Silences intimes

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C4 : Dans la religion catholique, il y a une liberté qui est donnée à la parole. Est-ce qu’il y a des silences dans la confession ?

Jean Schoonbroodt : Oui, il doit y en avoir mais c’est peut-être un silence quelque peu différent de celui qu’on connaît ailleurs. Pour bien comprendre le silence dans sa portée religieuse, il faut partir de la nécessité du silence dans un ordre purement profane, avant même de parler de religion ou de grâce. Je me suis rendu compte par expérience personnelle, mais aussi par des témoignages de quelques grands penseurs et artistes, du caractère indispensable du silence pour que la parole puisse en être enrichie. C’est vrai aussi pour la musique : une musique sans silence serait insupportable. C’est le silence qui met les sons en valeur, et inversement. Pourtant, beaucoup de gens ne supportent plus le silence. Ils s’abîment les oreilles en restant toujours dans le bruit, ils vivent dans un monde plein d’agitation et ne sont pas en paix avec eux-mêmes, ni avec leur environnement. Ils ont une vie survoltée. La chose qui me frappe le plus en tant que prêtre, c’est que, aussi bien en confession que quand je prêche à la messe, il y a quelque chose qui se passe et que je perçois à travers le silence. En général, l’assemblée est assez bruyante pendant l’ensemble de la messe. Mais quand on proclame la parole de Dieu et qu’on essaye tant bien que mal de la rendre abordable pour les gens, de l’expliquer, il y a un silence qui m’impressionne vraiment, et que
j’estime ne pas mériter. On dirait qu’il y a un travail invisible, que l’on peut appeler le travail de l’Esprit Saint, chez les gens qui ont besoin d’être nourris de la parole de Dieu. Cette qualité de silence dont les gens ne se rendent même pas compte m’impressionne. Même chose lorsque je chante la préface tous les dimanches, en latin et en grégorien, on entend voler les mouches…

C4 : Mais pour en revenir à la confession, pourrait-on dire que dans le silence de l’omission se trouve déjà la reconnaissance du péché ?

J.S. : Quand vous dites omission, vous voulez dire qu’on ne signale pas un péché ?

C4 : Oui, c’est ça. On l’omet, mais le fait de l’omettre et de rester silencieux est déjà une reconnaissance de l’intérieur de soi.

J.S. : Vous voulez dire qu’on se sent coupable de ne pas avoir tout dit ?

C4 : Non. Je me demande simplement s’il est possible pour un catholique pratiquant de se confesser à vous complètement en silence ?

J.S. : Excepté dans des cas extrêmes… Peut-être est-ce possible si c’est quelqu’un qui est aux soins intensifs et qui n’est plus capable de parler, et à qui on donne l’absolution. On peut peut-être deviner qu’il est dans des bonnes dispositions, qu’il regrette sommairement tout ce qu’il peut y avoir eu dans sa vie.

C4 : Le regret doit-il passer par la parole ?

J.S. : Disons qu’on peut estimer même en cas de silence s’il y a une sincérité dans le repentir. C’est vrai pour la confession, c’est vrai dans tous les domaines.

C4 : Est-ce que des gens sont déjà venus vous voir puis n’ont rien dit ?

J.S. : Oui, c’est déjà arrivé.

C4 : Combien de temps restez-vous à côté ?

J.S. : C’est un peu embarrassant. Quand je perçois un état d’esprit de préparation intérieure, de moment d’expérience et d’émotion religieuse, alors je me sens dans un contexte de sacrement, de réalité sacrée. Dans ce cas-là, c’est appréciable. Mais il ne faut pas que ce soit un silence simplement de l’ordre du néant ou de l’absence.

C4 : Mais si la personne fait déjà l’acte de venir s’agenouiller ?

J.S. : Je connais un prêtre allemand qui ne donne pas l’absolution si le pénitent ne révèle pas le moindre péché. Mais moi, j’estime que le fait de venir se présenter, de se rendre compte qu’on est un pécheur qui a besoin de pardon, même s’il ne précise aucunement de quoi il s’agit, mérite au minimum qu’on le prenne au sérieux. Ça ne signifie pas qu’il faut
forcément donner l’absolution, mais respecter la démarche.

C4
: Vous voulez dire que les rites de la confession sont laissés à l’appréciation du confesseur ?

J.S. : Anciennement, cela paraissait plus strict que maintenant. On attend surtout du confesseur qu’il soit le ministre, c’est-à-dire le serviteur, de la miséricorde. Moi, j’aime bien dire aux gens que quelle que soit l’importance de l’examen de conscience et de l’aveu, ce qui compte, comme c’est le cas pour quelqu’un qui a perdu la parole ou quelqu’un qui est à l’article de la mort, c’est le besoin d’absolution. Ce qu’il y a de plus important, c’est ce qui se passe dans l’invisible. évidemment il faut avoir la foi pour être convaincu que le Seigneur intervient, qu’il pardonne réellement. Et pas seulement au moment de l’absolution d’ailleurs, parce que le pardon nous est déjà accordé au moment où l’on se met dans des dispositions telles qu’on fait appel à la miséricorde de Dieu.

C4
: Le silence en confession est une question de co-gestion entre le confesseur et le confessé ?

J.S. : Oui, c’est ce que je crois.

C4 : Cela pourrait-il créer une habitude entre le confesseur et le confessé ? Si je suis plutôt silencieux et que j’ai en face de moi un confesseur silencieux ou un autre qui ne l’est pas, j’irai plutôt vers celui qui accepte le silence ?

J.S. : Oui. Mais il ne faut pas que ce soit un silence qui serve à noyer le poisson, à cacher sa culpabilité. Lorsque je me confessais moi-même, j’ai déjà vécu de la part de certains confesseurs après l’aveu, un petit moment de silence où on sent que le confesseur ne donne pas une réponse rapide et toute faite. Il essaye d’intérioriser ce qui a été dit et il pèse les mots qu’il va dire.

C4 : Par là, il laisse aussi la possibilité à l’autre de rajouter des choses s’il en a envie ?

J.S. : Oui. Le silence, peut indiquer au pénitent que l’aveu est trop vague et qu’il faut quand même préciser. Mais sans être trop indiscret. Quand il y a un moment de silence dans une confession, cela peut mettre certains confesseurs mal à l’aise. Pour ma part je trouve cela très positif parce que cela souligne le côté vraiment sérieux de la chose. Ça montre qu’il ne faut pas agir avec précipitation.

C4 : Mais pour vous, en tant que pénitent, à quel moment y a-t-il un silence? Que signifie le silence pour vous quand vous vous confessez ?

J.S. : Quelle que ce soit la sincérité ou la franchise du pénitent, il y a toujours une limite qui fait qu’avec la meilleure volonté du monde, je ne peux pas faire comprendre précisément et parfaitement les choses au confesseur. J’estime avoir dit l’essentiel, mais il y a un secret entre Dieu et moi, pénitent, que je ne tiens pas absolument à garder, mais qu’il est impossible de dévoiler. Un confesseur, aussi intelligent et attentif soit-il, ne pourrait pas entrer dans la complexité de ce secret et le comprendre. L’essentiel, c’est qu’il y ait un désir de ne pas tricher, de ne pas cacher les choses à Dieu et donc au confesseur. Mais le confesseur ne peut pas percevoir toutes les nuances telles qu’on les ressent nous-mêmes. Personne n’est juge de sa propre cause, comme le dit l’adage ancien : nemo iudex in propria causa.

indicible

Elie Wiesel (séminaire l’Europe contre l’intolérance, mars 1994). [à propos de la Shoah] « Il m’est interdit de me taire, et impossible de parler ». Les horreurs vécues des camps donneront naissance à la littérature lazaréenne (en référence au personnage du nouveau testament qui est ressuscité d’entre les morts par Jésus) dans laquelle les auteurs survivants des camps de concentration tentent de mettre des mots sur leur indicible expérience.

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