Au niveau physiologique, il existe deux « routes » par lesquelles un stimulus externe génère une réaction de peur : une route courte, rapide mais imprécise, passe directement du thalamus à l’amygdale, tandis qu’une route longue, lente mais précise passe par le thalamus, le cortex et éventuellement l’hippocampe avant d’atteindre l’amygdale, organe essentiel au décodage des stimulus menaçants pour l’organisme.
Par exemple, si vous marchez en forêt et que vous entrevoyez, à vos pieds, une forme allongée enroulée sur elle-même, cette forme aux allures de serpent va, en passant directement du thalamus à l’amygdale, très rapidement déclencher des réactions physiologiques de peur très utiles face au danger. En même temps, ce stimulus visuel va aussi, depuis le thalamus, parvenir au cortex qui, grâce à sa faculté de discrimination, réalisera quelques fractions de seconde plus tard que l’objet de votre alarme n’était qu’un vieux bout de caoutchouc… Vous en aurez été quitte pour une bonne frousse. Précisons que l’hippocampe joue également un rôle important en nous renseignant sur le contexte ; ce système de mémoire explicite enregistre, lors d’un traumatisme par exemple, différents aspects de l’événement (lieu, date, présence de tiers, caractéristiques diverses…). Ainsi, c’est grâce ou à cause de lui que non seulement un stimulus peut devenir une source de peur conditionnée mais également les objets autour, la situation, le lieu…
Les manifestations de la peur sont nombreuses et diversifiées selon les individus. La première phase de peur, dite phase de choc, se caractérise par l’inhibition de toute action, pendant que l’on évalue la menace. Cette phase est la phase de stimulation de l’amygdale, qui va secréter de l’adrénaline et d’autres neurotransmetteurs qui vont activer le système nerveux sympathique (il dilate les bronches, accélère l’activité cardiaque et respiratoire, dilate les pupilles, augmente la sécrétion de la sueur et la tension artérielle, diminue l’activité digestive…). Notre réponse va être plus ou moins intense et fréquente selon notre capacité de réaction à ces substances. Dans le meilleur des cas, elle nous place sous une tension stimulante qui va renforcer notre acuité mentale. À l’inverse, certaines personnes seront complètement paralysées et perdront tous leurs moyens. Alfred Brauner, dans son livre Ces enfants ont vécu la guerre de 1947, constate ainsi que les manifestations de la peur « se traduisent chez certains par des cris, des hurlements, une agitation intense. Chez d’autres, par des tics, des bégaiements, de l’amnésie, de l’insomnie. Certains plus calmes en apparence sont plus troublés intérieurement. D’autres, enfin, apparaissent insensibles. » Chaque individu réagit différemment à la peur. C’est principalement l’intensité des sécrétions qui va déterminer les conséquences pour l’organisme. D’autres facteurs entrent en ligne de compte : l’imagination (qui influe sur la perception du danger) ; la composante génétique (facteurs héréditaires) ; l’environnement social (culture, médias, dans le cas d’un enfant l’anxiété et la surprotection des parents …) ; les hormones (la puberté, la maternité et la ménopause provoquent des bouleversements hormonaux chez la femme qui vont renforcer l’anxiété et donc la capacité à développer des sentiments de peur)… Par ailleurs, nous ne sentons l’intensité de ces effets physiologiques qu’une fois le péril écarté; c’est au moment où nous prenons conscience du danger auquel nous avons fait face que nous sentons nos genoux trembler, notre peau moite…
Les comportements induits par la menace peuvent être rassemblés dans le diptyque « fuir ou lutter » : si la menace se confirme, on tentera de fuir ou de se cacher ; si la confrontation devient inévitable, la lutte est l’ultime option pour tenter de défendre l’intégrité de son organisme. Dans ce cas, l’organisme est capable d’atténuer la sensation de douleur face au danger, phénomène bien connu des soldats au combat qui permet de concentrer nos énergies là
où il y a priorité.
Cependant, il existe une dernière hypothèse : celle où il n’est possible ni de fuir ni de lutter. Cela aboutit alors à la soumission et à l’acceptation du statu quo. Du point de vue de l’organisme, cela consiste à mettre en jeu ce qu’on appelle le système inhibiteur de l’action (SIA) ; ce dernier est utile en fonctionnant de façon épisodique, dans les cas où toute action ne ferait qu’empirer la situation. Malheureusement, dans nos sociétés basées sur la compétitivité, nombreuses sont les personnes qui activent de façon chronique ce circuit pour éviter des représailles. L’inhibition de l’action n’est alors plus une simple parenthèse adaptative entre des actions d’approche ou de retrait, mais une véritable source d’angoisse. Ce mal-être va peu à peu miner la santé de l’individu, car les conséquences négatives de l’inhibition de l’action sont nombreuses et ont été abondamment décrites : dépression, maladies psychosomatiques, ulcères d’estomac, hypertension artérielle sont les plus évidentes. Mais des dérèglements génétiques plus graves comme les cancers et l’ensemble des pathologies associées à une diminution de l’efficacité du système immunitaire sont aussi susceptibles de découler de l’activation prolongée du SIA. Moralité : ne pas attendre le cancer pour fuir ou lutter!
Sources :
« Le cerveau à tous les niveaux », [http://lecerveau.mcgill.ca/flash/index_a.html->http://lecerveau.mcgill.ca/flash/index_a.html]
[http://fr.wikipedia.org/wiki/Peur.->http://fr.wikipedia.org/wiki/Peur]
Brauner Alfred, « Ces enfants qui ont connu la guerre », Les Éditions sociales françaises, 1947.
[http://www.hypnose-fr.com/peur.php->http://www.hypnose-fr.com/peur.php]
[http://www.peur.org/peur.php->http://www.peur.org/peur.php]
Albert, un petit bébé de 11 mois, fut placé sur un matelas avec un rat blanc de laboratoire en 1920, dans le laboratoire du professeur John B. Watson, aux États-Unis. Au début, il fut autorisé à jouer avec, et ne montrait aucun signe de crainte. Comme tous les petits enfants, il tendait maladroitement les mains vers le rat et gazouillait tranquillement. Un peu plus tard, Watson et son assistante – qu’il épousa par la suite – se mirent à taper violemment sur une barre de fer avec un marteau, produisant un son brutal, dès que le bébé touchait le rat. Albert, très choqué, pleurait et semblait effrayé en entendant le son. Après plusieurs répétitions de l’expérience, on présenta alors le rat seul à Albert, qui montra des signes de grande agitation dès que le rat fut dans la pièce et, pleurant, tenta de s’en éloigner autant que possible. Apparemment, le bébé avait associé le rat au son, donc à une expérience pénible. Malheureusement, l’association semble avoir été un peu plus loin que le souhait de nos amis expérimentateurs. Suite à l’expérience, Albert n’avait pas seulement peur des rats mais aussi des lapins (y compris de couleur sombre), des chiens à poils longs, d’un manteau en peau de phoque et même d’un masque de Père Noël à longue barbe… On ne sait rien de sa vie ultérieure, mais espérons pour Albert et ses éventuelles futures compagnes que sa phobie du poil n’aura pas pris des proportions excessives. Il semble que l’on puisse faire désapprendre une peur apprise en exposant le sujet de façon répétée à l’objet de son appréhension.