Sainte-Marguerite : entre détresse et espoir

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À l’image des autres échoppes et supérettes du quartier, les présentoirs de l’épicerie de spécialités italiennes débordent sur le trottoir de la rue Sainte-Marguerite. Les voitures descendent lentement la route pavée en direction de la place Saint-Lambert. De temps en temps, l’une ou l’autre Mercedes vieux modèle fait arrêt devant un commerce pour tailler une bavette avec une connaissance, déclenchant à l’occasion les coups de klaxons des automobilistes impatients. Quelques badauds appuyés contre les façades des vieilles maisons mitoyennes commentent, clope au bec, ce spectacle quotidien. Les gosses, ballon sous le bras, reviennent du petit terrain multisports installé sur le parking Goffin-Bovy. L’ambiance est qualifiée de méditerranéenne. Mais le quartier vit des heures difficiles. Pour y faire face, la résistance s’organise sous la forme d’un mouvement associatif très développé.

Grandeur…

Le quartier Saint-Marguerite est historiquement l’un des plus vieux de la Ville. Ses origines remontent au Xe siècle, époque à laquelle la Cité de Liège était entourée d’une enceinte pour la protéger des invasions. On parlait alors du Faubourg Sainte-Marguerite. Au XIXe siècle, le quartier était le théâtre d’un fourmillement populaire et industriel provoqué notamment par l’ouverture du charbonnage de Bonne Fin. S’ensuivirent un important développement économique et la nécessité pour les Chemins de fer belges de construire la gare du Haut-Pré, qui n’existe plus aujourd’hui. « C’est dire l’importance populaire de ce quartier : ça bouillonnait. C’était un quartier très commerçant. Les gens venaient faire leurs courses à Sainte-Marguerite, qui était moins guindée que le centre-ville », raconte Jacques Van de Weerdt, président de la Coordination Socioculturelle du quartier, qui a vécu de nombreuses années dans le quartier.

…et décadence du quartier

C’est la rencontre de plusieurs événements qui est à l’origine de la décrépitude du quartier. Véritable catastrophe économique, la fermeture du charbonnage de Bonne Fin en 1967 marque le début des années difficiles. À peine dix ans plus tard, la construction de la liaison à l’autoroute E25 coupera le quartier en deux, accentuant un peu plus son isolement du centre. Selon le Service d’Activités Citoyennes de Sainte-Marguerite (S.A.C.), environ 5 000 habitants ont littéralement fui le quartier sur une période de 30 ans. Cette classe moyenne a laissé la place à une population davantage défavorisée. Désormais, Sainte-Marguerite a perdu de sa splendeur aux yeux de la population et des entrepreneurs. Les commerçants sont de plus en plus nombreux à mettre la clé sous la porte et le nombre de vitrines vides augmente inexorablement. Ceux qui restent ont parfois du mal à joindre les deux bouts. Commerçant de la rue Sainte-Marguerite depuis plus de trente ans, Luigi se remémore avec nostalgie les glorieuses années du quartier : « J’ai passé des années formidables. On avait des clients qui venaient d’Allemagne, de France, du Luxembourg. Il s’agissait de restaurateurs qui venaient jusqu’ici se fournir en pâtes, en semoule, en jambon de Parme. Généralement, des clients qui achetaient pour 20 000 ou 25 000 FR à la fois. Puis, nous avions aussi les gens du centre-ville, tous les grands restaurateurs italiens qui venaient se fournir chez nous ». Selon lui, les travaux de la place Saint-Lambert ont contribué à l’isolement de l’ancien faubourg et à son déclin socio-économique : « Suite aux travaux et aux sens interdits engendrés qu’ils ont engendrés, le quartier est devenu encore moins accessible. Tous ces gens qui venaient de loin ont été détournés et m’ont finalement perdu de vue ».

La résistance s’organise

Aujourd’hui, l’effervescence populaire de jadis est compensée par une vie associative très développée. La Coordination Socioculturelle du quartier qui chapeaute une vingtaine d’associations – publiques et privées – réalise un important travail de revalorisation. Via l’organisation d’
activités proches du citoyen, qu’elle resserre les liens qui existent entre les riverains de Sainte-Marguerite, favorise l’intégration des personnes immigrées et contribue à créer cette atmosphère de village propre au quartier. Membre incontournable de la Coordination, le Service d’Activités Citoyennes (S.A.C.) comprend, parmi son large éventail d’initiatives, un volet consacré à l’insertion socioprofessionnelle des habitants du quartier. À cet égard, il aide à la recherche d’emploi, organise des formations et assure le suivi social.

Autre exemple, les cellules d’alphabétisation connaissent un franc succès auprès d’une population étrangère à plus de 25%. « La demande est forte. Il y a une dizaine de cellules qui travaillent à guichets fermés avec un grand nombre de demandes d’adultes. Des vrais analphabètes, ça n’existe pratiquement plus. Mais de nombreuses personnes sont alphabétisées dans une autre langue », analyse le président de la coordination. De même, le « Salut Maurice ! », le journal du quartier dont le titre résonne comme un hommage à Maurice Waha, est véritablement plébiscité par la population. À cela s’ajoutent des activités artistiques, des visites, des ateliers en tout genre pour les jeunes et les moins jeunes, des écoles des devoirs, etc. Sans compter les différentes fêtes de quartier supervisées par la Coordination : la Saint-Nicolas, Noël, le Carnaval, Halloween, Pâques et la grande Fête de Mai. À côté de la Coordination et de ses multiples associations pullulent en plus une multitude de petites ASBL larvaires.
Autre source d’animation : les écoles. De toutes sortes, elles sont communales, provinciales, libres, maternelles, primaires, secondaires, supérieures, spécialisées, de promotion sociale… Au nombre de treize, elles attirent à elles seules environ 6 000 étudiants par jour et pourraient bien s’avérer être à terme un atout attractif pour de futurs habitants.

La Ville met la main à la pâte

Toujours dans cette optique de rendre au quartier un peu de sa superbe, la Ville de Liège poursuit une politique d’aménagement du territoire de grande envergure. Des aménagements qui ne sont pas toujours perçus d’un bon œil de la part des riverains qui parfois s’interrogent sur la pertinence de certaines mesures, à l’image de Luigi qui déplore l’installation de potelets le long de la chaussée pavée : « Dans le temps, les gens arrivaient dans une rue conviviale et chacun se garait un peu n’importe comment. Ils faisaient leurs courses et repartaient. Parfois, tu recevais un PV. Ça dépendait de l’humeur de l’agent. Maintenant les gens sont obligés d’aller tout droit. Ils ne peuvent plus s’arrêter dans ce magnifique quartier qui à l’époque était convivial. Ces petites transformations n’ont rien apporté de bon au quartier ».
Cela dit, malgré parfois un léger manque de recul dans les décisions, la Ville semble prendre la question très à cœur. L’objectif est simple : attirer une population davantage aisée dans les multiples ruelles de Sainte-Marguerite et sauver ainsi le quartier du phénomène de paupérisation qui semble le toucher. Avec pour risque de voir Sainte-Marguerite se « bobotiser» dans les années qui viennent et perdre un peu de son âme. Jacques Van de Weerdt a d’ores et déjà détecté ce changement de mentalité : « Je suis arrivé à l’école de devoirs du Degré des Tisserands il y a 20 ans et, à l’époque, la rue était encore totalement populaire. Des gosses qui jouent dans la rue, des femmes qui discutent d’un seuil à l’autre : on était en Méditerranée! Maintenant, les deux tiers de la rue sont devenus bourgeois avec l’arrivée d’étudiants, d’architectes, d’artistes, de professions libérales… » Cette tendance va sans doute se poursuivre avec la rénovation de plusieurs pâtés de maisons insalubres ou abandonnées situés entre la rue Saint-Séverin et la rue Hocheporte. Ces îlots feront l’objet d’une opération de « dé-densification », en dégageant des espaces extérieurs pour lutter contre le sentiment de confinement. Dans un futur relativement proche, ces îlots devraient ainsi
accueillir eux aussi leur lot de classes moyennes. Cela ne signifie pas pour autant que les fractions plus précaires de la population du quartier devront mettre les voiles : des logements sociaux seront également construits et côtoieront ainsi les futurs logements moyens. En espérant réaliser ainsi une mixité tant sociale que culturelle.

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