Mario

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L’enchaînement des désillusions

Mario est un jeune homme qui a foiré son mariage. Tout commence lorsque, en plein désespoir amoureux, il ne supporte plus l’appartement où il a vécu jadis avec sa femme, d’autant plus que ses allocations de minimexé ne lui permettent pas d’honorer régulièrement le paiement de son loyer. Puis, à la suite d’un cambriolage, son chien disparaît, et c’est pour lui la goutte d’eau qui fait déborder le vase. Sa dépression et son sentiment d’échec s’accentuent, et la dégringolade commence. Le propriétaire refuse de renouveler son bail arrivé à échéance et Mario, dans son désir de repartir à zéro, abandonne son mobilier et se retrouve à la rue. « Pour quelque temps», pense-t-il, « juste le temps de retrouver quelque chose ».
Il loge à gauche et à droite chez des amis, mais ne retrouve pas d’appart et, au bout de trois mois, perd ses droits au minimex. Le CPAS lui accorde néanmoins le minimex de rue, soit 34 euros par semaine. « Juste assez pour bouffer, s’acheter des clopes et laver ses vêtements, mais sûrement pas retrouver un appartement », commente Mario, qui se remémore encore :
« De plus, quand tu as vécu un échec, que tu te sens un moins que rien, les démarches administratives te paraissent insurmontables et tu te contentes de survivre. J’avais bien quelques amis, au début, qui acceptaient de me loger mais ça dure un temps. Mes parents? Ma mère, je ne la voyais plus depuis des années et il était hors de question de reprendre contact avec elle. J’ai essayé un temps de vivre chez mon père, mais mon rapport avec ma belle-mère ne se passait pas bien et, suite à une engueulade avec mon petit frère, il m’ont foutu dehors. Et ça a été la rue, et ses combines foireuses… ». Mais Mario ne désire pas « rentrer dans les détails » de sa rupture amoureuse, ses rapports familiaux ou ses premiers temps dans la rue, et préfère aller de l’avant, montrer qu’il s’en est sorti tout seul, ou presque…

L’expérience de la solidarité

Un matin, en effet, il rencontre « Jo Diabolo », un jongleur et artiste de rue qui lui propose de se joindre à une dizaine d’autres SDFs qui ont le projet d’ouvrir un squat. D’abord, Mario rigole : « Ce gars, de prime abord, avec son look et sa dégaine, on lui ferait pas trop confiance, mais une fois que j’ai appris à le connaître, j’ai vu une personne vraiment généreuse et droite dans ses bottes. C’est un point positif à ma galère; ça m’a ouvert l’esprit et rendu plus tolérant et moins regardant sur l’apparence. Avant, je ne voulais pas entendre parler de SDFs, de punks, de mancheurs, etc. Mais une fois à la rue, je me suis rendu compte que, même dans cette jungle, il existe des gens honnêtes et pleins d’entrain. »
Le groupe repeint un bâtiment vide dans l’ancien domaine militaire de la Chartreuse, sur les hauteurs de la ville de Liège, du côté de Robermont. Un bâtiment déglingué au milieu d’un bois. « C’était l’époque où un article de loi venait de sortir, stipulant que si un bâtiment n’avait pas de consommation d’énergie pendant un an, il était réquisitionnable. Donc on l’a investi, nettoyé, isolé comme on a pu, et ça a tenu pendant deux ans », explique Mario. Le jeune homme retrouve alors une vie active, car le squat se donne dès le départ une charte de vie commune impliquant un partage des tâches.
« Pendant que l’un va chercher de l’eau potable dans les assocs du coin, d’autres font la récup’ dans les magasins, d’autres encore vont dans le domaine chercher du bois pour nous chauffer. Chaque journée fonctionnait comme ça, et j’ai découvert ce qu’était la solidarité… », raconte Mario. Le squat interdisait également toute consommation de drogues dures ou d’alcool sur le site pour éviter d’être trop vite catalogué par le voisinage, et empêcher également toutes sortes de conflits inhérents à la consommation de ces substances. « Bon, une fois ça passait, mais on réagissait très vite en
disant qu’ici, ça ne se fonctionnait pas comme ça… On essayait également de régler les conflits collectivement
».

Quand Mario devient Mamio…

La vie communautaire structure donc les journées de Mario, et redonne un sens à sa vie. Car ce n’est pas tout de sortir de la rue, il faut aussi se trouver une activité : « On se levait le matin vers 7 heures, puis on allait déjeuner à l’Accueil Botanique, dans le centre, qui ouvrait à 8 heures. Vers 9 heures, chacun allait faire ses démarches administratives. Là-dessus, on se rejoignait tous vers midi au Resto du coeur. L’après midi, on retournait au squat faire les tâches collectives, et le soir on se retrouvait autour du feu. C’était soirée djembe, ou alors des discussions, où on écoutait chacun parler de ses problèmes, et on essayait de les comprendre, voir de les résoudre. » Mario ajoute : «C’est également durant ces soirées que je me suis initié à l’art de la rue, la jonglerie, le clown, etc. Jo Diabolo, c’est un fameux jongleur ! Il travaille dans une école de cirque, ici, à Liège. C’est lui qui m’a tout appris sur les arts de la rue, et il m’a franchement aidé à mieux raisonner dans ma tête. »
C’est ainsi que Mario devient « Mamio le Clown », «parce que les enfants n’arrivent pas à dire Mario » plaisante-il. Les arts de la rue, outre le fait de lui «redonner confiance » en lui , l’aident également à mettre de l’argent de côté pour pouvoir se trouver un logement. « La première année, j’allais pleurer au CPAS pour retrouver mes droits, je voulais qu’il m’aide à avoir un logement. C’était vraiment la galère », se souvient Mario, qui explique : « Si tu trouves un appart, le temps que le CPAS débloque l’argent, tu perdais le plan, où alors il te faisait une aide urgente à rembourser, ce qui fait que tu n’avais plus rien pour vivre. Je ne savais pas par quel bout prendre le problème. C’est vraiment une chance pour moi d’avoir rencontré ces gens et d’avoir vécu solidairement pendant tout ce temps … Et d’avoir pu mettre de l’argent de côté. Sinon, je me demande vraiment comment j’aurais fait pour m’en sortir avec ces 34 euros par semaine. ».

Voir la rue autrement

Mario finit par dénicher un appartement et retrouver ses droits au minimex (à présent dénommé le «Revenu d’Insertion sociale » ou RIS). Il exerce ses numéros clownesques en Outremeuse, pas très loin de chez lui. Il habite en effet un de ces immeubles désolés du quartier Basse-Wez, en Amercœur, vestige d’un ancien complexe de logements sociaux ayant appartenu à la Maison Liégeoise, maintenant aux mains de propriétaires peu scrupuleux. De prime abord, on dirait des bâtiments squattés: portes d’immeubles défoncées, carreaux des couloirs communs brisés, sonnettes hors services. Mario, lui, est plutôt conciliant avec son propriétaire : « Comme je lui paye le loyer régulièrement, il est gentil avec moi. J’ai eu un problème électrique, il a envoyé quelqu’un pour réparer tout de suite. Je pense que s’il ne retape pas les espaces communs, c’est parce qu’il y a trop de mauvais payeurs ici ». Ces propriétaires jouent effectivement sur des loyers attractifs, compatibles avec le budget des minimexés. Un salon et une chambre de taille moyenne, une petite salle de bain et une petite cuisine pour 350 euros, charges comprises, sans décompte annuel. « Et au prix où coûte l’énergie actuellement, ce n’est pas négligeable ! » ajoute Mario qui précise : « Mon propriétaire achète l’électricité en gros, donc ça lui permet d’avoir un bon prix et de ne pas devoir calculer pour chaque appartement… C’est vrai que c’est pourri à l’extérieur, mais dedans, moi je trouve ça pas mal.»
Aujourd’hui, Mamio le Clown a 27 ans et encore toute la vie devant lui. Il ne compte pas rester dans cet immeuble indéfiniment : « A part l’un ou l’autre locataire avec qui je m’entends bien, je n’ai aucun contact avec les autres, et je ne compte pas moisir ici Je me donne encore un an pour me remettre sur pied »,
indique-t-il, « et pouvoir prétendre vivre comme tout le monde. Le plus dur quand tu vis en marge de la société, c’est vraiment d’avoir confiance en toi pour chercher du boulot. Le CPAS me pousse dans cette voie. Il est prêt à me faire engager par la Ville comme balayeur de rue. J’ai demandé tout de suite à ne pas faire les 3 pauses, mais ne faire que le matin, ce qui me laisse du temps l’après-midi pour pouvoir exercer mon art ». Balai à la main le matin, et jonglerie l’après-midi. Mario gardera encore longtemps un contact privilégié avec la rue, symbole de son échec, mais aussi de sa reconversion réussie…

son blog : [http://fr.netlog.com/mamio01->http://fr.netlog.com/mamio01]

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