Le Ministère de la crise du logement

Download PDF

Jouant aux candidats à la location, les galériens du logement se mêlent à la foule des véritables postulants, armés de leur dossier de candidature. Aux éléments désormais classiques (fiche de paie, déclaration d’impôt, caution…) s’ajoutent des éléments un peu plus originaux : bulletins de santé, garanties d’appareils électroménagers… Au signal, les bouteilles de champagne sortent, on dégaine les flûtes et cotillons, on allume la musique et la fête commence. Le propriétaire médusé reste les bras ballants, tandis que les « vrais » candidats tentent vaille que vaille, au milieu du brouhaha, de le convaincre de la solidité de leur dossier. Les militants du Jeudi Noir, qui luttent pour une régulation du marché de l’immobilier, se sont aussi invités à la grand messe des profiteurs de la crise : le Salon de l’immobilier. Ou encore, ont occupé différents logements dédaignés par leurs propriétaires. Comme cet immeuble de 1000 m2, près de la Bourse parisienne, où, avec l’aide d’autres associations, ils ont installé un « Ministère de la Crise du logement ».
On a beaucoup parlé des squats l’an dernier à Bruxelles (Tagawa, 103 Bd de Waterloo, Eglise du Gèsu, Delta-Auderghem, ex-RTT à Laeken, etc.), un phénomène qui cultive pourtant d’habitude une certaine discrétion. Cette émergence, directement liée à la crise du logement devenue particulièrement aiguë, a suscité quelques déclarations de bonnes intentions politiques, mais aussi des ripostes juridiques des propriétaires [2], bien décidés à ne pas se laisser « spolier » d’immeubles dont ils ne font parfois rien, si ce n’est spéculer. Chassé de l’ancien Hôtel Tagawa de l’avenue Louise en mars dernier [3], puis de l’Eglise du Gèsu deux mois plus tard, un groupe de galériens du logement bruxellois a investi le 123 de la rue Royale, à côté du très chic Hôtel Astoria, où, inspirés (pour le nom du moins) par l’exemple parisien, ils ont installé leur « Ministère » [4]. Pour l’ancienneté dans le combat, ils n’ont rien à envier à leurs collègues parisiens. Certains sont de vieux routards du squat, comme Thomas Dawance. « Nous avons été très bien « logés », par la Région wallonne, propriétaire du bâtiment, qui s’est décarcassée pour installer le minimum nécessaire à l’habitabilité ». Des douches ont été installées. La moitié des charges et des assurances est supportée par la Région wallonne. Un pied de nez à la politique bruxelloise en matière de logement ? Force est de constater qu’à part quelques belles promesses, les squatteurs n’ont pas vu grand-chose venir de ce côté-là. La Région dispose pourtant d’armes juridiques et administratives pour réquisitionner les immeubles délaissés par les propriétaires, mais par timidité ou peur des « Bleus », pour lesquels le droit de propriété est un absolu qui prime toute autre considération, y compris humanitaire, ils ne bougent guère. Sauf pour saccager les derniers potagers et espaces verts de la couronne verte, qu’un « Plan logement » entend lotir pour rattraper le retard en terme de logements « sociaux », au mépris de l’avis des riverains.

Lassés, les squatteurs ont décidé d’investir des immeubles de bureaux, devenus surabondants avec le temps sur un marché immobilier saturé. Ce qui n’empêche nullement, notez-le bien, notre plus fin stratège urbain, le visionnaire et philanthrope Charles Picqué, dans son fief saint-gillois, de vider le vieux quartier du Midi de ses habitants (pauvres) pour tout raser et y construire des surfaces de bureaux pharaoniques, qui commencent déjà à se dégrader avant même d’être complètement terminées. En somme de reproduire à l’identique les mêmes erreurs commises depuis le XIXe siècle, aux quartiers central, Nord, Léopold, etc., qui ont fait la réputation de Bruxelles en matière d’urbanisme. Mais c’est une autre histoire, dont on n’a pas fini de parler [5]. Une étude commandée par la Région, publiée fin novembre, est pourtant venue confirmer celle du RBDH (Rassemblement bruxellois pour le droit à l’habitat), à peine plus ancienne, sur les possibilités de
reconversion des bureaux vides [6]. La plupart des bâtiments qui offrent le plus fort potentiel de reconversion en logement sont situés avenue Louise et chaussée de Charleroi (au nord d’Ixelles), ainsi qu’à l’intérieur des limites du Pentagone, dans le centre-ville. Dans sa version minimaliste, l’étude en recense malgré tout 121, soit environ 3200 logements supplémentaires. Mais la Région hésite, atermoie, tergiverse. Il y a des politiques qui sont plus creuses qu’un estomac d’indigent.

Au «123», on s’organise. « Nous voulons monter ici un projet commun d’habitation, solidaire et précaire », précise Thomas Dawance. « Le lieu doit devenir le vecteur du respect de l’autre ». Une assemblée hebdomadaire des habitants a été mise en place, qui règle les problèmes de « gestion » de l’immeuble. Plusieurs associations y ont établi leurs quartiers, dont les raisons sociales tournent autour de questions liées à la précarité : logement, bien sûr, mais aussi santé mentale, prévention drogue. Des associations extérieures, bien connues pour leur travail avec les sans-abri, y ont même détaché des assistants sociaux, comme l’asbl Bij Ons (Chez Nous) de la rue des Chartreux. Les habitants font vivre le lieu en y organisant diverses activités, avec les moyens du bord (sans subsides), concert, ciné-club, expos, rencontres, etc. Des locaux sont prêtés à des artistes fauchés selon leurs besoins. Et pour les urgences, il y a même des chambres de transit. Somme toute, de quoi affronter quelques « jeudis noirs » autant que les frimas de l’hiver.

[1] [www.jeudi-noir.org->www.jeudi-noir.org]/
[2] Cf. Nicolas Bernard, «Squat : sans titre mais pas sans droit», in Bruxelles en mouvement, 181, 15 février 07, pp 2-4.
[3] Cf. «C4», 155-156, mai-juin 07; «Le Soir», 25 mai 07.
[4] [http://ministeredelacrise.blogspot.com/->http://ministeredelacrise.blogspot.com/]
[5] [www.quartier-midi.be/->www.quartier-midi.be/]
[6] [www.francoisedupuis.be/code/pdf/burlog/bur_log_synthese.pdf->www.francoisedupuis.be/code/pdf/burlog/bur_log_synthese.pdf],
www.rbdh-bbrow.be/analyses/nombrelogementsvides.pdf

Aucun commentaire jusqu'à présent.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

Archives

Catégories

Auteurs