Quelques mots d’histoire…
Tout commence dans le quartier Pierreuse. Odette Goffard, cheville ouvrière et créatrice de la Casa, y habite et s’intéresse à l’Amérique latine. Dans les années septante, après le coup d’état au Chili, le quartier Pierreuse accueille des réfugiés politiques qui font connaître les révolutions qui se-couent l’Amérique latine. Odette s’intéresse plus particulièrement à la situation politique du Nicaragua. Après la révolution sandiniste qui a renversé la dictature de Somoza, elle décide d’aller sur place voir par elle-même. En 1981, elle débarque dans la région de Somoto (nord-ouest du Nica) et découvre les actions de quartier menées par la population. Elle est interpellée par l’enthousiasme des autochtones qui, malgré la pauvreté, parviennent à initier et à assumer par eux-mêmes des travaux pour la collectivité. Elle repart en Belgique avec la ferme intention de leur venir en aide, notamment en les soutenant dans la construction d’une école gardienne.
C’est ainsi qu’elle réunit autour d’elle un groupe d’amis avec qui elle organise des concerts pour récolter de l’argent et soutenir ce type d’initiatives dans différents quartiers de cette ville (Somoto) et plusieurs villages de la région (Madriz).
En 1985, le vice-président du Nica, Sergio Ramirez, est de passage à Liège. C’est l’occasion pour lui de découvrir le quartier Pierreuse, désormais jumelé avec Somoto. À cette occasion, la ville – via Germain Dufour , employé à l’urbanisme – leur met à disposition les fenêtres d’une des maisons du quartier afin de souhaiter la bienvenue à Sergio Ramirez. Sur la façade de cette maison, abandonnée, comme la plupart des maisons du bas du quartier depuis un récent tremblement de terre, quelqu’un peint : la Casa Nicaragua… Ça restera. Car Odette a un projet qui mûrit dans sa tête depuis quelque temps : ouvrir une « Comedor », c’est-à-dire un endroit convivial où les gens peuvent se rencon-trer autour d’un repas bon marché. Elle demande à Germain à garder les clés. C’est ainsi qu’ils commencent à squatter et à retaper la maison. Ils luttent pour conserver « leur casa », car la ville veut les mettre dehors pour détruire la maison, jugée dangereuse. En effet, le pignon arrière penche vers l’extérieur. C’est Germain Dufour qui vient à nouveau à leur secours pour initier, avec un ami, et à leurs risques et périls, le démontage de la partie branlante. Par la suite, ils présentèrent un projet à la ville qui finalement accepta de consolider la maison. Depuis lors, ils bénéficient d’un bail d’occupation (auto rénovation) grâce auquel ils ne paient pas de loyer.
Naissance officielle de la Casa
Le 21 mars 1986, l’association de fait «La Casa Nicaragua » voit le jour. Le « Comedor » est lancé et propose chaque jour, midi et soir, un plat aux saveurs issues de différentes cultures. On y mange pas cher, on y discute, on y rencontre, on y crée des liens… on s’y sent bien…
C’est au mois d’août 1986 que l’association de fait se transforme en l’Asbl « Pierreuse et Ailleurs ».
Des concerts, des fêtes, des expos, des débats conti-nuent à y être organisés tandis que les recettes servent d’une part, à soutenir les projets de développement au Nica et d’autre part, à poursuivre les travaux de réaménagement de la Casa.
Pierreuse et ailleurs : « Moins de biens, plus de liens »
La Casa est avant tout un lieu. Un lieu de convivialité, d’ouverture, de rencontres, d’échange, de fêtes, de solidarité. Un lieu d’accueil qui brasse et lie de nombreuses personnes, associations, ONG… Un lieu qui sensibilise, informe, fait découvrir et pousse à la curiosité.
La Casa accueille depuis ses débuts d’autres associations qui exercent le même type d’action mais ailleurs dans le monde : au Chili, au Togo, au Sénegal , au Chiapas, au Mexique , au Rwanda, au Perou , en Bolivie, au Nepal, au Mali…
De jeunes volontaires sont partis à Somoto, ils se sont eux aussi intéressés aux projets là-bas et sont revenus pour créer leur propre collectif de
soutien (Guardabaranco), dans d’autres quartiers ou régions du Nicaragua.
Depuis ses débuts et grâce aux contacts pris par la Casa, Somoto a aussi bénéficié de l’appui du Comité d’Amérique Centrale de Charleroi, de la Commission Solidarité Liège-Tiers-Monde, de l’Antenne Seraing Tiers-monde, et ponctuellement, du soutien du CNCD.
La spécificité de la Casa tient également aux liens concrets qu’elle crée non seulement entre les gens, mais aussi avec les gens. La Casa aime connaître les personnes qu’elle soutient, qu’elle invite. Elle a différents partenaires sur place qui la tiennent en permanence au courant de l’évolution des projets. Mais elle ne se contente pas de ça. On va voir ce que ça donne sur place, on rencontre les gens, en vrai.
Si c’est le lieu, avec tout ce qu’il représente et fédère, qui a permis à la Casa de rester sur les rails, ce sont ses volontaires, présents depuis le début, qui sont sa force. Sans eux, pas de Casa… Personne ne perçoit de salaire mais les gens répondent présents parce qu’ils sont motivés et croient aux projets de l’asbl. Force mais aussi faiblesse : « C’est parfois très lourd de devoir gérer et maintenir un tel endroit, ne fut-ce que par rapport à l’entretien du lieu ».
Les projets de la Casa
Après la construction d’écoles gardiennes dans les quartiers pauvres de Somoto et d’écoles primaires dans les villages environnants, la Casa a commencé à soutenir un collectif de production de cultures vivrières à Unile (6kms de Somoto) sur le modèle de l’UNICAM (Universidad Campesina). Cette association basée à Esteli, une autre ville du Nica, a développé un modèle de production agricole durable, autonome. Le but de l’UNICAM est de promouvoir le savoir-faire des populations rurales par les formations, un accompagnement technique et un soutien financier. À travers ce que l’on appelle « les tournées d’échange », les individus apprennent les uns par les autres : l’UNICAM forme des promoteurs qui par la suite deviennent formateurs, enseignent à d’autres qui deviennent formateurs à leur tour et ainsi de suite.
La Casa sème… elle ne se contente pas d’aider un seul quartier du Nica, elle tente d’élargir le champ de son action, ce qui se fait, souvent, assez spontanément. Aujourd’hui, la Casa participe également à des activités dont l’objectif est de lutter contre la délinquance à Esteli (pandillas, bandes de jeunes malfaiteurs) : une fois par semaine, des jeunes en difficulté peuvent suivre une formation où on leur apprend à danser, à chanter, à faire du bricolage, de l’agriculture et le reste de la semaine, ils continuent à être encadrés par des animateurs qui les suivent dans leurs quartiers.
Perspectives futures
Si le lieu et le volontariat représentent la richesse de la Casa, Odette perçoit bien les limites de ce mode de fonctionnement.
À l’heure actuelle, l’évolution des projets initiés par la Casa au Nica demande de plus en plus d’argent, et donc davantage d’événements à organiser. Or, les volontaires donnent déjà le maximum de leur temps et de leur énergie. En outre, Odette souhaiterait aussi donner du travail aux jeunes, rémunérer les volontaires un minimum. Le moment est-il venu de demander de l’aide ailleurs, du côté des institutions afin d’obtenir des subventions plus régulières. Mais qui rédigera les dossiers ? Qui, à la Casa, a les compétences et le temps pour le faire ? Il faudrait engager une personne pour ce travail. Mais à chaque fois qu’Odette soulève cette éventualité, elle sent une réticence, compréhensible, de la part des autres volontaires. Pourtant, la question se pose de façon de plus en plus prégnante et avec elle, le risque de perte de motivation des volontaires.
Aujourd’hui, les projets de soutien au développement du Nica continuent à voir le jour, à se diversifier et à toucher de plus en plus de quartiers. Odette voudrait pouvoir donner davantage de visibilité à ce qui est fait là-bas, y envoyer des gens qui pourraient témoigner en réalisant des films, des reportages, des photos. Mais, de nouveau, se pose la question du
financement: qui paiera ces personnes, tout au moins leur billet d’avion ? Jusqu’à présent, les volontaires et les amis de la Casa qui se sont rendus au Nica ont toujours fait le voyage à leurs frais.
A travers ce lieu et tout ce qu’il comporte, la diversité de ses projets, le rayonnement toujours plus important de son action au Nicaragua, la Casa a démontré qu’elle pouvait exister. Elle a montré ce qu’elle et ses volontaires étaient capables de construire avec très peu de moyens. A bon entendeur…