Pratiques du mariage

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Le mariage : union légitime de deux personnes pour former un couple selon les lois civiles et/ou religieuses. En voilà une belle définition, bien claire et universelle. Une définition qui se contente de ne pas dire grand chose sur le réel : pas un mot sur le rituel pratique du cérémonial, silence sur ce qu’on y investit – rêves, honneurs ou encore sentiments. Bref, pas un mot sur ce qui distingue et fait les débats.

Dans nos contrées, quantité de variables plus ou moins déterminantes entrent dans la production d’une cérémonie nuptiale, qui ressemble plus à un complexe instable qu’à un rituel hypercodifié. Un mariage est une savante composition d’appartenances religieuses, d’obédiences politiques, d’impératifs budgétaires, d’origines ethniques ou communautaires, d’histoires familliales, de contraintes sociales, voire de mutations climatiques. Et le tout risque de subir l’influence de la tradition et de la mode, d’Hollywood et des magazines de décoration.

Fréquemment placée en tête de liste des sources de distinction (et support idéal à la discussion) : les différences confessionnelles. En marge des mariages bien catholiques ou simplement civils, on célèbre, en Belgique, des mariages musulmans – logique : environs 4% de la population est de confession musulmane. Comme toutes les religions constituées, l’islam prescrit un rituel de mariage (appelé Fâtiha). Une cérémonie qui a lieu à la maison et non à la Mosquée. C’est souvent plusieurs jours plus tard qu’on organise le repas de noce qui fait partie des préceptes de l’islam : « célèbre tes noces par un festin, même par un mouton », a dit le prophète. Un banquet où on évitera soigneusement tout ce qui est haram (qui signifie, ici, interdit, illicite) comme la viande de porc ou l’alcool. La mixité est aussi interdite. Voici pour la théologie.
Dans la réalité, les variable ethniques ou géographhique croisent toujours les religieuses pour donner des rituels forcément très divers. Il y aura autant de ressemblances entre un mariage kosovar et un mariage marocain (les 2 couples étant pourtant musulmans) qu’entre l’unique banquet à ambiance feutrée d’un mariage italien et les 2 jours de fête d’un mariage russe (qui ressemblent un peu à une Oberbayern où on aurait remplacé la bière par de la vodka). L’organisation pratique est un jeu d’interprétion des règles, une occasion de déviances potentielles. Selon Deniz, « les mariages turcs en Belgique ont pas mal changé. Il y a toujours eu un cetaine mixité (sauf chez les gens très croyants) : les hommes et les femmes sont ensemble et on peut même danser – mais seulement avec retenue et avec ses cousins. Cette tendance se renforce. La nouveauté, c’est l’apparition de l’alcool : j’ai assisté récemment à un mariage où on avait dressé une tente dans laquelle les hommes pouvaient boire à l’abri des regards. Certains sortaient bien bourrés (aux yeux de tous)… »
La preuve de la virginité de l’épouse reste une des grandes questions qui entourent le mariage musulman (dans et hors de la communauté). D’un point vue théologique, aucun texte, aucune référence historique ne mentionne qu’une femme doit saigner ou avoir un hymen intact pour prouver sa virginité, ni que ceci soit une condition au mariage. Les relations hors mariage sont considérées comme péché : elles regardent la croyante, éventuellement son mari, et surtout Dieu devant qui elle doit se repentir. Dans la pratique, voici ce que nous raconte S., une jeune femme turque : « j’ai encore été cherché un certificat de virginité chez un gynécologue avec une cousine – qui heureusement pour elle était vierge. C’était pour sa mère. Ce n’est pas systématique mais ça existe. Conclusion, à l’époque qui est la nôtre : la reconstruction chirurgicale de l’hymen est un truc qui se pratique. Je connais plusieurs cas – j’en connais même où la jeune fille l’a fait plusieurs fois. Mais l’histoire du drap taché de sang qu’il faut montrer à tout le monde, ça, c’est des traditions séculaires qui ne sont plus
pratiquées que dans certains milieux ruraux».

S’il est un problème posé par le mariage qui touche un peu toutes les confessions, c’est celui du mariage inter-religieux – avec des exceptions, comme les protestants, qui peuvent épouser religieusement qui ils veulent. Le droit canonique catholique, par exemple, prévoit toujours que le mariage ne peut être célébré qu’entre une femme et un homme confirmés [1] – dans un pays religieusement scrupuleux comme l’Italie, ce réglement est toujours de mise; en Belgique, ça dépendra pas mal du curé à qui on a affaire.
Pourtant, une ligne conservatrice straight en matière de préceptes religieux n’est pas toujours la meilleures stratégie pour lutter contre la perte de ferveur religieuse (qui frappe sévèrement l’église catholique en Europe) ou le risque d’assimilation qui guette les diverses diasporas. Pour contourner la rigidité du mariage religieux juif mais permettre de se marier dans le respect des coutumes de la communauté, le Centre Communautaire Juif Laïc de Belgique a imaginé une cérémonie de mariage qui reprend les temps forts de la tradition juive : elle a lieu sous la Houppa (dais nuptial), on brise le verre avec le pied,… [2] mais on ne doit produire aucun document qui atteste la judeité des futurs époux : et les mariages mixtes deviennent possibles.

L’explorateur du quotidien qui voudrait s’amuser à l’ethnologue amateur, devrait privilégier une définition maximaliste du mariage mixte – qu’il entendra comme toute union conjugale conclue entre personnes appartenant à des religions, des ethnies, des cultures, des obédiences politiques, des (sous-)cultures ou des groupes sociaux différents, et dans la mesure où ces différences provoquent une réaction de l’environnement familial et social. De cette définition dérivera un calcul de l’intensité des tensions générées. Tensions qui peuvent se réduire (ex. un des conjoints peut se convertir à la foi ou adhérer au parti politique de l’autre), s’additionner (un athée chômeur épouse une fille de bonne famille de chef d’entreprise ultra catholique ), se compenser (le futur marié est musulman et étranger, mais fils d’ambassadeur), se multiplier (la mariée est la fille d’un directeur de Ford Genk, membre de la N-VA et supporter du Standard, et elle s’est mis en tête d’épouser un Bruxellois affilié à Ecolo, responsable du programme de recherche sur la pollution automobile et abonné à RSC Anderlecht).

Certains experts voient les mariages mixtes comme des petits laboratoires où se synthétisent des solutions pour la vie en commun dans la différence. « Les micro-changements apportés par ce type d’union sont capables d’annoncer de profonds changements sociaux [3] ». Un peu comme si la (macro-)politique matrimoniale des monarques européens, qui a dessiné les cartes et les équilibres de l’Europe (voir l’histoire des Habsbourg, par exemple) laissait sa place à une (micro-)politique des unions improbables qui tracerait, par le bas, un espace « multi-culturel ». Le cinéma, lui, adore ce genre d’hypothèse, romantico-politique, qu’il décline sans succès garanti (voir les films Mauvaise foi, Mon mariage à la grecque ou bien Meet the focker).

Dans les populations qui intègrent la grande culture (ou marché) mondiale, le mariage se branche en prise directe sur le monde des rêves. D’où cet étrange sentiment que donne parfois une cérémonie nuptiale : celui d’assister à la projection d’une part des fantasmes, des désirs cachés et des croyances profondes du couple qui se marie – et étale ainsi, d’une certaine façon, sa conception du monde, ses manières d’être en société, quelques histoires de famille. Que ce soit dans le choix de la musique ou dans la composition du menu, dans celui de la robe de la mariée ou du lieu de voyage de noces, du véhicule qui transporte le couple, il y a 1001 indices révélateurs de l’appartenance à une sous-culture, à un groupe social. Et autant de raisons de schismes familiaux, de commentaires murmurés et désobligeants de la part des invités, juges intransigeants, « experts » en la
matière.
Le mariage devient une affaire de goût qui brode avec la tradition – ce truc assurément « tendance » mais pas plus que les mariages à thèmes. Et on ne discute pas facilement les goûts (et les couleurs) – c’est bien connu. Le cinéma nous a déjà fait le coup de la Juive parisienne qui voulait épouser le musulman d’origine arabe… Mais personne n’a encore osé l’histoire du mécano fan de tuning qui voulait mettre une voiture toute « kittée » en tête de cortège, engager Dj Bébert pour les cramignons, et servir de la bière pour porter le toast de bienvenue… mais qui doit composer avec sa femme, docteur en histoire de l’art, dont un groupe d’amis mélomanes veut assurer l’animation musicale (autour de la musique baroque) et qui rêve de parcourir la distance qui sépare la maison communale de l’église du village dans une calèche.
Moralité : aujourd’hui encore, il existe des différences telles qu’elles pourraient empêcher un mariage!

La réalité des pratiques se calque souvent sur l’évolution des mœurs et des mentalités. Rien d’étonnant dès lors à ce que, parallèlement à une certaine « modernisation » des cérémonies de mariage, on constate un vrai bouleversement en termes de modes de rencontres. Si nos parents « courtisaient », certains coeurs à prendre, aujourd’hui, se rencontrent sur le web ou lors de séances de speed dating. Mieux : le concubinage, mot qu’on osait à peine prononcer voici trente ou quarante ans, est devenu légal, à travers le contrat de cohabitation.
Malgré tout, peut-on dans ce contexte évacuer certaines questions liées aux traditions culturelles des uns et des autres. Par exemple, la polygamie existe-t-elle chez nous? Et, surtout, comment est-elle vécue ?

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