Histoire du mariage

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« Le mariage doit incessamment combattre un monstre qui dévore tout : l’habitude. »
H. de BALZAC

« Ce ne sont pas les individus qui sont responsables de l’échec du mariage : c’est l’institution elle-même qui est originellement pervertie. »
S. de BEAUVOIR, Le deuxième sexe, 1949

« Si l’on supprimait l’Oedipe et le mariage, que nous resterait-il à raconter ? »
R. BARTHES

Le mariage n’est devenu que très lentement ce qu’il est dans les sociétés modernes, l’acte constitutif de la famille homologué par une institution tierce (Église, État). Le mariage ne fut d’abord qu’un acte privé, formé exclusivement par l’accord des familles ou le consentement des parties, sans réglementation ni sanction de la puissance publique. L’intervention de celle-ci dans la sphère conjugale a été très progressive et irrégulière, des phases de contrôle fort alternant avec des phases plus permissives, avec bien sûr des modulations importantes selon les cultures et les époques. Une histoire qui continue aujourd’hui.

Dans l’Égypte ancienne, le mariage et le divorce étaient considérés comme des affaires civiles. Les hommes devaient faire des cadeaux à leurs épouses et étaient tenus de leur concéder les deux tiers de leurs biens. Les femmes pouvaient garder la part qu’elles avaient apportée lors du mariage. Le divorce était autorisé, mais uniquement pour des raisons de haine ou si l’un des époux commettait l’adultère ou était incapable d’avoir des enfants. Dans de telles circonstances, les femmes pouvaient obtenir des indemnités.

Dans la Grèce primitive, la forme la plus courante était le mariage par achat, réglé par les parents des futurs époux ou entre le fiancé et le père de la fiancée. Au début de l’époque classique, il se pratiquait encore à la campagne, mais il était de plus en plus remplacé par un mariage religieux où le consentement des deux époux jouait un rôle, où la femme n’était plus simplement la propriété de son mari. On constate une variation des formes entre les cités : à Sparte, le mariage s’accomplit sous la forme d’un rapt au moins symbolique. À Athènes, où les jeunes filles vivent dans une stricte réclusion auprès de leur mère, dans le gynécée, les futurs époux se connaissent rarement à l’avance. Le mariage, décidé par les parents, a pour but d’assurer la perpétuité des familles et des sacrifices héréditaires (l’homme qui restait dans le célibat se rendait donc coupable d’un crime envers ses ancêtres, et il semble que le célibat ait été puni). La femme restait toute sa vie une mineure, juridiquement : son mari était son tuteur, et s’il mourait elle passait sous l’autorité de son fils ou de son plus proche parent.

À Rome, seuls les hommes libres (citoyens) avaient la possibilité de contracter un mariage légal. Jusque vers la fin du IVe siècle av. J.-C., les Romains ne connaissaient qu’une seule forme de mariage, dit cum manum, qui plaçait la femme « sous la main », l’autorité de son mari. Elle rompait tous les liens avec son ancienne famille, entrait entièrement dans celle de son mari dont elle adoptait le culte en devenant une mater familias. Honorée dans sa maison, elle restait juridiquement mineure. Dès le IIIe siècle av. J.-C., on vit se répandre une forme de mariage sine manu qui laissait la femme dans sa famille d’origine, avec la propriété de ses biens et la capacité de passer des actes juridiques. Ce mariage, fondé avant tout sur le consentement mutuel, fit disparaître presque entièrement les formes traditionnelles cum manum dès la fin du Ier siècle av. J.-C.. À cette époque, les divorces devinrent de plus en plus fréquents. L’État commença alors à multiplier ses interventions dans un domaine resté jusque-là essentiellement privé : Auguste promulgua plusieurs lois pour rendre le divorce plus difficile (interdiction du remariage entre l’époux adultère et sa maîtresse) et pour pénaliser les célibataires et les couples sans enfant, qui se voyaient privés partiellement ou totalement du droit à recueillir des successions.

nChez les Hébreux, le mariage apparaît dès le début de la Bible (Genèse, 1, 27) ancré sur la volonté de Dieu et dessiné à la propagation de la race humaine. Cependant, tout en étant une institution sacrée, le mariage peut être dissous et la polygamie est en vigueur ; elle subsiste encore chez les Juifs au temps de Jésus. En pratique, cependant, la monogamie était devenue la règle.

Chez les premiers chrétiens, le mariage était considéré comme une union indissoluble, bien que Matthieu (5,32) réserve le cas d’une répudiation de la femme pour « inconduite » (pornéia). L’influence chrétienne sur le mariage romain se fait sentir à partir du IVe siècle, dès le règne de Constantin, par une réaction violente contre le divorce, une condamnation des unions hors mariage, la suppression progressive des rites païens et surtout l’importance accordée au consentement mutuel entre les époux. Dans le code Justinien (VIe siècle), le mariage est possible même si les parents de l’épouse s’y opposent (pour la jeune femme à partir de vingt-cinq ans).

Dans l’Islam, le mariage est un acte principalement civil. Il existe donc de nombreuses variantes du mariage musulman, partageant cependant quelques caractéristiques communes. Constitué par la signature d’un contrat reprenant les obligations mutuelles des époux (l’homme doit subvenir aux besoins de la femme, les époux héritent l’un de l’autre… mais chacun peut y ajouter des clauses s’il le désire) et nécessitant leur consentement mutuel, il est conclu pour une période indéterminée mais peut être rompu si l’un ou l’autre des époux s’engage dans une procédure de divorce (Talaq, mal vu mais possible en dernier recours). Le Coran admet la polygamie, mais seulement la polygynie (plusieurs épouses, jusqu’à quatre, sans compter les concubines), une pratique qui tend à s’estomper aujourd’hui dans certains pays musulmans (elle est par exemple illégale en Tunisie). L’épouse n’apporte aucune dot, mais elle reçoit un cadeau (mahr) qui lui reste acquis même en cas de rupture.

Dans l’Europe médiévale, on voit se combiner, à l’époque carolingienne, les conceptions germaniques et romaines du mariage. Le chef de famille germanique exerce sur les siens — et avant tout sur sa femme — un pouvoir différent de celui du pater familias romain de la haute époque : non pas une toute-puissance arbitraire pouvant aller jusqu’au droit de vie et de mort, mais essentiellement une fonction tutélaire, protectrice, qui entraîne l’obligation de subvenir à tous les besoins de la famille. Le droit germanique impose au futur mari de faire à la femme, avant les noces, une donation importante qui assure à l’épouse de ne pas se retrouver sans ressources en cas de veuvage. Cependant, le mariage mérovingien devait pâtir de la crise de l’époque : le rapt et la polygamie étaient courants. L’Église n’arriva que peu à peu à imposer sa conception du mariage et, jusqu’à la fin du Moyen Âge, il resta relativement aisé d’invoquer des empêchements reconnus par le droit canonique pour rompre des unions malheureuses ou gênantes. L’autorité spirituelle n’hésita cependant pas à lancer ses foudres contre les souverains qui répudiaient leur femme sans raison valable : l’affaire du divorce d’Henri VIII, roi d’Angleterre, finit par déclencher le schisme anglican (1531).

Au XIIe siècle, l’Église précisa définitivement sa doctrine sur le mariage : celui-ci est formé exclusivement par le consentement des deux époux qui, en exprimant librement leur volonté, se donnent à eux-mêmes le sacrement du mariage. S’il était d’usage que le mariage soit béni par le prêtre, cette bénédiction n’était pas indispensable. Mais la multiplication des mariages clandestins, sans solennité et sans témoins, devait amener le concile de Trente à exiger sous peine de nullité la présence du curé et de deux témoins (décret Tametsi, 1563). Ces dispositions du concile furent reprises par le pouvoir royal français : l’autorité temporelle intervenait ainsi pour la première fois dans l’organisation du mariage, tournant important car ce sont là les fondations du
mariage laïc qui sont posées.

Le mariage chrétien préservait la femme de l’abandon, de la répudiation, de l’entretien de concubines au domicile conjugal mais il lui imposait en même temps de lourdes contraintes. Les théologiens développèrent abondamment le fameux passage de St Paul énonçant que les femmes doivent être soumises à leur mari comme à Dieu, car l’homme est le chef de la femme comme le Christ est le chef de l’Église. L’obligation de vie commune était de rigueur. On reconnaissait au mari le droit de battre sa femme, de lui refuser l’entretien si elle ne travaillait pas et si la dot n’était pas suffisante pour contribuer aux frais du ménage…

La Révolution française décida de ne reconnaître le mariage que comme un contrat civil. Elle supprima de nombreux empêchements de parenté édictés par le droit canonique, ainsi que l’obligation du consentement préalable des parents en vigueur dans les derniers siècles de l’Ancien Régime. Elle autorisa le divorce. Le code Napoléon marque une nette réaction vis-à-vis de ces mesures individuelles : la femme fut replacée sous la tutelle étroite du mari, privée de toute participation à l’administration des biens du ménage, placée dans l’incapacité d’accomplir aucun acte important. Son infidélité fut punie plus durement que celle du mari. Ce régime resta en vigueur pendant tout le XIXe siècle, commença à s’assouplir quelque peu après 1900, mais il fallut attendre les années 1960 pour que la femme obtienne avec l’homme une vraie égalité de droit dans le mariage.

Aujourd’hui, le mariage au sens d’un contrat matrimonial civil reste une base de la société et tend vers des formes plus souples : facilitation du divorce, contrats plus légers (unions civiles), autorisation progressive des mariages homosexuels… Évolution critiquée par certains courants religieux ou politiques réclamant un retour des formes plus strictes.

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