Médiactivisme

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Dans les documents de travail du wiki du réseau indymedia, on signale l’existence d’une communauté non-mixte. Il s’agit de « [Womyn->http://docs.indymedia.org/view/Global/ImcWomyn]» pour « Women Indymedia ». Dans le texte fondateur, on y explique que les femmes seraient victimes d’attaques sexistes au sein du réseau No-global. Mais en Wallonie, être une minorité féminine à indymédia, ça se vit comment?

Teilla prend la parole : « Je ne me sens pas comme faisant partie d’une minorité, mais plutôt comme un individu dans un collectif. Dans le réseau que je côtoie (ndr: [réseau des indymedias francophones->http://docs.indymedia.org/view/Global/CmiFrancophones]), il y a réellement une égalité entre les sexes. La différence fondamentale se situe plus entre les gens qui ont le savoir technique et ceux qui ne l’ont pas ». Miluskaya ajoute : « Quand je travaillais avec Indymedia.be [1], il m’arrivait de poser des questions liées à la technique et on me regardait comme si j’étais un ovni. Peut-être que si j’avais eu des couilles et la force de foutre un poing sur la gueule, on m’aurait écoutée plus sérieusement. Je ne sais pas si cette forme de mépris était sexiste ou si c’était ma méconnaissance technique qui était en cause, mais c’était dommage. Ici, c’est différent, c’est une place de choix, une minorité chouchoutée. Mais pas seulement ici : j’étais encore récemment au Climate camp en Angleterre, et dans le mediacenter, j’étais entourée de mecs. J’avais un petit problème avec une clé usb; hop, un petit sourire et il y avait un paquet de gars prêts à me rendre service. Je ne crois pas que si j’étais un mec, ça marcherait pareil ».

Le fossé technique entre les filles et les garçons, selon Miluskaya, est peut-être lié à l’éducation, les nanas étant dirigées vers les sciences humaines et le créatif, et les garçons vers le scientifique… Faire passer l’info à travers ce média alternatif basé sur le volontariat exige une série de connaissances polyvalentes sur les TIC. Au sein du réseau Indymedia, et des médias alternatifs participatifs en général, il existe deux castes informelles : ceux qui gèrent l’outil et ceux qui nourrissent les sites en contenu. Ce sont rarement les mêmes. Miluskaya raconte : « Par exemple, Teilla et moi, on filme, mais on doit être assistées par un gars pour le montage vidéo ».
Lors des réunions, à part quelques «combats de coqs» comme le souligne Teilla, ou « la monopolisation de la parole par les mecs », comme l’indique Miluskaya, «il n’y a pas de quoi se sentir discriminées, au contraire

Mais alors, qu’est-ce qui différencie ces deux médiactivistes des mecs? Sur Indymedia, on se rend vite compte que les photographes mediactivistes aiment
« shooter » les jolies filles. Après un regard complice jeté à Teilla, Miluskaya avoue: « Ben ouais ! Évidemment que je photographie les beaux mecs, qu’est-ce que tu crois ?». Elle nuance en disant qu’elle aime bien prendre de belles photos, que les gens y soient beaux. Pour Teilla, le point de mire, c’est plutôt la femme: « Il m’est arrivé de filmer une manif contre l’enfermement d’enfants au centre fermé de Vottem avec un gars du collectif… on filmait des sujets vraiment différents… Moi je filmais énormément les mères et leurs enfants, alors que lui pas de tout »… Miluskaya se marre : « Ok, tu t’occupes des femmes et des enfants, moi je prends les mecs! »

Quand on leur demande ce qui les a amenées à se diriger vers un média alternatif plutôt que mainstream, Miluskaya lance : « On ne peut pas parler de choix. J’étais à la base une activiste, et je m’ennuyais dans les manifs. Et puis l’envie m’est venue d’interviewer des gens, de prendre des photos, et je suis tombé sur indymedia ».
Et Teilla de poursuivre :
« Ce qui m’a motivée à rejoindre indymedia est vraiment l’idée de créer l’info «d’en bas», dans une structure horizontale. J’aime le fait qu’il n’y ait pas de rédacteur en chef, que tu puisses
choisir ton reportage, et aussi l’échange qui en résulte avec les lecteurs via la fonction commentaires
».

Ont-elles le sentiment d’avoir des choses en commun avec de jeunes journalistes mainstream? Pour Miluskaya, c’est clair : « En tant que médiactiviste, je suis au cœur de l’action, j’ai donc beaucoup plus d’infos et plus de suivi sur le sujet. De l’intérieur, je pense avoir une info plus complète qu’une journaliste qui passe quelques minutes faire ses prises de vue, avec ses questions déjà anticipées, et à la limite, les réponses qu’elle connaît déjà. De mon côté, je ne sais pas quel rendu ça donnera et je laisse ça à la surprise des événements. » Sa « collègue », de son côté, déclare en riant : « La différence, c’est que je ne dois pas coucher avec le rédacteur pour avoir la une ! Plus sérieusement, c’est le mode de fonctionnement qui me rend différente, le fait de ne pas avoir de salaire, de ne rendre de comptes à personne. Le fait aussi que je sois dans l’action, non pas pour faire mon boulot, mais par solidarité. Et puis le fait que je puisse faire un reportage vidéo de 20 minutes qui ne sera pas coupé au montage et ramené à 2 minutes. »

Même le matériel, à la pointe de la technique, et les imposants moyens de diffusion des medias mainstream, ne suffisent pas à ce que les deux filles soient tentées par une aventure au sein de grosses structures. « Oui, c’est clair que ces médias ont des moyens de diffusion non négligeables, mais certains médias alternatifs, à leur niveau, en ont aussi », commence Milusakaya. Elle poursuit :
« Cela dit, je ne rejette pas en bloc ces médias, il y a certaines émissions, par exemple sur Arte ou sur la RTBF, que je trouve intéressantes. Par contre, les médias appartenant à des grands groupes financiers pratiquent une auto-censure à laquelle je ne pourrais pas adhérer. Leur manière de créer de l’info aseptisée m’insupporte. Maintenant, à l’inverse, il manque aussi de créativité dans certaines productions alternatives. C’est pourquoi je m’intéresse au journalisme professionnel, à ses codes, son fonctionnement, pour pouvoir évoluer, et faire évoluer ma manière de donner de l’information. »

Teilla, elle, ne conçoit pas de faire de l’info de façon différente. « J’ai des principes et des idéaux qui ne sont pas compatibles avec les façons de faire des medias mainstream. Je n’en ressens pas le besoin, et faire des concessions vis-à-vis de ce genre de structures, ce n’est pas mon truc. »

[ [http://indymedia.org->http://indymedia.org] | [http://liege.indymedia.org->http://liege.indymedia.org] ]

Imaginé en 1999 par une communauté internationale d’informaticiens à l’occasion du contre-sommet de l’OMC à Seattle, le projet indymedia consiste à donner la parole aux militants et aux journalistes indépendants lors des actions . Par le biais d’un site web, les activistes peuvent publier des textes, photos et vidéo, et ainsi contrecarrer l’information des médias corporatistes. Lors des quatre jours du sommet, le site a enregistré un million de connexions. En 2007, on parlerait tout au plus de blogs alternatifs, mais Il est intéressant de constater que les grands groupes de médias ont compris l’enjeu du web participatif en intégrant à leur tour sur leur site web une section blog, la fonction commentaire après les articles, etc

La communauté indymedia compte désormais plus de 150 collectifs locaux à travers le monde. Il n’y a pas à proprement parler de groupes éditoriaux, mais des modérateurs, se donnant pour tâche d’écarter les publications qui n’ont rien à faire sur le site ou de mettre en exergue les articles importants. Vidéastes, photographes, journalistes, traducteurs ou techniciens, ils se définissent avant tout comme des « médiactivistes », qui à la différence des journalistes, font partie intégrante de l’Histoire qu’ils racontent.

Cette aventure de « médias participatifs en ligne » comme on les nomme aussi a inspiré toutes sortes d’autres expériences, sans lien avec la sphère no-global. Citons par exemple « [Street Reporter-
>www.streetreporters.fr] » ou « [Rue 89->www.rue89.com] », deux sites d’info générale dont le second a été lancé par trois anciens de Libération, ou encore « [Pénélopes.org->Penelopes.org] », un site d’info généraliste à tendance féministe.

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