Le retour du tram ?

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Une trop brève histoire

Inventé dans les années 1830’ aux Etats-Unis, le tramway s’est imposé en Europe dans les décennies suivantes. À Liège, c’est dès 1854 qu’est débattue pour la première fois au conseil communal de Liège l’opportunité d’y créer un réseau de tram. Il faudra cependant attendre 1871 pour que la première ligne soit inaugurée, entre les Guillemins et la place Saint-Lambert, prolongée l’année suivante jusqu’à Coronmeuse. La traction est encore chevaline, la voie unique, le service famélique, les tarifs prohibitifs et les horaires pas respectés : le succès n’est pas au rendez-vous. La mise au point du système est longue et douloureuse. À peine mises en service, certaines lignes sont fermées en raison de difficultés financières. L’année 1880 voit l’arrivée d’une grande nouveauté : le tram à vapeur, mais celui-ci est un temps interdit par le conseil communal effrayé par sa vitesse. Différents progrès interviendront cependant qui autoriseront, durant la première moitié du XXe siècle, le développement exponentiel d’un réseau appelé à silloner de toutes parts l’agglomération.

Parallèlement au développement du tram urbain, la Belgique voit à partir de 1884 la mise en place du « vicinal », un réseau de chemins de fer légers destiné à compléter le réseau ferroviaire lourd en desservant les zones rurales et les faubourgs des villes, assurant aussi bien le transports des marchandises que celui des personnes. Ce réseau de tram rural connaîtra lui aussi un destin favorable, dépassant dans les années ‘30 du XXe siècle la longueur de 5000 kilomètres.

L’âge d’or du tram sera pourtant de courte durée. Le développement de la voiture individuelle, dès après la seconde guerre mondiale, lui sera fatal en le privant petit à petit de ses usagers mais aussi, à terme, en modifiant profondément la structure de l’espace urbain : la ville va se disperser géographiquement, grignoter les campagnes alentour, rendant impossible, faute d’une densité suffisante du bâti, la desserte des nouvelles banlieues par les transports en commun. Ajoutez que le tram n’était sans doute pas assez « moderne » aux yeux des décideurs de l’époque et son destin était scellé. Dans les années 60, on démantelera donc le réseau dans la bonne humeur – c’était une époque où certains assuraient encore qu’en l’an 2000, tout le monde se déplacerait en hélicoptère.

Retour en grâce

L’euphorie fut cependant de coure durée et on sait ce qu’il est advenu de ce rêve de béton et d’essence : le choc pétrolier se chargea de ramener tout le monde à la réalité. Et, dès les années 70, de nouveaux projets de transports collectifs sortirent des cartons,… pour y retourner bientôt pour diverses raisons.

Il fut ainsi question de métro souterrain, de métro suspendu, de monorail. Toutes sortes de plans plus ou moins fumeux étaient dans l’air. C’était l’époque où l’on éventrait la ville, rasant des quartiers entiers, pour y faire pénétrer des autoroutes jusqu’en plein centre-ville. On se disait que tout était possible. L’argent était dépensé n’importe comment. On creusa des galeries d’essai en divers endroits de la ville ; la plupart ont été rebouchées depuis lors, certaines demeurent comme des témoignages de l’absurdité de ces temps révolus.

Le projet d’un « TAU », pour « Transport Automatisé Urbain », en particulier, mobilisa longtemps les esprits jusque dans les années 80. Mais il fallut bientôt se rendre compte que tous ces projets n’étaient pas ou plus à la mesure d’une ville laissée exsangue par quelques décennies de folie des grandeurs. Depuis lors, l’austérité est de mise et les Liégeois consomment une part significative de leurs ressources à payer une dette communale particulièrement colossale.

La donne a pourtant changé. La ville est saturée de voitures, dont l’usage immodéré porte gravement atteinte à la qualité de vie et à la santé de centaines de milliers de personnes. Le réseau de bus est débordé et la situation ne va pas s’améliorer. L’évidence de l’urgence climatique finit
par s’imposer doucement jusque dans l’arrière-banc d’une classe politique locale qui n’a jamais beaucoup prisé les enjeux écologiques. L’urgence sociale, surtout, que va inévitablement représenter la fin du pétrole est en train elle aussi d’imposer son évidence. De sorte que la nécessité d’un système de transports en commun urbains fait aujourd’hui l’objet d’un relatif consensus dans les différents cénacles politiques ou urbanistiques liégeois.

Parmi les différentes possibilités envisageables, c’est clairement le tram qui – ironique retour du balancier de l’histoire – tire son épingle du jeu : capacité de transport plus grande que le bus ou le trolley, meilleur confort, coûts raisonnables, absence de pollution locale,… le tram a la cote. À l’étranger, le mouvement est déjà bien amorcé, notamment en France, où presque toutes les grandes villes [1] sont passées ou sont en train de passer à ce mode de transport à nouveau considéré comme « moderne ». Le succès est éclatant : revitalisation des centres urbains, réduction de la pollution, stimulation des modes de transports alternatifs, renaissance du commerce de détail dans les centres,… le tram est aujourd’hui devenu l’instrument miracle des politiques urbaines.

Une situation politique confuse

Le débat a pris dernièrement une nouvelle actualité depuis que le bourgmestre de Liège et président de la fédération liégeoise du parti socialiste a pris une position tranchée en faveur du tram [2] : « Les bus sont surchargés, ils ont montré leur limite. C’est pourquoi il faut laisser la place au tram, plus rapide, plus confortable et capable d’accueillir plus de voyageurs ». Ce faisant, il a ouvertement défié l’omnipotent Jean-Claude Phlypo, administrateur général de la société régionale wallonne des transports (SRWT, la société qui chapeaute les TEC wallons), lequel ne jure que par le bus. Il est vrai que M. Phlypo est par ailleurs président de la société « Eurobus » qui est notamment sous-traitante des TEC ; le conflit d’intérêt patent explique sans doute cette position étonnante.

Quoi qu’il en soit, il y a loin de la coupe aux lèvres et, au-delà du consensus affiché par les principales formations politiques locales, pas mal de questions se posent, à commencer par le financement du projet pour lequel aucun responsable politique n’a jusqu’à présent fait de proposition sérieuse. C’est pourtant plusieurs centaines de millions d’euros, au bas mot, qu’il faudra mobiliser pour réaliser un réseau de tram à Liège ainsi que les aménagements urbains susceptibles de faire de l’opération une réussite pour la qualité de vie (nouveaux espaces piétons, pistes cyclables, parkings « de dissuasion » hors du centre,…).

Le projet est pourtant parfaitement réaliste, comme l’a démontré Didier Castagne, administrateur des TEC, dans une étude fouillée qui démontre, chiffres à l’appui, qu’un réseau de tram à quatre branches (vers Jemeppe, Ans, Herstal et Fléron) pourrait être exploité avec la dotation actuelle du TEC Liège-Verviers. Et le scénario construit n’envisage pourtant pas l’hypothèse d’une spirale positive que pourrait générer le tram (l’amélioration du service entraînant une augmentation de la fréquentation, laquelle, via une augmentation des recettes, permet d’améliorer encore le service et ainsi de suite).

Avant que Liège ne soit devenue la dernière ville de plus de 500 000 habitants [3] en Europe à ne disposer d’aucun système de transport de grande capacité, diverses initiatives se manifestent, dont un groupe de citoyens [4] qui a lancé une pétition sur internet – [http://tramliege.be/->http://tramliege.be/] – ayant reçu près de 3000 signatures et réclamant la réorientation des 400 millions d’euros prévus pour un tronçon autoroutier à l’Est de Liège [5] vers les transports en commun et la mobilité douce. Dans une région peu fortunée comme l’est la région wallonne, des choix s’imposent en effet.

Il est à craindre qu’on n’en soit pas encore là.

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