Cuisine Moléculaire

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Vous êtes titulaire d’un doctorat en chimie et vous passez des nuits blanches à vous demandez ce qui peut bien faire tourner la béarnaise ou s’il faut il mettre une cuillère dans la bouteille de champagne pour que les bulles ne s’en échappent pas? Vous êtes sans doute mûr pour la gastronomie moléculaire. Celle-ci se donne pour objet d’étudier les phénomènes physiques à l’oeuvre lors de la préparation de plats cuisinés. Sous l’impulsion de son pape français, Hervé This, qui publie à tour de bras sur le sujet, le champs en a été élargi à des objectifs de nature tantôt strictement technologique, comme la modélisation des pratiques culinaires (dictons de cuisine, tours de main, trucs et astuces sont alors renvoyés au tableau de Mendeleev), tantôt plus sociologique, comme l’exploration des composantes artistique ou relationnelle de la cuisine. « La gastronomie moléculaire s’intéresse aussi à des questions plus fondamentales : qu’est-ce que le goût et l’olfaction, comment fonctionnent nos papilles et comment le cerveau en interprète-t-il les signaux ? » Pour Hervé This, il ne faut pas confondre gastronomie et cuisine moléculaire, la première étant une recherche fondamentale, qui influence peu ou prou la seconde, qui, elle, reste une pratique du quotidien [1]. De grandes toques se sont emparées de ces recherches pionnières, parfois avec quelques réserves, car on annonce régulièrement la mort de cette discipline obsédée par les « atomes dans le café crème » [2]. Les noms les plus cités sont ceux du Français Pierre Gagnaire ou du cuisinier catalan Ferran Adrià, le chef du fameux restaurant « El Bulli ». Ces bouledogues de la technoscience culinaire ont ouvert un boulevard au jargon des sciences dures comme des œufs, dont s’est désormais entiché un public bon teint. Qui peut en effet encore ignorer les forces électrostatiques et les interactions stériques en jeu dans la stabilisation d’une crème ganache ? Ne devrait-on pas prendre des mesures pour éloigner à jamais des fourneaux un apprenti qui omettrait de faire un lutage de ses cocottes (non, ce n’est pas ce que vous croyez) ? Quant à ceux qui ne sont pas à même de réaliser une simple cardinalisation de leur homard, ou un tout bête rassissement de viandes riches en tissus conjonctifs, ce n’est même pas la peine d’essayer d’attendrir un calmar, japonais de surcroît, (ce qui n’est pas une mince affaire). Certes, la gastronomie moléculaire peut nous éclairer utilement sur l’histoire de l’agriculture et des comportements alimentaires, sur la conservation des aliments et leurs propriétés nutritionnelles, elle semble aussi plus à l’aise avec les préparations artisanales et régionales qu’avec les procédés industriels. Mais on peut préférer les plats « du terroir » sans en connaître précisément les composants et les réactions physico-chimiques, qui ne font qu’ajouter un discours, celui de « la » science, à un ensemble de discours et de pratiques qui lui préexistaient ; ou mitonnés « à l’ancienne », sans se lancer dans des recherches quasi archéologiques ou de grandes constructions intellectuelles pour en déterminer l’origine exacte.

[1] « Carte blanche à Hervé This » sur amabilia.com
Voir aussi Christophe Lavelle, « La gastronomie moléculaire, une science pluridisciplinaire » sur www.sciencesetgastronomie.com
[2] Heston BLUMENTHAL, « Molecular Gastronomy is dead », The Observer
Pablo JENSEN, « Des atomes dans mon café crème : La physique peut-elle tout expliquer ? », Seuil, 2004.

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