Une Europe des précaires?

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La nécessité d’en finir avec la classe ouvrière et ses revendications et d’augmenter substantiellement les profits l’exigeait : le capitalisme devait muter. La globalisation du marché, l’extension du champ de la «marchandise » à l’immatériel (l’affectif, le culturel, l’information, …) et au vivant, d’une part, et le passage d’une économie industrielle à une économie de l’information, d’autre part — avec en fond la transformation d’une organisation du travail fordiste en organisation post-fordiste—, ont fait le reste. Le monde du travail a subi une restructuration en profondeur. Nous ne sommes plus les mêmes. Nous vivons dans un monde néo-libéral.

Quand les syndicats luttaient pour améliorer les conditions de travail et augmenter les salaires des travailleurs, ils étaient redoutables. Mais il est très difficile de résister et de lutter quand on vous dit: « On ferme! » En ce sens, le néo-libéralisme a porté un coup fatal au syndicalisme. Pour les syndicats, qui ont construit leurs fondations sur une organisation de travail fordiste, la compréhension de la mutation du capitalisme est malaisée. C’est pourtant une étape nécessaire avant de retrouver une position de force dans les conflits entre travail et capital. Comment combattre un adversaire dont on ne comprend pas les stratégies?

Apparition de luttes auto-organisées

C’est dans ce contexte que sont apparues les premières luttes autorganisées de travailleurs précaires. L’une d’entre elles est celle du collectif « Justice for janitors » [1] qui a commencé à se développer entre 1999 et 2001 à Los Angeles. Cette première lutte victorieuse, animée par des travailleurs et travailleuses habituellement considérés comme « inorganisables », allait faire des émules .

Ainsi en octobre 2006, « Justice for Janitors » devint le slogan de la grève des janitors de Houston. Cette grève se déclencha à propos des salaires (4 eur/heure) et des conditions de travail. Ces conditions obligeaient bien des travailleurs, souvent des femmes sans-papiers, à assumer un autre emploi pour pouvoir survivre. Les travailleurs revendiquaient une augmentation de 50% de leur salaire et des garanties en matière de santé. Sur les 5000 janitors de Houston, plus d’un tiers se mirent en grève. Employés par des boîtes de nettoyage traitant les immeubles de différentes multinationales, les grévistes ne se contentèrent pas de faire des piquets devant les immeubles concernés, ils s’installèrent aussi devant les bâtiments publics et organisèrent des sit-ins bloquant la circulation. Ces actions entraînèrent des arrestations et une médiatisation du mouvement. Après avoir essayé de casser la grève, les entreprises de nettoyage durent céder devant la détermination des grévistes et la pression des sociétés clientes, gênées par la mauvaise publicité occasionnée par le conflit. Après presque un mois de grève, un accord sur l’augmentation des salaires et une prime versée pour la couverture santé fut signé.

Ces grèves ressemblaient à des grèves traditionnelles pour les salaires, mais en réalité, elles allaient bien au-delà. Ainsi, elles furent comprises comme les premières actions pour la reconnaissance des droits des migrants menées par les migrants eux-mêmes. De plus, comme le déclarait une des janitors de Houston: « On veut travailler plus, gagner plus, mais on veut aussi plus de respect et plus de dignité ». C’est ce que symbolise le slogan « Bread and Roses » [2], du pain et des roses, que les mouvements des janitors reprirent aux ouvrières du textile qui s’étaient mises en grève un siècle auparavant .

Ces exemples sont emblématiques des nouvelles luttes menées par les précaires : elles concernent des employés à temps partiel, ayant bien compris que le plein emploi est mort et que les CDI sont illusoires. Qui plus est, il s’agit souvent de sans-papiers, particulièrement vulnérables. Emblématiques, aussi, parce que ces luttes sont menées par les travailleurs eux-mêmes. Les décisions dépendent des assemblées et non des
mots d’ordre de structures syndicales, les moyens d’action utilisés sont directs, efficaces et enthousiasmants. Ainsi, la diversité générée par la précarité n’est pas toujours un obstacle au développement de nouvelles luttes.

Ce sont ces nouvelles générations que l’on retrouve dans de nombreux collectifs de travailleurs précaires présents dans les luttes récentes, de salariés de la restauration rapide, du commerce ou du nettoyage, des emplois-jeunes ou des intermittents du spectacle. En plus d’avoir mené certaines luttes victorieuses, ces collectifs ont montré leurs capacités à créer des liens forts entre eux. C’est ainsi qu’à partir de 2001, le «Réseau Stop Précarité » est né en France, regroupant des salariés des grandes chaînes commerciales afin de dénoncer la précarisation montante, à travers des débats, des soutiens aux salariés en grève, et des actions symboliques. Aujourd’hui, ce réseau s’est spécialisé dans la formation au droit du travail, proposant des cours gratuits afin de savoir se défendre face à son employeur.

Cette émergence de collectifs traduit un aspect de la crise contemporaine des formes d’organisation syndicale qui n’est pas sans rapport avec le refus de la délégation de pouvoir et de la bureaucratie. Les syndicats auront sans doute des leçons à tirer de l’expérience de ces collectifs pour repenser leur action face aux nouvelles formes de précarité.

San precario versus charlemagne

Euromayday est un réseau de collectifs rassemblés autour du thème de la précarité et localisés dans une vingtaine de grandes villes européennes (Milan, Barcelone, Paris, Hambourg, Helsinki, Londres, Berlin, Vienne, …). Fondé en 2004, à la suite de l’Appel du Middelsex [3], le réseau réclame principalement une globalisation des droits sociaux au niveau européen, notamment l’instauration d’un salaire minimum, la dissociation entre le travail et le revenu («à travail discontinu, revenu continu») ainsi que l’amélioration des conditions d’accueil et des droits des migrants (fermeture des centres de détention pour migrants, liberté de circulation, etc). Mais également la gratuité des transports en commun ou la liberté de partage des connaissances sur Internet («free upload and free download»). Des revendications adaptées à la mutation du capitalisme qui ne pourront aboutir un jour que si elle sont soutenues par le monde syndical européen, ce qui implique une sérieuse évolution des mentalités

Cette année, l’assemblée Euromayday Liège a décidé de se joindre à différents collectifs rhénans pour organiser une « Parade transnationale des Migrants des Précaires » à Aix-la-Chapelle.

Hasard du calendrier, cette année, l’Ascension tombe le premier mai. Or, la ville de Aix décerne annuellement à cette date « le prix Charlemagne » à une personnalité œuvrant à la construction de l’identité européenne. Cette année, c’est Angela Merkel qui a été nominée et c’est le président Sarkozy qui lui remettra le prix. Cet événement a pris des allures de fête officielle, et les précaires rebelles se sont donc donné rendez-vous à Aix en vue de squatter ce show médiatique et de revendiquer une Europe égalitaire et démocratique, une Europe libre et ouverte.

Cet événement ouvre la possibilité d’un échange de savoirs et de pratiques par-delà les frontières nationales. C’est une occasion de vivre l’Europe comme un espace politique commun où les précaires et les migrants peuvent se rencontrer, s’organiser et étendre leur champ d’actions.

Collectif Euromayday

Plus d’infos: [http://euromayday.karlspreis.info/->http://euromayday.karlspreis.info/]

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