Abou Nour Ier, Sultan de Bouillon, ayant remis la main sur Le Néerlandais en 24 heures par le Professeur Hazerty, édité jadis par les éditions du Cirque Divers, bouffe lexique des 2.000 mots communs aux deux langues, il suggéra de republier ce mois-ci la grille « belge » qui s’y trouvait (les horizontaux en français et les verticaux en flamand ou le contraire, sur une suggestion de Marcel Mariën). J’opinai (à défaut de branler le chef), ce qui me contraint à grandement limiter en signes ma revue des bouquins sympas. Et pourtant plus d’une cinquantaine d’ouvrages attendent en piles d’être signalés à votre bonne attention ! Ne fût-ce que les mentionner tous m’est impossible (et je parle français).
Commençons par les génies prolifiques. Quatre BARTELT d’un coup, et du genre sublimes : La Belle Maison & Les Nœuds (chez Le Dilettante, 19 rue Racine F 75006 Paris), Les Biscuits roses (éditions La Fontaine, 34, rue de la Clef F 59000 Lille), Nadada (le n°20 de la collection Suite Noire des éditions La Branche, 21, rue Beaurepaire F 75010 Paris). 1. De l’avis du maire de Cons-sur-Lombe, M. Balbe, le gourbi destroy des Capouilles, seuls pauvres authentiques du village, fait fâcheusement tache dans le paysage. La collectivité entière est donc mise à contribution pour leur retaper une jolie demeure censée faire leur bonheur, mais… 2. Basile Porquet ne peut que déplorer que la situation du nœud dans la société moderne s’est irrésistiblement dégradée. Si encore le Président de la République posait un acte pour sauver de la déprime cet honnête artisan… 3. Vingt savoureux dialogues pour le théâtre, dignes de Dubillard, Devos ou Desproges. 4. Un serial killer de putes traqué par un détective amateur qu’on a refusé d’engager à la maison poulaga à cause de son blase : Moncheval (« Je ne me vois pas, avait dit le commissaire, déclarer aux journalistes : Messieurs, j’ai confié l’enquête à Moncheval. La police génère naturellement assez d’occasions de se couvrir de ridicule. Inutile d’en recruter sur concours. Désolé. ») Et aussi les exergues les plus inoubliables qu’on ait jamais vus. En voici quelques-uns : Une couille dans le potage, c’est une erreur. Deux, c’est une recette. – Quand le canard parle à demi-mots, il dit : « coin ». – Si le Père Noël est une ordure, la neige est une salope. – Tous les choux cabus ne s’appellent pas Albert. – Ni le sourd ni le pot n’entendent mes sanglots. – Le silence n’est que le cadavre du bruit. Etc. Je suis parfaitement d’accord avec Jean-Louis Ézine qui concluait de la sorte son papier sur l’ami Franz dans le Nouvel Obs . 2.267 : « Et nous qui pensions qu’au-dessus du grandiose il n’y avait plus rien. Pardon, il y a Bartelt. » Pour suivre, quatre POUY d’un coup, sublimes itou : Les Écrivains vus du ciel & 1664 La Bataille de Cronenbourg (chez Antoine De Kerversau, Les Contrebandiers, 52, rue Broca F 75005 Paris), Tohu-Bohu (avec Marc VILLARD) Rivages/Noir, Mes soixante huîtres (Éditions Folies d’encre, 9, avenue de la Résistance F 93100 Montreuil). 1.
Tout est beau vu du ciel, tout se transforme en magnificence graphique : la preuve sous vos yeux écarquillés. 2. Les Français ne connaissent que deux dates, 1515 Marignan et 1664 Cronenbourg (orthographe ancienne), bataille importante pour l’avenir de l’Alsace et du royaume de France pris en main depuis peu par Louis XIV. À votre santé ! 3. Après Ping-Pong, un ébouriffant méli-mélo stylistique par les meilleurs duettistes du noir. 4. Les slogans de Mai 68 réactualisés pour notre plus grande joie face à la génération des bobos : Mangez vos professeurs ! Chassez le flic de votre tête ! Ne travaillez jamais ! N’admettez plus d’être immatriculés, fichés, opprimés, réquisitionnés, prêchés, recensés, traqués ! Soyez réalistes, demandez l’impossible ! Jouissez sans entraves ! Déboutonnez votre cerveau aussi souvent que votre braguette ! Etc. Bravo J-B ! Dans la foulée, on dévorera le n° 84 de la revue Brèves (Atelier du Gué éditions,
F 11300 Villelongue d’Aude) consacré aux « retourneurs d’idées », c’est-à-dire les écrivains anarchistes de la fin du XIXème siècle (Darien, Fénéon, Mirbeau, Vallès, Barrucand, Flor O’Squarr, Louise Michel, etc.) C’est d’une lecture tonique. Le numéro vaut aussi le détour pour l’important hommage rendu à Jacques Vallet et à son inoubliable revue Le Fou parle. Restons dans les anars et commandons toutes affaires cessantes trois livres publiés par les éditions du Sextant (185 bis, rue Ordener F 75018 Paris ou 2, boulevard de la Laita Le Pouldu F 29360 Clohars-Carnoët) : Élisée RECLUS, L’Anarchie, une conférence prononcée en 1894 devant les Francs-Maçons par le grand géographe. Ce texte magnifique est bien introduit par Hélène SARRAZIN. Celle-ci nous offre d’ailleurs une fichtrement passionnante bio du bonhomme Élisée Reclus ou la passion du monde. Il avait compris que c’est grâce à l’élan de la Commune et ses chimères que la République s’est finalement imposée, que l’Église et l’État se sont séparés et qu’une vraie laïcité a pu naître. On lira aussi La Conquête du pain, l’économie au service de tous de Pierre KROPOTKINE, un essai dans lequel est proclamée l’idée qu’une société est possible sans capitalisme. Même si cette utopie paraît étrange au XXIème siècle où tout est censé être devenu une marchandise, on ne peut que constater que l’exploitation de l’homme par l’homme n’est en aucun cas abolie… Trois bonnes lectures, donc. Idem pour Les En-dehors, Anarchistes individualistes et illégalistes à la « Belle Époque », d’Anne STEINER, aux éditions L’Échappée, coll. Dans le feu de l’action (32, avenue de la Résistance F 93100 Montreuil).Une galerie de portraits d’hommes et de femmes qui refusèrent de se soumettre à l’ordre social dominant et rejetèrent aussi tout embrigadement dans les organisations syndicales ou politiques. L’émancipation individuelle comme exigence vitale, choix que plus d’un paya de sa liberté, sinon de sa vie. « Vos ordres sont des désirs! » : ne ratez sous aucun prétexte L’Ordre, par M. Le P. (Emmanuel PEILLET), publié par L’Hexaèdre (10, rue Joseph de Maistre F 75018 Paris), qui vous démontrera utilement que l’Ordre est une solution imaginaire.
Merdre ! Plus que la place pour citer en vitesse quelques trucs indispensables : un très curieux QUENEAU inédit, Hazard et Fissile (Le Dilettante) tout droit issu de sa pratique surréaliste mais aussi de Fantômas. Alfred Jarry et les Arts (S.A.A.J. & Du Lérot), Actes du Colloque de mars 2007 à Laval. Deux briques magnifiques parues chez Perrin : d’ Alain CORBIN, L’Harmonie des plaisirs, Les manières de jouir du siècle des Lumières à l’avènement de la sexologie et de Didier FOUCAULT, Histoire du libertinage des goliards au marquis de Sade. Petit manuel de littérature d’outre-tombe, Anthologie des tables tournantes de Stéphane MAHIEU (Ginkgo, 47, villa des Princes F 92100 Boulogne-Billancourt) : quand les écrivains disparus dictent aux médiums des livres inédits ! Enfin Dictionnaire illustré du Pet, par Christian DEFLANDRE (chez Horay, coll. Cabinet de Curiosité(s)). Comme dirait Bartelt, « Il y a une mémoire du rectum, mais elle ne retient pas tout ». Désolé pour Nadine MONFILS, Théophile DE GIRAUD et les potes du Somnambule équivoque, ce sera pour le prochain numéro. Promis, juré !