« Le Tec, ça nous rapproche »
11h25 : J’arrive en bus aux Halles des Foires de Coronmeuse.
Des participants au salon descendent eux aussi du bus. Je les reconnais à leurs longs manteaux qui claquent élégamment au vent et à la serviette en cuir pleine fleur noire qu’ils serrent contre leur (petit ?) cœur. Ils sont deux ou trois à avoir partagé un bref instant le transport en commun du commun des mortels. Je suis enfin en mesure d’apprécier à sa juste valeur le célèbre slogan du TEC : « le TEC, ça nous rapproche ».
Qu’est-ce qui a bien pu pousser ces élus du monde professionnel à venir en bus plutôt qu’en voiture, en taxi ou en hélico ? L’engagement pour l’écologie et le refus des privilèges ? La peur des embouteillages liégeois ?
Les Halles des Foires s’ouvrent devant moi. Je décide de repérer l’espace
« lunch » où je devrai partager la table d’entrepreneurs invités. Des dizaines de stands lumineux et clinquants, des centaines de personnes qui s’affairent… Bécassine perd un peu pied… Après avoir été renvoyée dans toutes les directions telle une balle de ping-pong par des hôtesses amusées, j’arrive à destination. Avant de repartir dans la cohue des exposants, j’hésite à semer des cacahuètes dans mon sillage pour retrouver mon chemin. C’est que je ne voudrais pas manquer les petits fours !
Tourisme façon Bécassine
Tiens, le stand Electrabel ! Mon cœur de Bécassine s’emballe, cela fait si longtemps que j’entretiens une correspondance enflammée avec cette société! Voici enfin venu le moment de notre rencontre. Le monsieur qui tient le stand est très gentil avec moi. Il veut bien répondre à mes questions. Bécassine aime les gens qui savent rester disponibles même quand ils sont très occupés… Je le sens troublé cependant : il n’arrête pas de regarder à droite et à gauche pendant que je lui parle… Le charme de l’exotisme social peut-être ?
Voici le stand Proximus. Chic ! C’que j’aimerais qu’on me prenne en photo devant le logo avec un des représentants ! Ils acceptent, non sans m’avoir entretenue sur les dernières promotions.
Un peu plus loin, je rencontre les représentants d’une entreprise de fabrication de sanitaires pour lieux publics. Ici aussi, le privilège me sera accordé de poser pour la postérité avec le directeur devant le logo de son entreprise. Dommage : les autres parois du stand étaient décorées de rouleaux de P.Q. Le cliché en eut été bien plus photo(hy)g(i)énique !
Le dîner
Je retrouve l’espace « lunch » où je reçois comme les autres invités un badge avec mon numéro de table et une coupe de champagne. J’avance entre des petits groupes animés et bien sapés, tente d’accrocher quelques regards. Je n’arrive qu’à récolter de brefs balayages verticaux de ma personne. Je crois bien que je vais finir seule au bar et tenir compagnie au barman… qui sera peut-être tenté d’appeler la sécurité en me voyant.
Un homme en retrait retient mon attention. Il est différent des autres invités : une barbe généreuse et pas de costume cravate. Son association non-marchande s’occupe de réinsertion professionnelle par la maçonnerie, la peinture et l’entretien écologique d’espaces verts. Ce qui lui vaut d’être là ? Son équipe comprend deux femmes et une personne handicapée. Les stagiaires en formation apprennent une discipline tout en étant sensibilisés à la lutte contre les stéréotypes.
Je partage sa table avec les représentants de deux autres associations du non-marchand et de deux PME. (Tiens, l’organisation n’a pas prévu d’installer la chômeuse à la table des grandes entreprises…). Leur candidature a été retenue parce qu’outre les services qu’ils produisent, leurs équipes manifestent une politique en gestion des ressources humaines différente : l’ASBL La Lucarne.org regroupe des homosexuels qui ont travaillé avec la FGTB à une campagne de lutte contre le sexisme sur le lieu de travail à l’adresse des délégués syndicaux. Le repas est délicieux, le cadre somptueux, mais la tension est palpable autour de la table et, bien que
tous fassent connaissance, on sent que les esprits sont tournés vers la remise de prix. Hélas, je dois quitter la table à peine l’entrée terminée car d’autres missions m’attendent.
Epilogue
Simple et candide, la Bécassine de la B.D. débarquait à Paris et son comportement de provinciale peu adapté aux codes de la vie citadine était à l’origine de situations cocasses. Nous avons voulu savoir si ce mythe était transposable en d’autres temps, d’autres lieux et avec des acteurs sociaux différents. Réponse : oui !
Le politiquement correct voudrait faire croire à l’égalité des classes et même à l’évaporation pure et simple des clivages sociaux. Pourtant, Bécassine en témoigne, chômeurs et entrepreneurs restent deux réalités sociales figées qui ne se rencontrent pas ou, si elles se rencontrent, se toisent coites et interloquées devant l’évidente distance de leurs pratiques sociales et de leur connaissance du monde.