Bêlons sur les sentiers de la peur

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« Le Conseil de l’Union européenne a adopté, le 13 juin 2002, une décision-cadre relative à la lutte contre le terrorisme. La Belgique a transposé cette décision-cadre (…). Des Etats ont mis, et mettent encore, en place des procédures judiciaires d’exception pour juger les individus présumés terroristes. (…) En outre, un arsenal policier touchant l’ensemble des citoyens, en ce compris les personnes qui ne sont pas soupçonnées de faits de terrorisme, se développe dans la précipitation, notamment par l’utilisation de moyens portant atteinte à la vie privée. (…) La guerre contre le terrorisme a ainsi servi de justification aux Etats occidentaux pour adopter une série de lois encore plus restrictives censées y contribuer. On en arrive également à faire de chaque citoyen un criminel en puissance. Trop souvent, les Etats profitent du fait terroriste pour se doter d’un arsenal juridique large leur permettant en fait de réprimer toute forme de contestation politique. (…) Ils sont aidés en cela par le caractère sciemment vague de la définition du terrorisme (…). En outre, ce mouvement entraîne également une augmentation du contrôle social sur l’ensemble des citoyens. » (Rapport annuel du Comité de vigilance en matière de lutte contre le terrorisme (Comité T), LDH, année 2007)

Bagdad, février 2005

Il y a deux ans, un article de quotidien attire mon attention : « GI Joe enlevé par des terroristes ». Des terroristes menaçaient en effet d’égorger un soldat américain qu’ils avaient enlevé, photo du kidnappé à l’appui… Jusqu’à ce qu’on se rende compte qu’il s’agit d’une poupée type GI Joe grandeur nature. N’empêche, ils ont bien failli semer la panique ! Les esprits ont été tellement bien préparés à gober du terrorisme, qu’on pourrait leur faire croire n’importe quoi.

Ces esprits sont les nôtres. Sous prétexte de terreur, on leur aura tout infligé sans qu’ils s’en plaignent : restriction des libertés individuelles, guerres préventives, suspicion (accrue) à l’égard des allochtones, renvoi brutal de ceux-ci, durcissement des frontières et le reste. Et plus légèrement, pour le commun des mortels : «check-in » interminables, déchaussement intempestif, privation d’eau et de parfum dans les avions ; privation de feux d’artifice de fin d’année ; privation de poubelles dans les moyens de transport internationaux et bientôt nationaux (Noël 2007)…

Tout est dans le mot : terreur. Répandez la terreur d’une façon ou d’une autre et vous faites du terrorisme ! Et si la réponse est de multiplier cette peur, vous servez la cause. N’oubliez pas l’expérience du petit Albert (voir article p. ?) : à force d’associer un objet, même anodin, à une perception terrifiante, cet objet devient source de terreur sans même avoir provoqué une action. Si cet objet est le barbu et que les informations qui l’accompagnent sont horribles, il aura tôt fait d’associer ces deux informations. Alors expliquez-moi pourquoi ces messieurs du gouvernement bardés de diplômes s’emploient tant et si bien à rappeler au peuple qu’il est sous menace terroriste… ? Pour associer son image à celle du sauveur ?

Vol Dubaï-Bruxelles, mars 2007

Trois contrôles à Dubaï, trois fois enlever mes chaussures, et acheter, jeter les bouteilles d’eau qu’on ne peut désormais plus emporter. Transfert à Londres : une file immense, sans avoir pu quitter la zone transit de l’aéroport. Puis, à nouveau, trois check-in, plus d’une heure passée en contrôles divers. Tout objet pourrait être suspect : un jour on m’a même confisqué une pompe à vélo en plastique.

Je ne suis pas sûre que ce monde soit tellement plus dangereux que celui d’hier où un seul contrôle suffisait. Mais à force de paranoïa et de guerres injustes, l’un nourrissant l’autre à l’envi, il pourrait bien le devenir. L’opinion publique ne s’est jamais sentie aussi insécurisée que depuis que l’on renforce les «systèmes de sécurité ». Et paradoxalement, elle cultive la satisfaction de la multiplication des contrôles, des polices, des caméras, des
alarmes.

Dans l’avion, je lisais un dossier sur le cancer dans un journal anglais. En long et en large les nouveaux et anciens traitements, aussi divers que coûteux, y étaient développés. Sur les dix pages consacrées à la question, pas une ligne sur les causes de la maladie ! Tant d’argent dépensé en études sur le cancer pour ne parler que des traitements ? Dévoiler les origines du mal serait-il moins « profitable » que de chercher des remèdes curatifs ? Si, une des nombreuses causes est connue et cent fois reconnue : la cigarette. Et désormais tous les doigts sont pointés vers les fumeurs qui se voient taxés, chassés, interdits, accusés de complicité de meurtre et de tous les maux. Qu’en est-il des gaz d’échappement des automobiles ? Des pesticides? De la pollution électromagnétique ? Mais revenons-en à nos moutons et à leurs peurs.

Bruxelles, 21 décembre 2007

Alerte 4 et « plan vigilance » dans la capitale. Les transports et le pays sont en émoi. Feu d’artifice national de nouvel an : annulé. Quatorze personnes arrêtées (des « islamistes ») et bientôt relâchées, des amateurs tout au plus. Tout ce dispositif national à la suite de « signes inquiétants » de la préparation de l’évasion d’un aspirant terroriste, l’ex-footballeur Trabelsi, qui n’a jamais réussi à poser une bombe où que ce soit. Mais de cette façon, les Belges aussi auront eu leur petit sketch terroriste de Noël…

Paris, janvier 2008

Arrivée dans la gare, la tension monte. Des militaires en uniforme, mitraillettes au poing nous accueillent. Je me sens mal, comme sous le joug d’un danger imminent. Je cherche une poubelle. « Mademoiselle, mais elles sont bloquées depuis longtemps… Plan Vigipirate contre le terrorisme ». Dans le train, idem, les poubelles ont tout bonnement été enlevées (même les toutes petites !). Je finis par abandonner les déchets que je traînais avec moi depuis plusieurs heures… Tant pis pour la vieille qui glissera sur mes peaux de banane.

Personne n’a l’air dérangé par ces restrictions : « Moi, ça me rassure, je préfère ça qu’exploser !», me rétorquait une bonne dame. Les faits nous donnent pourtant peu de possibilité de se faire péter des œuvres de sanguinaires terroristes. A moins d’intégrer les troupes de l’axe du bien en Irak ou en Afghanistan. Mais si l’on veut se donner les meilleures chances d’avoir une mort rapide et accidentelle, le mieux est encore de prendre le volant (1089 morts de la route en Belgique en 2005). A quand les «check-in » pour mauvais conducteurs ?

Bruxelles, février 2008

Attendant un ami qui revenait de Londres à la Gare du Midi, je tentais de rejoindre les quais pour l’accueillir au mieux. Après avoir cherché vingt minutes, je compris que les « terminaux » étaient derrière ces épaisses vitres (blindées ?) et qu’il fallait passer un véritable «check-in » pour rejoindre les quais. Quels prétentieux, ces Anglais, sont-ils tellement riches et intéressants que le monde entier les envie ?

Ramstein, 1987

Pour rentrer dans cette grande base militaire qui abritait tant les militaires Nord-Américains que leurs familles, il fallait passer un important dispositif de sécurité. Pour voler vers les Etats-Unis également. Le « terrorisme islamiste» n’avait pas d’écho à l’époque, la guerre froide vivait ses dernières années. Je n’étais alors qu’une ado, mais je constatais du côté américain ce besoin énorme de se sentir sécurisé. Depuis, nous sommes devenus « tous des Américains ».

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