L’école comme institution daterait du 19e siècle [1]. Elle est tellement enracinée en nous qu’on a l’impression qu’elle a toujours été là. Il y a peut-être quelques personnes pour la contester en tant qu’institution, mais rares sont ceux qui l’ont fait de manière aussi radicale qu’Ivan Illich dans son livre « Une société sans école ». Ceux qui manifestent leurs désaccords s’emmêlent les pinceaux entre demander plus de moyens et de professeurs et revoir le programme, tout ceci sur fond de crise de la représentativité de l’Etat. Pourquoi est-il si compliqué de parler de l’école aujourd’hui ? Peut-être bien parce que le sujet est tellement profond, complexe et actuel qu’on a l’impression de tout remettre en question quand on y touche. Lorsque l’on regarde en arrière, l’école protestante fonctionnait déjà au 17e siècle (en France). Après quelques trafics d’influence, c’est l’Eglise catholique qui a su s’imposer comme institution, obligatoire et gratuite, tout juste un peu après les débuts de l’industrialisation. L’école « capitaliste » est venue plus tard se greffer dessus. Cette donnée n’est pas sans conséquences sur ce que certains appellent notre « imaginaire collectif », c’est-à-dire, entre autres, ces peurs que nous partageons tous.
La peur ne serait-elle pas totalement construite pour les besoins d’une logique supérieure? Mais enfin, peut-on accepter une logique telle que l’institution de l’école, à priori nécessairement bienfaitrice, aurait pour but de fournir à la société des travailleurs obéissants, dévoués, efficaces, un ensemble d’individus répondant d’une voix aux ordres du patron ? Quand l’institution de l’école est devenue obligatoire, on y entrait à quatre ans, et on en sortait à douze. Entre les deux ? L’école, en tant qu’institution religieuse, occupait cette large tranche de la population, lui inoculant la morale qu’il faut avoir pour se soumettre à l’autorité, la conformité, avoir l’envie de travailler toujours plus, dans la crainte et pour l’amour de Dieu. Bien que ce ne soit pas le seul modèle qui ait existé en Occident, il semblerait que ce soit pourtant celui qu’on persiste à imposer à la majorité, un système basé sur la hiérarchie et le respect du savoir. On impose aux enfants d’être les caricatures « du monde des grands », ce qu’ils « reproduisent » sans vraiment le comprendre. Une protection en quelque sorte, car dans un monde à répétitions, il n’y a plus de raison d’avoir peur de l’inconnu.
L’inconnu… Ce facteur de peur est pourtant au coeur de la dynamique de ce qu’Anne Querrien appelle « l’école mutuelle » [2]. Cette pédagogie, vieille de trois siècles, où l’on est tour à tour élève et maître, était d’une efficacité redoutable. Les élèves se trouvent à leur vraie place, celle qu’ils pensent mériter. Il n’y a pas de classification entre les âges et les niveaux. Chacun, dans la transmission de leur savoir, confirme ses connaissances. Ce gage de simplicité, où apprendre est un jeu, éveille aussi une conscience collective. En dix-huit mois, l’enfant savait non seulement lire et écrire, mais apprenait aussi à être responsable, à se soumettre à l’autorité, non pas celle d’un maître ou d’un Dieu, mais celle de l’organisation sociale. En quelque sorte, ils apprenaient à apprendre, évacuant la peur paralysante face à l’inconnu et à l’interdit. Cette école avait d’ailleurs alimenté son lot de révolutionnaires, dont plusieurs leaders de la Première Internationale. L’un d’eux avait prédit : « Une révolution ratée amène un Etat social bien pire que précédemment ». De quoi freiner les réjouissances pour la commémoration de mai 68.
Du 24 avril au 1er juin, le cinéma Nova de Bruxelles propose un programme de films, rencontres et débats autour de l’école. Infos : [www.nova-cinema.org->www.nova-cinema.org]