8. Quand l’ordinateur était une femme

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Mesdames, en Belgique, vous êtes 56% à posséder un ordinateur contre 65% des hommes et 33% d’entre vous ont un accès internet contre 40% des mâles. Ceux-ci l’utilisent plus souvent et plus longtemps. Ces différences se creusent avec l’âge. Par ailleurs, vous êtes peu représentées dans les formations et les emplois liés à l’informatique : 16% des spécialistes et généralement moins de 10% dans les diverses filières de formation. La classique équation «femme=sociabilité et homme=technique» fait toujours recette. Pourtant un large consensus existe sur le fait que cette différence est de nature sociologique. Ce constat est étayé par les variations géographiques et historiques. En Malaisie, les étudiants, les enseignants et les responsables de la Faculté d’informatique et des technologies de l’information de Kuala Lumpur sont majoritairement des femmes. L’informatique n’est pas vue comme une discipline masculine car c’est un travail ne nécessitant pas de force physique, ne salissant pas et faisant partie du secteur tertiaire. Si l’on ajoute à cela qu’il fait partie du monde de la communication, on complète le tableau des valeurs dites «féminines». Néanmoins, de nos jours, en Occident, l’informatique est perçu comme un domaine très masculin.

À certaines périodes, dans les pays occidentaux, l’informatique a aussi été une affaire de femmes. Aux débuts de l’informatique, «computer» était le nom donné aux femmes qui calculaient, durant la seconde Guerre Mondiale, des trajets balistiques complexes pour l’armée américaine grâce à des calculettes analogiques. Le programme ENIAC qui s’ensuivit ne comptait, lui aussi, que des femmes. Il s’agissait de programmer une machine digitale plus rapide dans le traitement de l’information mais où il fallait, pour y parvenir, jongler avec 3000 commutateurs et des centaines de câbles et de branchements sans aucun mode d’emploi ni langage informatique. L’armée considérait ce travail comme sous professionnel, une simple tâche d’application et de patience réservée aux employées de bureau, donc un travail de femmes. En 1944, l’équipe qui travaillait sur le premier ordinateur numérique comptait une femme : Grace Hopper. C’est elle qui créa des méthodes de compilation offrant un langage de programmation accessible à d’autres que les mathématiciens et permettant le développement commercial des ordinateurs. Avant que la programmation n’obtienne ses lettres de noblesse, quand il était plus valorisé de construire les machines, les femmes inventèrent plusieurs logiciels. Rappelons que l’on doit à Ada Lovelace le premier algorithme permettant de calculer les nombres de la suite de Bernoulli sur un ordinateur mécanique. C’était en… 1843.

Femme-nature, homme-machine

Aujourd’hui, même si les jeunes femmes usent de l’informatique presque autant que les hommes de leur âge, les inégalités restent fortes quand il s’agit d’un usage approfondi ou de programmation. Pourtant, ce domaine s’est largement diversifié, offrant d’autres possibilités de carrière que la programmation. Notons au passage que le secrétariat, métier hautement féminin, n’existe plus sans les TIC. Néanmoins, dans nos contrées, les filles sont perçues comme étrangères à l’univers de l’informatique. Les stéréotypes ont la peau dure. Les représentations qui distinguent matrice biologique et matrice technique entravent toujours l’accès des femmes aux TIC. À la maison, tandis que les filles joueront à la poupée ou au magasin, les garçons seront orientés vers les jeux vidéo. L’école et le milieu professionnel renforceront ces clichés. Enfin, les medias, du cinéma à la publicité en passant par la presse, représentent les femmes, au mieux comme de bonnes utilisatrices perdues au moindre pépin technique, au pire comme des gourdes incapables de faire un copier-coller. De plus, l’informatique est souvent construit sur des valeurs masculines: sens de l’initiative, autonomie, goût pour le jeu et prises de risque. En outre, il s’agit d’un rapport de pouvoir qui place l’utili-sateur en
maître. Les femmes ont tendance à être cantonnées dans un rapport au savoir plus passif, moins autonome, nécessitant des médiateurs, ce qui les éloigneraient de l’informatique.

Un autre facteur à prendre en compte est le temps et les ressources financières disponibles. Un ordinateur coûte cher et le pouvoir économique des femmes est plus faible que celui des hommes. Ensuite, le fait qu’elles soient toujours plus chargées des tâches ménagères que les hommes leur autorise moins de temps libre, notamment à consacrer à l’informatique. Par cet ensemble d’éléments, les femmes accumulent du retard dans l’apprentissage des TIC et les stéréotypes semblent alors se confirmer.
Pour faire changer les choses

L’association ADA développe des actions et des outils pour modifier les représentations des femmes et pour favoriser leur accès aux TIC. Il s’agit notamment de promouvoir leur insertion socioprofessionnelle dans les métiers des TIC, de la création de réseaux de femmes y travaillant, de la diffusion de témoignages et d’images d’informaticiennes, de la création d’outils pédagogiques pour déconstruire les stéréotypes (cf article [Représentations->http://c4.agora.eu.org/archives/2007/11/1263.html]), d’identifier et de mettre en œuvre de bonnes pratiques.

S’il est important de donner une image diversifiée et plus proche de la réalité des femmes dans les TIC, un autre travail de fond doit être réalisé. La fracture numérique fondée sur le genre révèle que les inégalités liées aux TIC sont des inégalités entre groupes, plus que des inégalités entre individus. Une manière d’y faire face serait d’envisager les TIC comme les moyens de développer la collectivité et de transformer les conditions de vie de ses membres, en l’occurrence les femmes.

Ada, en collaboration avec les associations Constant, Interface 3 et le HackLab proposent une formation «Les Samedis : femmes et logiciels libres» qui tend vers cet objectif. Les logiciels libres peuvent être des outils intéressants pour les femmes… sans idéalisme. La communauté libre travaillant ensemble et partageant ses découvertes ne concerne presque que des hommes. Le monde des logiciels libres n’échappe pas aux stéréotypes, et y est parfois plus exposé. Il n’empêche que ce sont des outils gratuits, ouverts, qui permettent un apprentissage collectif et participatif. Cet aspect n’est pas à négliger au niveau financier et social. Les femmes doivent avoir la possibilité de maîtriser les outils et donc les normes qui définissent le travail avec la machine. Il s’agit par ailleurs de rompre l’état de consommatrice passive pour redevenir actrice et créatrice d’un informatique qui réponde aux besoins des femmes en tant que groupe social. Les logiciels libres possèdent donc le potentiel d’encourager le sentiment de solidarité de maîtrise et de compétence très utiles aux femmes ou à toute communauté soumise à des rapports sociaux inégalitaires.

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