Remplacer dans l’enseignement

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Le système de paiement de la Communauté française a pour trait particulier de mettre un certain temps avant de parvenir sur le compte bancaire de ses enseignants temporaires – les « remplaçants » – en début d’engagement. Nous avons cherché à savoir pourquoi la Communauté française fonctionnait ainsi et si elle envisageait de mettre un terme à ce phénomène.

L’organisme employeur des enseignants, la Communauté française, rémunère les remplaçants engagés pour moins de 15 semaines non pas à la fin du mois de leur entrée en fonction mais bien deux mois plus tard. Selon l’Administration générale du personnel de l’enseignement (AGPE), sur 127.000 profs, environ 10% sont concernés par ce type de rémunération.

Le paiement à terme doublement échu (c’est le nom de ce charmant procédé) a pour conséquence directe de laisser ces enseignants sans aucun revenu le mois suivant leur engagement.
Lorsque la Communauté française engage un enseignant remplaçant, elle doit être avant le 13 de chaque mois en possession d’un dossier personnel complet sur l’enseignant (y compris un certificat de bonnes vie et mœurs disponible 8 jours après sa commande) pour pouvoir procéder au paiement en fin de mois. Challenge critique puisque ce dossier composé par l’enseignant doit être remis à l’école qui l’envoie alors à la Communauté française pour paiement. De leur côté, les caisses de paiement des allocations de chômage, ayant reçu de l’enseignant qui a travaillé une carte noircie, bloquent leurs versements.

Bouleversant contraste : le loyer, lui, ne souffre pas de retard. Du paiement à terme doublement échu, le propriétaire et les assurances n’ont que faire. Le supermarché non plus.

Pour Roberto Galuccio, de l’enseignement officiel neutre subventionné par les communes et les provinces (CPEONS), « Ce procédé n’est pas normal. C’est une norme imposée, spécifique à l’enseignement et qui relève du comportement d’une grosse institution face à des gens qui lui sont inconnus. Une interpellation au niveau politique serait nécessaire ».

Un système en voie d’extinction ?

Didier Dirix, permanent à la CGSP-Enseignement affirme : « Depuis 10 ans, nous faisons pression sur la Communauté française pour que les paiements prennent le moins de retard possible. En 2003, nous avons mis le paquet. Depuis, à condition que le dossier de l’enseignant soit rendu à temps et que l’administration le traite sans retard, 90% des paiements se font à la fin du mois en ce qui concerne les remplacements de plus de 15 semaines. Les enseignants qui sont payés deux mois après leur engagement sont très rares mais il y en a encore ».

Michel Bettens, secrétaire général de l’Enseignement libre non confessionnel (FELSI) confirme que « ce type paiement devient une exception depuis deux ou trois ans. Beaucoup d’enseignants se sont plaints. La Communauté française a décidé de faire un effort pour rendre le système plus performant ».
Par ailleurs, les CPAS de Liège, Bruxelles et Charleroi ne croulent pas sous les demandes d’aide de la part d’enseignants en difficulté. Coordinateur des assistants sociaux pour liège, Marcel Mullenders se souvient de « deux ou trois interventions, il y a deux ans. » Le phénomène n’est pas assez important en volume pour que la Fédération des CPAS envisage une action politique.

Et pourtant…

Anne, Muriel et Anicée ont été remplaçantes dans l’enseignement en 2006 et 2007. Le mois suivant leur engagement, elles ont dû faire face à une situation financière difficile.

Anne a 30 ans. Elle loue un appartement et est maman d’un petit garçon :
« J’ai remplacé cette année un prof pendant 5 semaines. C’était pour donner des cours de français en 1ère, 3ème et 4ème année dans l’enseignement officiel. J’ai été payée deux mois après mon engagement, donc bien après la fin de mon remplacement. Ma mère m’a prêté de l’argent pour que je puisse vivre ce mois-là. Si elle n’avait pas pu m’aider ? Eh bien… je n’aurais
pas accepté ce remplacement. Ceci dit, je n’étais pas au courant de ce type de paiement, je crois qu’on ne me l’a dit qu’après la signature du contrat.
»

Muriel, 30 ans, est également locataire d’un appartement.
« J’ai fait un remplacement de 15 jours en 2006 dans l’enseignement libre, à Bastogne. C’était en 4ème et 6ème année en français et en histoire. Il y avait plein de papiers à rendre, dont le certificat de bonnes vie et mœurs qu’il faut commander une semaine à l’avance. J’ai aussi touché mon salaire deux mois après. Heureusement, je venais de terminer un autre contrat, donc je n’étais pas sans rien. Et sinon ? Sinon, j’aurais été dans la merde ! Je ne comprends pas comment ils peuvent fonctionner comme ça. »

Anicée, 26 ans. Elle aussi paye un loyer pour son appartement.
« Mon dernier remplacement date de cette année : 5 semaines dans l’enseignement libre, à Ans. Je donnais cours de religion. Au début du remplacement, il fallait rassembler tous les papiers pour le dossier administratif alors qu’on n’a pas le temps de le faire. Et si je ne rendais pas mon dossier assez vite, on me menaçait de me payer deux voire trois mois après mon remplacement ! Le mois suivant mon remplacement, je n’ai pas payé mon loyer et j’ai demandé à ma mère 300 euros (l’équivalent de mon chômage après paiement du loyer) pour manger et vivre

Le repos du guerrier/Statu quo

La Communauté française compte-elle à terme payer tous ses enseignants en fin de mois ? Bien qu’Alain Berger, administrateur général de l’AGPE « trouve cela excessivement malheureux », sa réponse est claire : « Non. Il faut qu’un jour ça s’améliore. Mais aujourd’hui, nous subissons un certain nombre de contraintes extérieures à l’administration et à la Communauté française ainsi que des contraintes liées au système informatique. Dans la mesure où l’on a déjà fait un gros effort il y a quelques années pour que les enseignants engagés plus de 15 semaines soient payés à terme échu, nous n’envisageons pas pour le moment une nouvelle harmonisation des paiements.»

Malgré le grand nombre de contraintes techniques qui semblent peser sur le mode de paiement des enseignants, on peut se poser la question de la légitimité d’un tel fonctionnement pour un service public qui a pour mission l’enseignement et l’éducation des jeunes. Cette période de « no fric’s land » vécue par des centaines d’enseignants pourrait indiquer que les responsables politiques et les institutions nient toujours la précarité sociale et professionnelle actuelle.

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