On ne peut pas vraiment lui donner tort, tant l’ « affaire » paraît ahurissante. Le 21 janvier 2006, Thierry Delforge, alias « le Professeur », se lâche et commet l’irréparable : il bombe (à la peinture) un « Libérez les dockers » rageur sur le mur d’un hideux dépôt appartenant à la Ville de Bruxelles. Ce slogan assassin se voulait protestation contre la condamnation de dockers qui avaient participé à la manifestation contre un projet « Bolkenstein » portuaire présenté au Parlement européen de Strasbourg. Il est aussitôt arrêté par la police, toujours prête à intervenir lorsque la sécurité publique est aussi sérieusement mise en danger. Les courageux gardiens de la Paix maîtrisent sans difficulté le « Professeur » et trouvent en outre dans le coffre de sa voiture un sabre d’abattis et une serpette du Brico, dont la canaille prétend se servir pour débroussailler son jardin dans les Ardennes, ainsi que de la littérature marxiste, preuve accablante s’il en est de la foncière nocivité de l’individu. Et pas n’importe laquelle : les mémoires du maréchal Molotov, qui traînaient à côté d’un jerrican d’essence deux-temps (pour tronçonneuse, le bandit ne recule devant aucune extrémité) et d’allumettes. Mu par une sorte de réflexe pavlovien de sauvegarde de la démocratie, les policiers ont saisi ces explosives pièces à convictions. Cet acte héroïque ne restera pas sans suite : on songe déjà à renforcer les contrôles de police à la sortie des Brico pour endiguer le flux de terroristes qui en sourd quotidiennement (le projet est à l’étude)…
Il n’en a pas fallu plus à un juge plein de discernement et de modération pour condamner ledit Thierry Delforge pour « destruction partielle d’un édifice » et pour « transport d’armes prohibées ». Cette condamnation exemplaire pour de tels actes de terrorisme pictural, que seuls des esprits chagrins qualifieront de mineurs, est le fruit des nouvelles mesures de répression des «incivilités », qui rendent désormais un tag passible de la justice pénale. Ces mesures sans cesse plus tatillonnes devraient renouveler la confiance en l’institution judiciaire de nos concitoyens, qui les pousse à accepter des lois dont ils réprouvent pourtant l’application : ils savent bien que ce genre de lois ne sont là que pour la dissuasion et ne sont utilisées qu’en dernier recours, dans les cas extrêmes, tels celui qui nous occupe [*]. Quitte à limiter les libertés fondamentales de ces dangereux déviants et normaliser les comportements, et à intimider tout mouvement ou expression de désapprobation par rapport à notre indépassable démocratie de marché [**]. La condamnation a été prononcée le 28 mars 2007 en l’absence de l’accusé, la convocation ne lui étant pas parvenue. Un an de prison, dont six mois avec sursis. Thierry Delforge devait être écroué à la prison de Forest le 9 novembre, mais l’impudent a eu le front de faire opposition. Le délinquant n’aura donc pas à méditer son forfait à l’ombre des marronniers de l’avenue Ducpétiaux : il a été acquitté le 12 décembre de la prévention de transport d’arme et bénéficie de la suspension du prononcé pour le reste.
[*] « En Belgique, on peut prendre un an de prison pour un tag », par François Scheuer, [http://bulles.agora.eu.org/20071106_thierry_delforge.html#nb1->http://bulles.agora.eu.org/20071106_thierry_delforge.html#nb1]. Voir également [http://www.secoursrouge.org/thierry.php->http://www.secoursrouge.org/thierry.php]
[**] La police liégeoise nous a récemment offert un brillant exemple de confusion entre militance politique et grand banditisme : voir [http://missurecoute.be/->http://missurecoute.be/]