Mères

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L’association des Mères de la place de Mai avait été formée dans l’espoir de retrouver les fils et filles disparus, enlevés par des agents du gouvernement argentin pendant la guerre sale, de 1976 à 1983. La plupart ont été torturés et tués. Les « Mères de la Place de Mai » estiment le nombre de disparus à 30.000.

Trente ans plus tard, les Mères, qui sont aujourd’hui des vieilles dames, continuent de tourner chaque jeudi pendant une demi-heure sur la place principale de Buenos Aires. En effet, beaucoup de disparus n’ont toujours pas été identifiés comme tels, et beaucoup de militaires et dirigeants impliqués directement dans les massacres ou complices de ceux-ci ont pu continuer à vivre en toute impunité. Pour les mères, l’identification de chaque disparu ou disparue est essentielle, sans quoi c’est comme si ces personnes n’étaient pas mortes.

En 1986, le mouvement s’est divisé en deux entités : Les mères de la place de Mai, ligne fondatrice, dont la lutte a pour principal objet la législation qui doit aider à récupérer les corps, et amener les anciens dirigeants devant la justice.

L’Association des mères de la place de Mai, pour sa part, essaie de faire survivre les rêves et les idées politiques des fils disparus. Elle est dirigée par Hebe de Bonafini, et a une approche politique. Ces mères sont convaincues que leurs enfants sont morts, et sont conscientes que la plupart ont été torturés et assassinés. Néanmoins, elles refusent l’aide compensatrice du gouvernement pour la disparition de leurs enfants. La plupart disent ne pas vouloir reconnaître la mort de leurs enfants, tant que le gouvernement ne reconnaîtra pas sa faute, et les connexions avec la guerre sale et ses disparitions forcées. Un spécialiste du mouvement, M. G. Bouvard, a écrit que l’association désire une “complète refonte de la culture politique en Argentine”, et embrasse une “vision d’un système libéré de la domination des intérets individuels”. L’association est soutenue par de jeunes militants, proches idéologiquement de la révolution cubaine.

« La « disparition » est une torture interminable car elle nie les deux éléments essentiels de structuration d’un être : le temps et l’espace. Le corps humain occupe toujours un espace, un espace dans le temps. Ce sont les magiciens ou les sorciers qui parlent de disparition. Nous, on nous appelait « las locas » , les folles. Nous avons survécu, nous les mères, grâce à la solidarité des femmes. Et puis d’Amnesty International. Il ne faut pas avoir honte de pleurer. Pleurer, c’est partager sa douleur avec les autres. Pleurer, oui, mais aussi lutter, toujours lutter, même vieille, même malade, même fatiguée, lutter, toujours lutter. »

Laura Bonaparte,
présidente de « Linea Fundadora », mars 2002

L’association des Mères de la Place de Mai, on le voit, défend des valeurs qui vont au-delà de la lutte initiale entamée en 77 contre les disparitions forcées en Argentine. Sa présidente, Hebe de Bonafini, conteste radicalement la politique néolibérale et les conséquences de la globalisation économique. En 2005, à la Havane, à l’occasion de la Rencontre internationale contre le terrorisme, pour la vérité et la justice, elle déclarait, à un journaliste qui lui demandait ce qu’elle avait à répondre à ceux qui en Occident dénonçaient le manque de libertés à Cuba : « Beaucoup de peuples pensent qu’ils jouissent de libertés mais ils se trompent. Quand les gouvernements décident de faire la guerre, ils ne demandent jamais l’avis du peuple. Par contre, ils ont envoyé le peuple faire la guerre et mourir pour défendre les intérêts des puissants. De quelle souveraineté populaire me parlez-vous ? Les Européens ont été majoritairement contre la guerre, mais cela n’a pas empêché MM. Blair et Aznar d’envoyer des troupes. Sont-ils plus libres que les Cubains ? Je ne crois pas. »

Laura Bonaparte, mère de disparu, appartient à l’organisation « Les Mères de la Place de Mai, ligne fondatrice ». Elle est également membre du « Réseau mondial de
solidarité des mères, sœurs, filles, épouses, proches de personnes enlevées et disparues » fondé en 2000 à l’occasion du Festival Voix de Femmes. Elle aussi, lors de la rencontre du Réseau en 2002 à Bruxelles, déclarait : « Chères amies, il faudrait joindre, à notre
« non à la guerre », un « non à la globalisation », qui fait des milliers de victimes chaque jour. »

Avec des gestes et des symboles simples, loin des moyens technologiques utilisés aujourd’hui, les Mères de la Place de Mai ont su défier le régime et mobiliser l’opinion. Beaucoup d’entre elles ont d’ailleurs reçu de nombreuses récompenses en reconnaissance de leur inlassable combat en faveur des opprimés. L’association des Mères de la Place de Mai a reçu de nombreux prix décernés par des institutions internationales – tels que le prix « Education et paix » de l’UNESCO en 1999 – par des universités du monde entier, des municipalités, des syndicats et bien d’autres entités.

Toutefois, elles ont su s’adapter à l’invasion des nouvelles technologies de la communication. Elles possèdent aujourd’hui leur propre site internet, et le journal de leur association fait partie du réseau Voltaire, qui rassemble des agences de presse et des journaux d’Amérique latine, d’Europe et du monde arabe, et dont le but est « la promotion de la Liberté et de la Laïcité, ainsi que l’émancipation des individus face aux dogmes et aux empires. » Aujourd’hui, Laura Bonaparte et Hebe de Bonafini, pour ne citer qu’elles, sillonnent la planète malgré leur grand âge afin de poursuivre leur lutte et de faire savoir au monde ce qui s’est vraiment passé.

Les nouvelles icônes …

Un simple drap blanc noué sur la tête, pour les unes, quelques notions basiques de photo et de vidéo, pour les autres. Un contexte de dictature, pour les unes, un monde en plein phénomène de globalisation économique, pour les autres. En commun, ces femmes de générations différentes manifestent une forme de radicalité dans leurs luttes et une propension à être les protagonistes de leurs processus de communication. Qu’il s’agisse de marcher autour d’une place (la Place de Mai, à Buenos Aires) chaque jeudi pendant une demi-heure, depuis trente ans, ou de participer à des contre-sommets en filmant et en photographiant ce qui s’y passe de l’intérieur, ces femmes réinventent le rapport aux medias pour transmettre leurs valeurs et leurs idées. Les Mères de la Place de Mai, par la forme et l’intensité de leur lutte, sont un peu aussi les « Mères » des jeunes femmes mediactivistes qu’on voit, caméra à l’épaule et ordinateur portable en bandoulière, arpenter les manifs et les lieux d’actions contre la globalisation économique.

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