Quelques mots d’histoire
À la fin des années nonante, Isabelle Paternote, comédienne bruxelloise, et Roland Mahauden, directeur du Théâtre de Poche, font le même constat: celui du déclin de la fréquentation des salles. Selon eux, la barrière culturelle est essentiellement de nature financière. Ensemble, ils réfléchissent à un système qui permettrait de démocratiser et donc de faciliter l’accès aux manifestations culturelles. Le projet-pilote Article 27 est né en février 1999 à Bruxelles, avec comme référence ambitieuse, l’article 27 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme : « Toute personne a le droit de prendre part librement à la vie culturelle de la communauté, de jouir des arts et de participer au progrès scientifique et aux bienfaits qui en résultent. »
Dans un premier temps, une réduction du prix d’achat des places aux manifestations culturelles a été garantie. À l’époque, les personnes pouvaient se rendre à des spectacles de théâtre au prix de 50 francs belges (le prix d’un pain ). Aujourd’hui, malgré quelques changements, le prix des places est resté le même (1,25 euros).
En outre, afin de sensibiliser au mieux le public concerné et de leur proposer un maximum de manifestations, il a fallu constituer des réseaux de partenaires sociaux et culturels.
Le projet a fait tache d’huile et des cellules se sont multipliées en région wallonne et à Bruxelles. À l’heure actuelle, il existe une dizaine de cellules dont la plupart sont hébergées par des centres culturels.
Article 27 trouve ses financements auprès des pouvoirs publics suivants : la COCOF pour ses compétences culturelles et sociales, la COCOM pour son soutien aux associations à visée sociale, la Région Wallonne pour les Affaires sociales, les deux Régions pour leurs compétences en matière d’emploi, la Communauté française Wallonie-Bruxelles pour ses matières culturelles (culture, éducation permanente, arts de la scène, audiovisuel).
L’Asbl Article 27 à Liège
Nous sommes allés à la rencontre de Coraline Debry, chargée de projets à l’Asbl Article 27 de Liège. Elle nous explique que la cellule liégeoise est née il y a environ 7 ans. À l’époque, le président du CPAS, Claude Emonts, a trouvé l’idée sympa et a souhaité l’adapter à Liège. « C’est ainsi », nous dit-elle, « qu’il a décidé de nous héberger et donc de nous financer en grande partie. Nous nous sommes constitués en Asbl, ce qui n’est pas le cas pour les autres cellules en région Wallonne qui sont hébergées par les centres culturels ».
C4 : Pouvez-vous nous donner quelques chiffres sur Liège et l’ensemble de la communauté française ?
Coraline Debry : La distribution de tickets article 27 est en progression. En 2004 sur Liège il y avait eu 16000 coupons utilisés. En 2006, il y en a eu 26000. C’est nous (Liège) qui distribuons le plus de tickets. Je pense qu’en deuxième position vient la cellule de Mons . Cela dit, il est difficile de faire ce genre de classement par territoire. Le nombre de partenaires culturels diffère de cellule en cellule tandis que les CPAS ou associations ne gèrent pas tous le même nombre de dossiers : « À Li ège par exemple, on a 200 partenaires culturels, mais dans des cellules comme Dinant , il n’y en a peut-être que 50. C’est assez différent d’une cellule à l’autre, d’un CPAS à l’autre. Il est difficile de donner un chiffre pour l’ensemble de la Communauté Française, mais il est certain que le système est en train de se développer. Les gens utilisent de plus en plus les tickets. Car, il faut savoir aussi qu’il existe une grande différence entre les tickets distribués et les tickets utilisés : l’année dernière on a perdu 3500 euros de tickets (un ticket coûte 20 cents à la fabrication). Mais, grâce aux séances d’information que l’on donne aux travailleurs sociaux et aux bénéficiaires, les gens connaissent de plus en plus nos partenaires. C’est tout un processus d’Education Permanente qui est mis en place et qui
permet d’améliorer et d’augmenter le nombre des tickets réellement utilisés.
C4 : Quels sont les freins à cette évolution et les solutions ?
C.D. : Il y en a beaucoup ! Le constat de départ est le problème financier, les gens n’ont pas les moyens, donc ils ne vont pas au théâtre. Mais il y a aussi le frein psychologique. C’est difficile pour certaines personnes de pousser les portes d’un lieu culturel. C’est pour cette raison que nous avons mis en place tout un système d’Education permanente avec des animations, des stages, des ateliers, des séances d’information dispensés par les travailleurs sociaux à destination du public cible. Nous sommes deux assistants sociaux chargés de projet. On se rend dans les services, les salles d’attente afin de présenter le projet aux gens. Au fil du temps, cela permet de débloquer un peu ces freins. En outre, il y a aussi la barrière de la langue. Là aussi, il faut mettre en place une série d’outils. Dans cette perspective, on a créé un service « ambassadeurs culturels » où des bénévoles accompagnent les groupes lors de manifestations culturelles. Il y a également le problème de la solitude. Les gens n’ont pas envie de sortir seul. Pour tenter de régler ce problème, on a créé un « Comité de spectateurs », un groupe ouvert qui se réunit toutes les 6 semaines environ. Deux sorties sont organisées entre les deux réunions : une sortie « loisirs » et une sortie davantage axée sur la réflexion et l’approche culturelle, par exemple les musées, les lieux où les gens ne vont pas forcément d’eux-mêmes. Cela se fait à Liège et dans toute la Wallonie. Ce groupe est constitué d’un noyau dur mais tous les gens qui bénéficient de l’article 27 sont les bienvenus, y compris les bénéficiaires des autres cellules. Avec les tickets article 27, on peut circuler partout en Wallonie.
C4 : Quels sont les moyens de diffusion ?
C.D. : Il existe quatre brochures qui sont diffusées largement : « L’Intemporel », « L’article 27 – Cette année on sort », « L’article 27 se présente », « Le Bottin des activités annexes ». Au niveau de l’information orale, nous faisons des permanences tous les 2 mois sur antenne. Nous passons également une heure en salle d’attente pour expliquer aux gens le fonctionnement de l’article 27. Quand le nombre de personnes présentes n’est pas trop élevé, nous distribuons directement les tickets. Une manière d’alléger le travail des assistants sociaux pour qui l’article 27 n’est pas forcément une priorité. On propose aussi des séances d’info aux travailleurs sociaux à travers lesquelles on présente nos outils d’animation, les règles de fonctionnement des tickets … Et puis le bouche-à-oreille fonctionne pas mal aussi.
C4 : Quels secteurs culturels sont les plus prisés par les bénéficiaires?
C.D. : Souvent les mêmes… Le Monde Sauvage d’Aywaille caracole en tête, il n’est d’ailleurs plus accessible car nous y avons une facture de 5500 euros. Ensuite vient le cinéma, depuis peu en baisse, ce qui veut dire que les gens s’ouvrent à d’autres secteurs. Et puis le cirque. Pour ces trois opérateurs culturels, cela se chiffre en milliers d’euros. Les festivals fonctionnent assez bien aussi.
C4 : Y’ a-t-il d’ autres initiatives inhérentes au projet ?
C.D. : Nous n’avons pas de contacts au quotidien avec les bénéficiaires, c’est pour cette raison qu’on aime se rendre sur le terrain et proposer des projets qui nous permettent de les rencontrer. Nous sommes deux assistants sociaux chargés de projets avec des objectifs un peu différents: Julien Etienne s’occupe davantage des adultes, c’est lui qui est à l’origine du « Comité de spectateurs ». En outre, il organise des ateliers photo et art-plastiques ainsi que des expos. Pour ma part, je prends en charge les enfants. Quand je suis arrivée ici il y a un an, j’ai repris le projet » Portes Ouvertes sur la Lecture » où l’on proposait au public une découverte des bibliothèques sur un
après-midi : présentation de la bibliothèque, inscriptions et activités plus artistiques (tables de jeux, grimages, dessins ). J’ai étendu le projet à toutes les bibliothèques communales de Liège puis je l’ai développé davantage en organisant des stages de découverte d’auteurs-illustrateurs belges pour enfants. À la fin Du stage, l’auteur est invité à venir expliquer ses techniques d’illustration, ses sources d’inspiration aux enfants et un livre leur est offert.
Ce stage a eu lieu à Droixhe cet été et sera prochainement organisé dans les bibliothèques suivantes : Thier-à-Liège (Carnaval), Jupille et les Chiroux (Pâques). À Liège, nous obtenons facilement le feu vert dès qu’une idée nous passe par la tête, ce qui nous permet d’évoluer. Par exemple, cette année, nous avons réitéré l’initiative « Un livre pour Noël » qui avait bien fonctionné en 2004 et 2005 et où l’on offre à 3000 enfants un chèque d’une valeur maximale de 10€ à échanger contre le livre de leur choix à la librairie “La Parenthèse”.
C4 : Un bilan personnel ?
C.D : C’est parfois assez frustrant de mettre un projet en place et de ne pas obtenir les résultats escomptés, mais, au fur et à mesure du temps et des expériences, on apprend à se satisfaire de petites victoires. On essaie sans cesse d’élargir le cercle et de proposer nos activités à un maximum de personnes. Et puis, se rendre compte des erreurs qu’on fait en tant que travailleur social, cela permet d’évoluer et de proposer aux gens un accès toujours plus large à la culture. Il faut être passionné pour travailler à l’article 27 !