Int(e)rim & tais-toi!

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Recette de la paella – façon Randstad.

La première fois que je l’ai entendue, je devais encore être dans la salle de bains, mais ça commence par un grésillement de cuisine. Une jeune dame se met à causer dans la radio : elle prévient qu’avec sa paella (celle dont les prémisses crépitent en fond sonore), elle obtient toujours un franc succès. Je me suis dis qu’on allait avoir droit à une nouvelle version de la tirade du cadre tellement dynamique qu’il a encore le courage de repasser par chez «dayly traiteur » après le boulot (vers 21h) pour épater ses potes avec un petit souper au beau milieu de la semaine. Le genre de woua-woua à culpabiliser les feignants désorganisés dans mon genre…

Mais la nana, visiblement hyperactive, a poursuivi : elle avertit qu’elle a un secret. Bon, maintenant, c’est un peu bête de sa part parce que tous les auditeurs de la Première vont le connaître (que je me suis dit). Oui, elle un secret : cette petite poissonnerie près du boulot, avec des fruits de mer tout frais. Et puis, surtout, cette petite boutique où elle trouve des épices merveilleuses… Là, je dois reconnaître qu’on m’a bien eu : le suspense est total! Qu’est-ce qu’elle va essayer de me vendre, la Maïté des pauvres? Je suis pendu à ses lèvres…

Alors elle embraye : c’est comme pour son boulot, elle est consultante en ressources humaines chez Randstad. Tatatam! Vous savez, le numero uno de l’intérim made un belgium, good to know you en zo voor. Mais quel rapport avec sa paella? Je suis sûr que vous vous le demandez aussi… Et bien, dans son job aussi, elle a du succès parce qu’elle sait choisir les bons ingrédients : elle sélectionne toujours le bon candidat!

Si, dans quelques années, des gens motivés se mettaient en tête de faire de l’archéologie du savoir, histoire de comprendre comment se construit le discours économique et comment il s’impose dans les cerveaux, je leur conseillerais de s’attarder sur cette pub-là. De ce point de vue, elle est épatante. C’est qu’il en aura fallu, des discussions et des glissements conceptuels, pour que naisse un marché du travail complètement libre, dans l’Angleterre du début du 19ème. Mais l’être humain refusera longtemps de se considérer comme une marchandise pareille aux autres – gros prétentieux va! C’est que les chaussures, les machines à lessiver ou les produits laitiers ne se constituent pas en syndicat, eux!

Le problème du marché de l’emploi, ça a toujours été cette sacralisation du capital humain. C’est pas pratique, pas fonctionnel – trop de barrières dans les têtes. Mais aujourd’hui, tout ça, ouf, c’est fini. Grâce à Randstad, on entre dans une nouvelle ère économique : l’ère où les consultants en ressources humaines seront des cuistots; les entreprises, des paëllas et les travailleurs, des gambas. Et la société? Un grand restaurant espagnol, évidemment! (hum, je ne suis pas sûr d’avoir tout compris).

Voilà, la dame super “speedée” qui causait dans le poste de radio s’en est allée – à mon avis, elle doit avoir un de ces agendas overbooké! Je reste un peu pantois : je devrais peut-être me documenter sur l’éthologie des fonds marins. Si ça se trouve, il reste pas mal d’espoir: crustacés & cie ont peut-être un tout gros potentiel d’organisation collective, qui sait… Je le vois déjà d’ici, le slogan du futur : calamars de toutes les mers, unissez-vous!

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Il y a intérimaire et intérimaire…

L’essor du secteur de l’Intérim s’assortit d’une capacité à diversifier son offre : au fil des ans, le travailleur-euse intérimaire s’impose comme la solution aux problèmes de ressources humaines. Essayons d’y voir un peu plus clair en tentant quelques distinctions.

Première fonction de l’interim : gérer la problématique du capital humain en cas de « pic de production ». Les agences d’intérim fournissent la main d’oeuvre de réserve : dans l’industrie, environ 60% des intérimaires jouent les «
réservistes ». On chute à 20% dans les services – mais l’intérim est plus présent dans l’industrie. On retrouvera l’intérim partout où l’économie ne peut plus fonctionner sans travailleur-euses intermittent-es – dont les principales caractéristiques sont la compétence et la disponibilité. Une bonne partie des besoins en flexibilité des entreprises pour réagir « juste à temps » aux aléas du marché et produire en « flux tendu » passe par l’intérim. Et c’est encore l’intérim qui offre les solutions idéales en cas de besoins ponctuels (dans les secteurs où on travaille par projet, comme dans l’événementiel), mais aussi pour parer aux nécessités dans les secteurs d’activités « saisonnières » (horeca, tourisme).

Ces dernières années, l’intérim se fait une belle place dans un autre secteur : celui du recrutement, où il joue le rôle de bureau de sélection pour des entreprises à la recherche de personnel. Selon les chiffre de Federgon (la Fédération des entreprises du secteur de l’intérim), la moitié des 400.000 intérimaires annuellement mis au travail en Belgique le serait dans une logique de recrutement – 47% d’ouvriers contre 51% d’employés. Les agences intérims se transforment en canal privilégié d’intégration dans le monde de l’entreprise: elles organisent la rencontre entre travailleurs et patrons et offrent des possibilités très « tendance » en matière de période d’essai. À en croire les professionnels du secteur, toutes les parties en présence s’y retrouveraient…

Le secteur intérim fera, plus classiquement, des miracles en matière de remplacement : 40% des travailleurs intérimaires viennent boucher un trou laissé par un confrère ou une consoeur pointant aux abonnés absents. Et le production de couler en continu.

Autre type, non négligeable, de main d’oeuvre intérimaire : les jobistes. Parmi les travailleur-euses qui animent les statistiques impressionnantes du secteur de l’intérim belge, plus de 100.000 sont des étudiants! Une niche de marché qui a d’autant plus le vent en poupe que le gouvernement belge lui a récemment octroyé un beau coup de pouce en doublant le nombre de jours de travail maximum pour un étudiant – nombre qui est passé de 23 à 46. Comme par miracle, le nombre de jobs étudiant hors vacances scolaires a lui aussi doublé! Et pour récompenser les courageux (et stigmatiser les paresseux) : les mois de travail étudiant sont maintenant déduits du stage d’attente. Autant de mesures qui remplissent de joie des sociétés comme Randstad ou Creyf’s.
L’intérim est aussi l’un des principaux pivots du système des titres-services puisqu’il représente 40% de parts de marché de ce secteur. Toujours en collaboration étroite avec le gouvernement fédéral.

Enfin, en termes de prospective, le secteur se positionne aussi sur le marché de l’insertion socio-professionnelle : avec le soutien de la Communauté française de Belgique, Federgon a mis sur pied un projet « expérimental » à visée « sociale » – nom de code Equal Trempli’Iterim (yeah!). En gros, il s’agit de se pencher sur le cas « des publics difficiles à insérer dans les circuits commerciaux ». À ce stade-ci, l’intérim n’intervient pas encore directement dans le domaine de la formation, il se contente de l’orienter (notamment via des projets pilotes comme Equal Coach Interim), mais on prend les paris : et si la formation professionnelle devenait le nouveau terrain de chasse du biz de l’intérim, avec le soutien de la Communauté française de Belgique?

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Les travailleurs intérimaires et leurs droits

Le travail intérimaire est très réglementé et les travailleurs engagés sous ce type de contrat bénéficient en principe des mêmes droits que les autres travailleurs. Une égalité, parfois soumise à conditions, qui ne peut pas faire oublier la précarité du travail intérimaire.

Dans le cadre d’un contrat de travail intérimaire, l’employeur est l’agence intérim. C’est elle qui rémunère le travailleur et veille au respect de ses droits. L’entreprise qui recrute du personnel n’est qu’une « utilisatrice » des
services de l’agence.
Le travailleur intérimaire a droit au même salaire que le travailleur permanent qui occupe une fonction similaire dans l’entreprise, ancienneté non comprise néanmoins. L’agence intérim n’a pas le droit de percevoir une rémunération sur le salaire de son employé. Si l’entreprise utilisatrice octroie des chèques-repas ou rembourse les trajets de ses salariés permanents, l’intérimaire y a également droit. En ce qui concerne les congés payés et la récupération des jours fériés, la législation est la même pour tous, quelque soit le contrat. Enfin, le travailleur intérimaire qui a travaillé 65 jours entre le 1er avril 2007 et le 31 mars 2008 percevra une prime de fin d’année en décembre 2008. En cas de maladie cependant, le travailleur intérimaire tombera plus vite sur la mutuelle que les autres salariés de l’entreprise.
Contrats tripartites et à durée très (très) déterminée

Lorsqu’elle souhaite se séparer d’un travailleur intérimaire, l’entreprise n’a pas besoin d’invoquer une quelconque raison, il lui suffit simplement de ne pas renouveler le contrat… Un coup de fil à l’agence intérim et c’est elle qui se charge de signifier au travailleur la fin de son contrat et de lui remettre son C4. Dans ces circonstances, les entreprises peuvent être tentées de « tester » plusieurs personnes, ce que la législation du travail intérimaire interdit.
Enfin, en raison du caractère hebdomadaire ou journalier de ce type de contrats, certains termes du vocabulaire du droit du travail n’apparaîtront jamais dans le cadre du travail intérimaire : rupture de contrat, préavis ou licenciement abusif par exemple.

L’intérim, tremplin pour un emploi sûr ?

Légalement, seuls trois cas justifient l’emploi d’un travailleur intérimaire : le remplacement d’un travailleur permanent, une surcharge temporaire de travail ou l’exécution d’un travail exceptionnel. Difficile d’imaginer que l’intérim constitue un vrai tremplin pour un emploi fixe dans ces conditions. Bien que sur son site, le Forem encourage les jeunes à se tourner vers les agences intérim afin « de multiplier [vos] expériences professionnelles et d’augmenter [vos]chances de trouver un travail définitif », la Fédération des Partenaires de l’Emploi (Federgon), un organisme dont sont membres de nombreuses agences intérim, fait état d’un « taux de pénétration de l’intérim par rapport à l’emploi salarié » de (seulement…) 2,47% en 2006 .

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L’intérim : une success story.

En 1985, l’économie belge occupait 50.000 intérimaires par an. Aujourd’hui, on en compte 400.000. Chaque jour, 90.000 personnes travaillent en tant qu’intérimaires – dans l’industrie ou les services, et même dans les entreprises publiques. En 20 ans, 9 millions de gens ont été intérimaires. Les 450 agences qu’on trouvait en 1990 sur l’ensemble du territoire national sont aujourd’hui 1200 (pour 131 entreprises). Le secteur de l’intérim tourne aujourd’hui autour des 4 milliards de chiffre d’affaires annuel.

Une success story qui continue de faire grincer certaines dents et qu’on commente souvent avec un grand méchant mot : flexibilité. L’intérim (« pendant ce temps-là », en latin) avait initialement pour but de donner un statut au remplaçant de tout travailleur-euse titulaire. À l’époque, on était dans les années 70 et le monde du travail se mettait en mouvement. Et trouvait dans l’intérim des solutions à ses besoins de flexibilité – en accord avec le code du travail.

Le secteur de l’intérim s’est retrouvé dans le sens de l’histoire économique. Alors que l’industrie changeait de stratégie et décidait de produire en « flux tendu » (fini de faire des stock, on prend les commandes d’abord et on produit ensuite), l’intérim apportait la solution, incarnée par une main d’oeuvre supplémentaire toujours disponible en cas de rush. A la même époque, certains secteurs prirent leur essor économique (le tourisme, la culture, les loisirs), exigeant un rythme de travail discontinu de la part de travailleur-euse-s qualifié-e-s : là encore, l’intérim avait la
solution.
Aujourd’hui, dans une société où l’intégration continue, malgré tout, de se faire via l’emploi, le Federgon peut même se targuer d’avoir un rôle social. Le passage par l’agence d’intérim est un classique du parcours professionnel: 25% des jeunes qui possèdent un diplôme du secondaire seront intérimaires – le pourcentage descend à 6 pour les universitaires. 60% des 400.000 intérimaires annuels ont moins de 30 ans! Une dimension intégrative d’autant plus incontestable que la chasse au chômeur est ouverte.

Le secteur de l’intérim nage dans le marché du travail (flexible) comme un requin dans un aquarium. Aux entreprises, il peut offrir la souplesse et la finesse dont elles ont besoin en matière de gestion du capital humain – le secteur de l’intérim a gagné ses galons de chasseur de tête et jouit à présent de toute la crédibilité des employeurs à la recherche d’une perle rare.
Et lorsque les pouvoirs publics se mettent en tête d’améliorer leurs statistiques, les agences intérim sont là, bien placées, une fois de plus. C’est qu’en la matière, il s’agit de ne plus parler de taux de chômage mais de taux d’emploi – si on ne peut pas changer une situation mal barrée, on peut au moins la dissimuler en changeant d’indicateur. Et, miraculeusement, le BIT (Bureau International du Travail) a justement déclaré : toute personne qui travaille une heure dans la semaine a un emploi! On imagine la joie qu’éprouve un ministre de l’emploi face à des statistiques dopées par des dispositifs comme les titres-services – à 40% gérés par les boîtes d’intérim.

L’intérim n’a pas engendré la flexibilité. Dans un contexte où celle-ci s’imposait comme une donnée incontournable, il offrait des possibilités de réponse. Des réponses pas toujours très intéressantes pour les gens qui bossent – hélas. D’autant qu’il s’est retrouvé en position de force, face à des adversaires qui opposaient un refus radical à toute idée de flexibilité, niant par là la réalité d’une économie changeante. Partout où ça bougeait dans le monde du business, l’intérim imposait des solutions concrètes. Jusqu’à devenir l’une des principales interfaces de traduction entre une économie mutante et d’anciennes structures sociales héritées de l’époque fordiste.
Et tant qu’on voudra assurer cette traduction et sauver les apparences, le secteur de l’intérim maintiendra sa position… et son chiffre d’affaires.

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Le travail intermittent dans le secteur de la culture et du service

Smart est une association professionnelle d’artistes (au sens large) régie par une charte et offrant des solutions concrètes à la nature intermittente du secteur culturel (et du service).

Entretien avec Marc Moura, employé à SMART

C4 : Comment est né Smart, et à quel besoin l’association entendait-elle répondre?

MM : L’association est née en 1998 de la demande d’intermittents artistes qui, au niveau social, ne trouvaient pas de solution parmi les statuts proposés. A savoir: le statut d’indépendant, difficilement assumable financièrement, ou les contrats classiques incompatibles avec la forme de travail qui est la leur. La première tâche a été de trouver de solutions au niveau de la facturation et d’aider les artistes à exister socialement àtravers leurs activités professionnelles. C’est ce qui est le plus visible. On a souvent tendance à voir Smart uniquement comme un secrétariat social, mais l’association repose également sur un autre constat. Il s’agit du fait que les travailleurs intermittents, – voire non déclarés – ou les chômeurs du secteur artistique sont peu ou pas représentés par les syndicats ou par des fédérations sectorielles. C’est sur ces deux constats que s’est construit le projet. Résultat : une association professionnelle d’artistes avec un secrétariat social, une aide juridique, un bureau d’étude, des formations dispensées en collaboration avec la Communauté française, de la gestion de projets, etc.

C4 : Si votre association entend travailler avec les artistes, il est néanmoins
possible de contracter des contrats « non-artistiques ». De quoi s’agit-il?

MM : Même si la majorité de nos membres sont des artistes, les outils de facturation et les services peuvent être utilisés pour d’autres métiers de nature intermittente, ou fonctionnant « à la commande ». Le journalisme est un bon exemple, il y a aussi les traducteurs, les graphistes, les guides de musée, etc. J’insiste sur la nature intermittente, car si nous remarquons qu’un travailleur a tendance à travailler à temps plein dans la même entreprise de façon très répétée, nous lui proposons de trouver une solution plus adéquate avec son employeur. C’est une question d’éthique. L’intermittence doit être choisie par le travailleur, et non subie.

C4 : En 10 ans d’existence, comment analysez-vous l’évolution des secteurs professionnels avec lesquels vous collaborez?

MM : Nous nous devons de prendre du temps et du recul pour analyser cela. A l’heure actuelle, nous pouvons dire que le marché du travail est en pleine mutation et évolue beaucoup plus vite que les administrations chargées de l’encadrer. Au niveau artistique, nous ne disposons que d’études réalisées en France. Sur ces 20 dernières années, au niveau européen, le chiffre d’affaire du secteur culturel est trois fois plus important que celui du secteur automobile. Mais le nombre de travailleurs potentiels croît plus vite que le chiffre d’affaires. Il y a comme un appel d’air d’une frange toujours plus grande de la population vers des « métiers-passion ». Cette croissance de la main d’œuvre a pour effet d’envoyer plus de monde au chômage… Dans le cas de la Belgique, l’ONEM deviendrait le plus gros pouvoir subsidiant du secteur culturel alors que ce n’est pas son rôle. Supprimer les allocations de chômage serait une catastrophe sociale pour les artistes, mais aussi pour le secteur qui a besoin de cet argent pour se développer. Nous sommes au stade où nous posons juste la question. Mais vu la vitesse à laquelle nous nous développons, nous sommes à même de pouvoir faire du lobbying, de développer un côté militant…

Smart en chiffres

En dix années d’existences, Smart, c’est 20.000 membres, un chiffre d’affaire de 50 millions d’euros, 4 antennes en Wallonie, 2 en Flandres et un siège social à Bruxelles. C’est aussi 50 travailleurs équivalents temps-plein avec un nouveau recrutement tous les mois.

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