés depuis trois mois maintenant. On a réussi à passer les étapes des enquêtes… Le plus difficile, c’est de concilier ma vie intime et sexuelle et ma vie de « fausse mariée ». Même si je n’ai pas d’obligations sentimentales envers A., comme je vis avec lui et qu’en plus, il n’a pas, de son côté, des histoires avec d’autres femmes, j’ai des scrupules, parfois, à vivre ma vie. De plus, pour les garçons que je pourrais rencontrer, ce n’est pas évident non plus. Il faut qu’ils acceptent ma situation. Le dernier garçon avec qui je suis sortie a mal vécu ça. Il ne supportait pas le fait que je vive sous le même toit que A., même s’il savait que nous n’étions pas ensemble. Et puis, le fait qu’on doive se cacher, être discrets, ça le rendait fou. Il avait toujours des doutes, et il devenait de plus en plus jaloux. Je ne regrette pas mon choix, mais c’est vrai que la situation est beaucoup plus complexe que ce que j’aurais pu penser au départ. Et on est loin d’être au bout ! »

L’Office totalise déjà 7.771 demandes d’enquête du 1er janvier au 31 octobre 2007, ce qui devrait porter le bilan à 9.325 au 31 décembre, soit 70,3 % de plus que l’an passé.

C’est 11,3 fois plus qu’il y a quatre ans. En 2003, l’Office était saisi d’à peine 822 suspicions de mariage blanc et les chiffres n’ont jamais cessé d’augmenter : 1.543 en 2004; 2.247 en 2005; 5.474 en 2006.

En 2007, 45 % en plus de mariages stoppés
Sur les dossiers traités, le nombre de mariages finalement autorisés est par contre en recul constant : 1.267 sur les 1.543 dossiers examinés en 2004; 985 mariages sur 2.247 dossiers de suspicion en 2005; 837 sur 5.474 en 2006. Sur les dix premiers mois de 2007, seuls 812 mariages n’ont pas été interrompus sur les 7.771 dossiers suspicion de fraude transmis à l’Office par les autorités communales.

Autrement dit encore : l’Office des étrangers a stoppé 276 mariages en 2004; 1.262 en 2005; 4.637 en 2006 et déjà 6.728 depuis le 1er janvier (45 % de plus que l’an passé).
Quelques chiffres par commune. Dans le nord du pays : Anvers (hors périphérie) a enregistré 654 demandes suspectes de mariage en 2007; Gand : 503; Bruges : à peine 91.

En Wallonie : l’Office des étrangers cite Mons (113 suspicions de mariage blanc en 2007); Liège (380) et Charleroi (482).
Avec 900 dossiers (pour 15 des 19 communes), la Région bruxelloise tient la floche avec, dans le top 4 des communes où l’on tente le plus de se marier dans un but illégitime : Bruxelles-ville (539), Anderlecht (399), Schaerbeek (367) et Molenbeek (248).

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