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D’Alexandrie à Bruxelles… et retour…

Je suis arrivé en Belgique en 79, avec une femme que j’avais rencontrée à Rome, où je vivais alors, qui est devenue mon épouse, et avec qui j’ai deux filles de 23 et 25 ans. Je vivais en Italie depuis deux ou trois ans, avec mon frère, et je m’y trouvais très bien, mais c’est l’amour qui a bouleversé tout, et j’ai fait le choix de la suivre. Nous avons d’abord vécu à Namur, d’où elle était originaire. C’est au début des années 90 que je suis arrivé à Liège où j’ai créé le « Kheops », un petit centre culturel belgo-égyptien. Pendant cinq années, on a assuré une programmation alternant des concerts, des expositions, des débats. Puis j’ai ouvert le « Tamary », dans le quartier d’Outremeuse, où l’on a poursuivi la même politique culturelle. Entre temps, j’ai divorcé de ma première épouse. C’est aussi vers cette époque que j’ai demandé et obtenu la nationalité belge. La famille, en Egypte, ne supportait pas l’idée que je sois seul, et a arrangé un mariage avec une Egyptienne. Nous avons eu deux fils, des jumeaux, qui ont 13 ans maintenant. Mais elle n’a pas supporté de vivre ici. Après un an, elle a décidé de rentrer en Egypte, où elle vit aujourd’hui avec mes fils. Au «Tamary », j’ai commencé à avoir des problèmes avec les propriétaires de l’endroit. Il y avait des infiltrations d’eau dans la salle, ce qui m’empêchait d’exploiter le lieu comme je le voulais. Je n’avais de plus aucune subvention. Ma compagne du moment, qui venait de Bruxelles, m’a proposé d’aller nous installer là-bas, et d’ouvrir un nouveau lieu. On a cherché un endroit, et on a fini par trouver un beau local, à Saint-Josse, juste en face du siège du CDH. C’était très bien situé. Malheureusement, assez vite, j’ai eu des problèmes avec ma compagne, en particulier à cause de ses enfants qui acceptaient mal notre relation, et je suis rentré à Liège. C’est à ce moment-là que des amis égyptiens avec qui j’avais gardé de bons contacts ont insisté pour qu’on organise des échanges culturels entre la Belgique et l’Egypte. C’était quelque chose dont j’avais toujours rêvé. On s’est vus, on a réfléchi, on a travaillé ensemble, et on a fini par créer une association belgo-égyptienne là-bas, à Alexandrie. Ça a été difficile à mettre en place, mais il y avait beaucoup de bonne volonté de la part des personnes impliquées, et on y est arrivés. On a créé ce centre culturel dont je rêvais depuis toujours ! Moi, j’avais précisé que je ne serais pas disponible tout le temps, puisque je vivais en Belgique, mais que je ferais des aller-retours. Et c’est comme ça que ça s’est passé. J’ai gardé mon domicile ici, et je vivais une partie du temps ici, et l’autre là-bas, ce qui me permettait aussi de voir mes fils. Les problèmes ont commencé quand le C.P.A.S., suite à une lettre anonyme de dénonciation, a téléphoné à mon ancienne compagne, à Bruxelles, pour demander où on pouvait me joindre. Elle n’a rien trouvé de mieux que de leur donner mes coordonnées à Alexandrie. Alors, une enquête a été ouverte, qui a abouti à un procès. J’ai été condamné à rembourser les allocations sociales perçues sur plus de deux années, et on a interrompu le versement de mon Revenu d’intégration sociale depuis dix mois, maintenant. Ce qui m’a enfoncé, c’est évidemment la lettre anonyme de dénonciation, mais aussi le fait que mes consommations d’énergie avaient sensiblement diminué. Aujourd’hui, à 57 ans, je me retrouve dans une situation impossible. Sans l’aide d’amis et de ma famille, qui m’envoie un peu d’argent, je ne sais pas où je serais… Mais cela ne pourra pas durer éternellement. La priorité, c’est de récupérer mes allocations sociales. J’ai introduit cinq demandes jusqu’ici, mais en vain. Je reçois à chaque fois une réponse négative. Maintenant, sur le conseil d’amis, je tente de collecter un maximum d’informations afin de prouver que je vis vraiment ici tout le temps depuis le mois de mai. Je dois prouver que mon domicile n’est pas fictif, et que j’habite vraiment là. J’ai notamment
contacté mes fournisseurs d’énergie pour obtenir un nouveau relevé d’index qui attestera de mes consommations réelles depuis mai. Après, il faudra affronter le jugement… Avec mon avocat, nous hésitons à faire appel, car la sanction pourrait être encore plus sévère. De toute façon, je n’ai pas cette somme. Et que puis-je faire à 57 ans pour trouver cet argent ? Qui m’emploiera ? Je ne vois aucune perspective. J’ai l’impression d’être face à un mur.

Forcé à mal vivre ?

Le cas de A. est emblématique d’une forme d’hypocrisie qui sous-tend l’aide sociale en Belgique. Toute personne un peu sensée convient du fait qu’un R.I.S est insuffisant pour vivre dignement chez nous. Dans un contexte économique où même les salariés doivent se serrer la ceinture et où de plus en plus de personnes doivent aller voler du mazout pour pouvoir se chauffer, comment fait-on pour s’en sortir avec un R.I.S quand, en prime, on n’a pas loin de soixante ans et qu’aucun employeur n’acceptera de vous engager ? Ce sont des vraies questions. Mais quand les personnes mettent en œuvre des solutions pour améliorer leur quotidien, comme de vivre en Egypte une partie de l’année, là où le chauffage est inutile, et le prix des denrées alimentaires beaucoup plus bas que chez nous, c’est aussitôt le coup de bâton. Si A. avait 30 ans, on comprendrait mieux l’attitude du C.P.A.S, car on ne peut pas non plus bénéficier de l’aide sociale chez nous tout en vivant ailleurs, sans chercher à trouver un emploi. Mais A. a 57 ans. Et il est évident qu’il n’a aucune perspective possible en termes d’emploi. Devait-il dès lors se résigner à ne pas s’en sortir avec le R.I.S et à manger du riz et des pâtes blanches dès le 5 du mois, quand il avait l’opportunité de passer quelques mois de l’année sous un ciel moins gris, près de ses fils, avec une qualité de vie tout autre ? Y aurait-il un contrat moral tacite obligeant les minimexés à vivre mal sous prétexte qu’ils bénéficient d’une aide sociale ? On se le demande…

Je vous chante ma nostalgie

Ne riez pas si je rougis

Mes souvenirs n’ont pas vieilli

J’ai toujours le mal du pays

Ça fait pourtant vingt cinq années

Que je vis loin d’où je suis né

Vingt cinq hivers que je remue

Dans ma mémoire encore émue

Le parfum les odeurs les cris

De la cité d’Alexandrie

Le soleil qui brûlait les rues

Où mon enfance a disparu

Le chant la prière à cinq heures

La paix qui nous montait au coeur

L’oignon cru et le plat de fève

Nous semblaient un festin de rêve

La pipe à eau dans les cafés

Et le temps de philosopher

Avec les vieux les fous les sages

Et les étrangers de passage

Arabes Grecs Juifs Italiens

Tous bons Méditerranéens

Tous compagnons du même bord

L’amour et la folie d’abord

….

SIx premiers couplets de la chanson “Alexandrie” de Moustaki

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